« Ce que cache mon langage, mon corps le dit ». Roland Barthes dans « Fragments d’un discours amoureux » est clair : les mots n’ont pas l’exclusivité. Et depuis un certain temps, plusieurs marques préemptent l’importance du corps, au point de se l’approprier dans leur code de communication. Selon leur univers et leur cible, la palette de leur expression est large. Mais réinvestir le corps est un moyen de parler d’elles et de partager avec plus d’authenticité, de chaleur, de réalité.
D’ailleurs, INfluencia a récemment abordé cette quête du mouvement ou du geste comme source d’émancipation pour les consommateurs, avec Secret Handshake et la tabelette Uniqul.
Dagobert s’est aussi penchée sur ce nouvel intérêt pour le corps, et décrypte dans son étude, Réinvestir le corps, comment en s’affirmant et en se libérant, ce fameux corps raconte une autre histoire, et permet aux marques d’incarner proximité, dynamisme et sincérité. « Tout commence avec l’abandon de la vision systématique du corps parfait, distant, statique », explique Jérémie Abric, directeur de la stratégie, « c’était un simple faire valoir pour la marque qu’on se contentait de figer sur du papier glacé ». Or, l’idée qu’il est vivant et mouvant a émergé. Notamment parce que les consommateurs englués dans la réalité, ont besoin de retrouver le sourire, de sortir de leur torpeur, de se faire plaisir et de s’assumer sans agressivité ni transgression. « Et de « texte » en qualité de corps promis par la marque, il devient « prétexte » et raconte désormais une identité, une histoire qu’elle revendique », complète Laure Frémicourt, planneur stratégique.
Une nouvelle expression corporelle libérée, portée par trois grandes tendances complémentaires et sources de prises de parole variées, créatives voire très décalées.
Première tendance : la danse
Synonyme de mouvement perpétuel dans le temps et l’espace, de performance, d’intériorité et de multiplicité, elle est un territoire d’expression et de réalités qui va bien au-delà de ce qu’un corps fixe ou de simples atours peuvent évoquer. A commencer par la légèreté (d’esprit), l’accomplissement (physique ou moral), le rythme (du quotidien). « C’est la maîtrise et la fantaisie, comme un pas fait de côté pour prendre du recul», souligne L. Frémicourt « Elle permet un prolongement de soi et une adaptation au contexte ». Asos et son Urban tour des capitales européennes, Uniqlo et son Comptoir autour de mademoiselle, Puma et son Dictionnary, mais aussi Dim, Opi, Lexus, Longchamp, Sodebo, Eram font ainsi la traduction littérale et artistique de la danse comme langage.
Toutefois, elle n’est pas toujours le centre du sujet. Elle peut s’infiltrer, grâce, par exemple, au montage de la campagne qui devient dansant. Nombreuses marques créent ainsi une chorégraphie ancrée dans le rythme du quotidien, comme Desigual ou Hema Fashion.
« Le corps dansant est essentiel pour aujourd’hui et demain », insiste L. Frémicourt « car il est l’expression de soi par delà l’identité, et il évoque le matériel contre les appréhensions de l’immatériel et de la virtualisation des corps ».
Deuxième tendance : le corps positif
Ou comment révéler le bonheur de l’âme à travers un corps affirmé, plus heureux -même avec ses imperfections- par opposition à la rigidité et la froideur du corps idéal.
« Un nouveau corps féminin libéré des carcans semble éclore », note L. Frémicourt « où la beauté passe par le bonheur, une féminité pop et souriante. A la fois support de l’âme, de l’action, du risque. Et comme un « it-bag », les marques vont montrer le nouveau « it-corps » à adopter ».
Plusieurs outils enclins à l’évolution, au naturel, au négligé, comme la couleur (Séphora avec « « Color Obsession », Morgan avec « Happy is the new chic », Lois avec « Colour your life »), le droit à l’erreur (American Vintage avec « I’m on the pursuit of happiness », La Halle avec « Comme les françaises sont jolies »), l’épanouissement (Guerlain et « La petite Robe Noire », Nocibé, Desigual) ou le dépassement (Saga, Adidas, Séphora) vont être les fers de lance des message des marques.
C’est à la fois l’affirmation de soi tel qu’on est et tel qu’on s’imagine. Grâce à cette posture, on explore ses limites, on avance avec audace. Décomplexé, on veut réussir. Cette injonction du bonheur, sous tendue par cette nouvelle perception du corps est récurrente dans les campagnes. « Et face à cet impératif catégorique voire imposé aux femmes, ce concept du corps positif va, à l’avenir, se nuancer grâce à l’ironie et à la distance mise vis-à-vis de cet appel au bonheur », annonce L. Frémicourt.
Troisième tendance : Le corps animal
Elle pose la question de l’homme, animal comme les autres. Et en effet, aux corps éduqués, civilisés se substituent des corps métissés : mi-homme, mi-animal. Une représentation plus sauvage, instinctive où il n’y a ni agressivité ni transgression.
On est davantage dans une relation apaisée et de continuité avec un rapprochement naturel des corps. « C’est un véritable rapport à la vérité, une tentative de déconnexion de la virtualité et de tout ce qui ne pourrait pas être authentique », explique J. Abric.
En revanche, c’est aussi l’occasion de tendre vers l’étrangeté ou le décalage avec des interprétations qui puisent leur inspiration dans le zoomorphisme, l’anthropomorphisme, l’hybridation. « C’est un corps libre de se travestir, comme un jeu de « je » », détaille L. Frémicourt. L’occasion d’exploiter des registres comme l’humour, le sensoriel, le mimétisme, la parité. Un petit jeu auquel se prêtent des marques comme Axe, Edun, Murlberry, Lois, Lolita Lempicka, Acne ou Adopte un mec.
Si ce rapprochement fait perdre de son animalité à l’animal, il interpelle sur son statut vis-à-vis de l’humain. Il en est ainsi des fourmis qui protestent chez WWF, d’un Karl Lagerfeld qui envisage d’épouser son chat ou d’Usbek & Rica qui interroge le destin animal sous le signe de l’affranchissement. « Finalement les animaux ne seraient-ils pas des humains comme les autres mais coincés dans leur corps ?», concluent les auteurs.
Florence Berthier
Réinvestir le corps from Dagobert