3 juillet 2013

Temps de lecture : 7 min

Le Hors-Série INfluencia : Ce sont les expériences clients qui provoquent la conversation

Les entreprises intègrent la conversation et l'e-reputation comme un facteur déterminant de leurs stratégies. Dit-on du bien d'elles ? Du mal ? Eclairage avec Muriel Humbertjean, la DGA de TNS Sofrès dans le tout nouveau Hors Série d'INfluencia sur la conversation réalisé avec Entrecom.

Les entreprises intègrent la conversation et l’e-reputation comme un facteur déterminant de leurs stratégies. Dit-on du bien d’elles ? Du mal ? Eclairage avec Muriel Humbertjean, la DGA de TNS Sofrès dans le tout nouveau Hors Série d’INfluencia sur la conversation réalisé avec Entrecom.

Cet article paraîtra dans le nouveau Hors Série d’INfluencia sur la conversation réalisé avec Entrecom, qui sera disponible en librairie en septembre. A venir: interviews de l’auteur et scénariste Jean-Claude Carrière, des philosophe François Flahaut, et Stéphane Pujol, du mathématicien et lauréat de la Médaille Fields Cédric Villani, du sociologue François Dupuy, du président de Laser Philippe Lemoine, du délégué général de la FING Daniel Kaplan, des fondatrices de My Little Paris…

INfluencia : La conversation – l’e-réputation et ses déterminants – est-elle un thème croissant dans les études que vous commandent les entreprises ?

M.H. : Oui bien sûr. Mais leur demande, concernant des instituts comme le nôtre, consiste moins en la surveillance du web, qu’elles opèrent souvent directement de façon informelle, ou avec leurs agences, que dans l’analyse des résonnances possibles dans l’opinion des interpellations naissantes sur le web. C’est cela, fondamentalement, la valeur ajoutée que nous pouvons leur apporter : par notre connaissance de l’opinion et des tendances sociétales, les aider à discerner là où il y vraiment un risque d’opinion, et là où il n’y en a pas vraiment, et où il serait préjudiciable de sur-réagir. Par ailleurs, nous conduisons des études de cadrage sur ce qu’on appelle l’advocacy, c’est-à-dire la propension de tout un chacun à recommander ou à critiquer une entreprise, que ce soit dans la vraie vie et sur le web : qui tend à se faire plutôt détracteur ou défenseur des marques, sur quels thèmes, etc. Par exemple, l’étude « Advocacy et réseaux sociaux » de janvier 2013* donne des informations précises sur le sujet.

Enfin, dans nos baromètres d’image, il y a toujours des questions permettant d’identifier où les interviewés ont entendu parler de la marque ou de l’entreprise, et si eux-mêmes se sont exprimés sur la marque auprès de leur entourage ou sur le Web. C’est un élément d’appréciation complémentaire pour analyser, le degré d’activité conversationnelle généré par une marque et l’aider à optimiser sa stratégie digitale.

INfluencia : Les propos tenus sur les marques sont-ils différents selon le canal utilisé ?

M.H. : Nous avons demandé, dans l’étude Advocacy, à un échantillon représentatif d’un millier d’internautes, et pour 26 grandes marques – entreprises, desquelles ils avaient dit du bien ces derniers temps, desquelles ils avaient dit du mal, sur le Web ou dans la vraie vie, et sur quels thèmes. Le constat est net : que ce soit dans la vraie vie ou sur le Web, la hiérarchie des marques citées est la même, la tonalité est la même et les thèmes abordés sont les mêmes. Au global, la tonalité est plutôt positive, les gens parlent surtout d’éléments concrets de la vie courante, des bons plans.
C’est normal : aujourd’hui, quand je trouve un produit sympa et pas cher, je peux aussi bien le raconter sur Facebook ou éventuellement Twitter, ou en parler le soir en rentrant chez moi, ou à des copains.
Beaucoup d’entreprises sont un peu tétanisées par tous ces récits légendaires de marques dont la réputation a été détruite sur le Web. Bien sûr, il y a des cas. Mais en général, sur le web, ce sont surtout les informations pratiques qui font l’objet d’échanges. Très souvent, d’ailleurs, les informations réellement destructrices sortent d’abord dans la grande presse, et le web s’y alimente.

INfluencia : Le bouche-à-oreille est donc de même nature. Toujours pour cette étude, vous aviez posé des questions sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Est-ce un sujet apparu récemment ?

M.H. : Les débuts du développement durable, de la RSE datent maintenant de dix, quinze ans. En termes de gestion d’image, ce sont des domaines assez souvent asymétriques : en temps normal, on évoquera beaucoup plus une marque sous l’angle de ses produits et de ses services que sous l’angle de sa responsabilité sociale et environnementale. Sauf si ça se passe mal. Car, quand il y a atteinte à l’environnement, manquement clair à l’éthique, etc., c’est un sujet de conversation. Ces critères sont ainsi malheureusement davantage des facteurs de destruction que de construction de réputation. Exception faite des marques qui ont fait de la RSE un élément structurant de leur positionnement, comme Bodyshop ou la Banque Postale (qui se décrit comme la banque citoyenne), pour lesquelles la RSE est un élément de différenciation, qui pèse favorablement dans le regard du public.

INfluencia : Quels sont les contenus diffusés par les entreprises qui suscitent de la conversation ?

M.H. : Tout ce qui est d’ordre viral, toutes les vidéos un peu humoristiques, forment un premier lot. Cela provoque, dans tous les cas, soit de la conversation, soit des échanges. Pour le reste, ce qui provoque davantage la conversation, ce sont les expériences clients : « dans le métro ce matin, voilà ce qui s’est passé », « dans tel magasin, voilà ce que j’ai trouvé », etc.

INfluencia : En ce qui concerne la communication interne à l’entreprise, comment caractérisez-vous, au regard des études TNS Sofres, les évolutions récentes à la fois en termes d’attentes mais aussi de perception ?

M.H. : Effectivement il y a une évolution assez forte. Je crois qu’il faut distinguer le contenu et les canaux.
Sur les canaux, il y a une propension des entreprises à essayer de faire monter en puissance la communication horizontale ou la communication bottom-up, pour favoriser une communication moins descendante, plus interactive, en s’appuyant bien sûr sur des réseaux internes. La tendance est claire, même si pour l’instant elle n’est pas encore complètement maîtrisée.

Sur les contenus, c’est beaucoup plus compliqué de décoder des tendances claires parce que toutes les entreprises sont coincées actuellement entre des injonctions un peu paradoxales. Elles veulent tout maîtriser, tout processer, tout réguler, et, dans le même temps, elles veulent rendre aux collaborateurs de l’initiative, de l’autonomie, de la liberté d’expression. Ce dilemme, assez classique, se renforce en période de contraction économique.

En parallèle se développe dans les organisations la volonté de renforcer la communication managériale, parce que toutes les entreprises ont compris que le manager de proximité est l’acteur qui inspire le plus confiance au salarié. Avec corrélativement, des questions. Le management de proximité n’a-t-il pas plutôt tendance à se rapprocher davantage de la base que du sommet et à être réticent à se faire le porte-parole de la direction ? Comment l’aider à bien transmettre les messages, comment le convaincre de le faire, d’en prendre le temps ? Comment articuler communication managériale, qui suppose de respecter le canal hiérarchique, et communication digitale, qui permet de mettre à niveau tout le monde en même temps ? Ces préoccupations autour de l’articulation communication managériale / communication digitale ne sont pas simples. Le digital peut être la meilleure ou la pire des choses, quant à son impact sur le management interne. Ce qu’on appelle par exemple le mail management peut être extrêmement pernicieux. Le mail peut ouvrir la voie au renforcement des fonctionnements bureaucratiques, caractérisés par la peur du face-à-face et les stratégies d’autoprotection : on arrose tout le monde, et en même temps on ouvre le parapluie, on se protège, au lieu d’avancer ensemble.

A l’inverse, les réseaux sociaux, quand ils sont bien utilisés, peuvent complètement fluidifier, aplatir l’entreprise, favoriser les communications et les coopérations, favoriser la liberté d’expression, et arriver à une entreprise beaucoup plus flexible, plus agile, plus souple et plus efficace qu’avant. Mais il ne suffit pas de mettre en place des réseaux sociaux internes pour que les gens s’en saisissent. L’utilisation des technologies de communication dépend de la culture d’entreprise sur laquelle elle se greffe, elle va en amplifier les travers ou les avantages.

Ce que nous voyons dans nos études sur les Réseaux Sociaux d’Entreprises, c’est qu’ils renforcent la communication notamment entre pairs, ou par communauté de métier ou de fonction, donc développent le sentiment d’appartenance. Ils peuvent aussi être un ressort d’efficacité professionnelle. Se repose alors la question de l’articulation entre la communication par le canal hiérarchique et la communication horizontale. Pour l’instant, la plupart des entreprises réfléchissent à ça, tâtonnent un peu, et nous réfléchissons avec elles.

Les nouvelles technologies peuvent être un instrument du changement, mais ce n’est pas une baguette magique. On ne peut pas révolutionner une entreprise par les nouvelles technologies. Accompagner, faciliter, oui, mais à condition de s’inscrire dans une gestion de changement beaucoup plus large.

INfluencia : Dès qu’il s’agit de transformation des entreprises est en général convoqué un binôme clé : confiance et transparence.

M.H. : Ce sont un peu les maîtres-mots d’aujourd’hui, la vulgate. J’aurais plutôt tendance à utiliser les termes de dialogue, d’ouverture, d’échange, parce que la transparence absolue n’est jamais possible dans une entreprise, et que la confiance ne se décrète pas. Certes, la confiance est essentielle car elle « réduit les coûts de transaction » : si j’ai confiance en vous, je chercherai moins à me protéger, à me barder de protections juridiques, réglementaires, par mail ou autre, et notre relation sera beaucoup fluide et efficace. C’est donc une ressource d’économie de temps, d’argent, d’efforts, etc.

Mais comment créer la confiance ? A mon sens, ce qui est formidablement créateur de confiance, c’est la capacité des entreprises à favoriser l’expression de leurs collaborateurs, à générer du dialogue. Le terme de dialogue est beaucoup plus fort que celui de conversation : il embarque l’idée d’un enjeu commun, d’échanges, d’éléments plus fondamentaux que la simple notion de conversation, plus superficielle et « gratuite ».

De ce point de vue la France est en retard. Les comparaisons internationales montrent que les Français sont beaucoup plus nombreux que les autres salariés occidentaux à déclarer « Dans mon entreprise, si je dis ce que je pense, je risque d’être mal vu ». Seuls les Chinois partagent ce point de vue dans les mêmes proportions que les Français ! Sans libération de la capacité d’expression des collaborateurs, sans encouragement du dialogue, sans leur donner le sentiment qu’ils seront entendus (et qu’ils ne feront pas l’objet de mesures de rétorsion), vous ne pouvez pas créer la confiance.

*Etude réalisée à l’occasion du Top Com Corporate Business de février 2013 autour du thème « Advocacy et réseaux sociaux »

Chiffres clés :

100
En moyenne, un Français a environ cent amis sur les réseaux sociaux, pour les jeunes, 200. Le volume de conversation sur les réseaux est beaucoup plus important chez les jeunes. Le nombre d’amis également. La génération entre 50 et 60 ans utilise maintenant beaucoup Internet, avec une présence sur les réseaux.

Une entreprise, une marque connue, médiatique, sous les feux des projecteurs est davantage l’objet de conversation, et les marques B to C davantage que les marques B to B, parce qu’elles sont dans la vie courante.

A découvrir bientôt, le Hors Série INfluencia sur la Conversation

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