Le mouvement Sofar lance le principe des concerts directement chez les gens. Le bon filon pour capter un public en quête de nouvelles identités sonores.
Internet a changé la façon dont nous nous informons sur la musique, dont nous la découvrons, l’écoutons, l’achetons, mais aussi la façon dont la musique, et les artistes, sont aujourd’hui mis sur le marché et distribués. Il continue d’offrir de nouveaux moyens d’expression, de promotion et d’évaluation pour les artistes eux-mêmes, et de mise en relation avec leur public. Si Myspace s’est fait dépasser, Facebook, Twitter, Instagram et Tumblr sont bien là. Derrière ces plates-formes, ce sont des millions de fans-followers-likers qui sont branchés en direct sur la vie et les actualités des artistes. Parfois beaucoup plus sur leur actualité personnelle que musicale. Et l’on peut légitimement se demander si cette proximité est bien réelle, durable, si les followers constituent un vrai public, si ces réseaux sont vraiment créateurs de liens ou d’expérience.
Le mouvement Sofar, « Songs from a room » vient prendre le contre-pied de ce que certains qualifieraient donc de fausse proximité entretenue entre les artistes et leurs fans sur les réseaux sociaux, pour offrir une expérience IRL mémorable. L’idée des fondateurs du mouvement est simple et largement copiée, adaptée et reprise depuis sa création : exporter les performances des artistes hors des clubs et salles de concerts pour s’inviter littéralement dans les salons des particuliers. Pour les créateurs de Sofar, il s’agissait tout d’abord, lorsque l’idée des sessions Sofarsounds est venue, de respecter, littéralement, la nécessité d’un artiste « d’aller à la rencontre de son public » et de (re)créer tout simplement du lien. Pour honorer cet adage, les initiateurs de ce mouvement ont travaillé sur un format et un programme simples: réunir des gens à la recherche d’un moment unique, dédié entièrement à l’écoute de la musique, pour créer une expérience réelle de partage qui n’aura lieu qu’une fois. Les organisateurs tiennent le lieu de la performance ainsi que le nom des artistes secrets, ne les révélant qu’une heure avant le début du concert.
En posant un regard très humble sur leur propre concept, les troupes de Sofar affirment tout simplement n’avoir rien inventé : Prince, notamment, a recours depuis des années à ces effets surprises, qui permettent évidemment via le bouche à oreille d’aiguiser la curiosité voire l’hystérie des fans, et les showcases ou concerts privés existent depuis longtemps déjà. Mais pour Sofar, il s’agit surtout de capitaliser sur un autre levier, celui d’un public non fan, mais mélomane et en quête de nouvelles découvertes musicales. Le but étant de créer une expérience éphémère, sans vocation de récurrence mais qui aspire à construire un lien, une relation. Un beau challenge, qui séduit notamment de nombreuses marques : certaines ont démarché les créateurs de Sofar pour « brander » les sessions musicales. Une concession que les créateurs du mouvement ne souhaitent pas faire pour l’instant, ou peut-être même pas du tout, même si avec le succès des Sofarsounds, le format évolue progressivement, nécessairement: les sessions ont quitté les Etats-Unis pour s’exporter notamment en Europe et en Amérique du Sud, ont vu des personnalités du monde du cinéma par exemple s’inviter en « Spécial Guest » et le mouvement communique bien évidemment via les réseaux sociaux et voit sa communauté de fans grandir, réellement et sur Internet.
Pour les artistes qui se sont prêtés au jeu, c’est une expérience inédite : « On arrive chez les gens et on voit le visage de chacune des personnes du public, leurs expressions, leurs émotions. C’est bouleversant, on observe les réactions du public dans l’immédiat, à quelques mètres de nous. Et comme le concert se passe « chez eux », on sait que c’est un souvenir qu’ils n’oublieront jamais, qu’on habitera en quelque sorte les lieux, une fois partis. Je le referais tout de suite si on me le proposait », témoigne un musicien. Très loin de dénigrer les effets positifs générés par les évolutions digitales – le streaming, le partage immédiat, le crowdfunding ou la retransmission en direct des concerts – Sofar parie sur un public chercheur de nouvelles identités sonores. C’est en effet pour lui une histoire musicale qui commence par une prise en direct et en réel avec un artiste dont il ne connait pas forcément le nom ou le style… ni l’avatar Twitter. Si l’on parle maintenant beaucoup de slow food, on pourrait dire que Sofar prône un accueil de la slow music : un retour sur soi, via des expériences plus intimistes, qui véhicule ce sentiment irremplaçable d’être « chez soi ».
Et si le nouveau « place to be », c’était tout simplement chez soi?
Florence Marin
Rubrique réalisée en partenariat avec La Société Anonyme