En ces temps post-modernes et où les mythes d’antan ne cessent de se rappeler à notre bon souvenir, il est de bon ton de se rappeler de l’auguste distinction de Cicéron*. Celui-ci avait en son temps décrit deux branches de divination, instituant ainsi une vraie différence entre ces deux « arts du pronostic » : la voyance et la mantique. Là où la voyance est naturelle, basée sur les intuitions, les ressentis, la mantique est quant à elle assistée par tous les outils possibles à disposition comme l’étude des astres et des étoiles, la cartomancie ou encore des entrailles d’animaux.
Parmi les plus célèbres oracles, la figure de la Pythie a toujours marqué les esprits. Dans le temple de Delphes, celle-ci était initialement choisie comme une frêle jeune fille, choisie pour sa beauté, son jeune âge, sa virginité et sa chasteté. On la cherchait de préférence dans une maison pauvre où elle eut vécu dans une ignorance entière de toutes choses. Pourvu qu’elle sache parler et répéter ce que le dieu lui dictait, elle en savait assez. Elle se livrait à de véritables transes pour assurer ses prédictions. Ses fonctions étaient assurées dans des « transports frénétiques » plein de cris, de hurlements. Elle paraissait possédée. Une fois la prédiction et l’oracle prononcés, elle tombait anéantie dans une sorte de sommeil qui durait parfois plusieurs jours.
Le fait de vouloir connaître l’avenir a toujours été une des interdits fondamentaux de la religion Catholique comme le dit le Deutéronome : « On ne trouvera chez toi personne qui fasse passer au feu son fils ou sa fille, qui pratique divination, incantation, mantique ou magie, personne qui use de charmes, qui interroge les spectres et devins, qui invoque les morts. Car quiconque fait ces choses est en abomination à Yahvé ton Dieu, et c’est à cause de ces abominations que Yahvé ton Dieu chasse ces nations devant toi ». (Deutéronome 18, 10-12) »
Loin de ces interdits, mais pouvant bientôt compter au rang des sciences de la prédiction, il y a aujourd’hui la Big Data. Constituée de modèles prédictifs utilisant des données (requêtes sur les moteurs de recherche, contenus et discussions sur les réseaux sociaux, topics discutés en éditorial et autres éléments de contenus), la data permet de faire des paris s’avérant la plupart du temps exacts… Nicolas Bordas l’a fait remarquer sur son blog ce week-end à propos de l’Eurovision : « l’économiste de Microsoft (…) a donc su prévoir non seulement le vainqueur (le Danemark), mais a su également anticiper, certes dans un léger désordre, les cinq premiers et les cinq derniers du classement. Le modèle informatique avait prévu dans l’ordre : Danemark, Ukraine, Norvège, Russie et Adzerbaijan et le résultat final est : 1. Danemark, 2. Adzerbaijan, 3. Ukraine 4. Norvège et 5.Russie. Sans le résultat de l’Adzerbaijan arrivé second alors qu’il était prédit cinquième, le modèle aurait prédit le quintet gagnant dans l’ordre ! De quoi donner confiance dans le potentiel prédictif des Big Data… »**.
Même si tout n’est peut-être pas aussi prévisible ce phénomène nous amène à opérer une vraie réflexion sur la divination et à prendre conscience que les événements futurs ne sont que le fruit de nos actes et de nos choix d’aujourd’hui, fussent-ils individuels ou collectifs et de notre rapport au monde. Rien n’est jamais écrit à l’avance et un ensemble de faits, de décisions, d’avis, de comportements créent le futur. Pour le meilleur ou pour le pire, jusqu’à l’accident (qui dans son étymologie signifie « ce qui arrive »). Car les datas ne sont ni plus ni moins ce que la Pythie percevait en analysant différents éléments en sa possession. Le cours des choses peut toujours être inversé, et l’intuition a beaucoup de place dans ce processus.
Ces outils semblent en tous cas avoir une réelle solidité et il est important de les surveiller de près… mais attention, les dons divinatoires portaient aussi en eux un vrai danger et la Pythie était souvent en danger après ses prédictions : « souvent une mort prompte fut le prix ou la peine de son enthousiasme ». Une malédiction pour les devins ?
*De Divinatione, de Marcus Tullius Cicero, F. l’Honoré & fils, 1741
Thomas Jamet – Moxie – Président
@Tomnever
Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur). Préface de Michel Maffesoli.