5 février 2014

Temps de lecture : 3 min

L’homme transforme les réseaux… transforment l’homme… transforme les réseaux…

Le contact entre les individus dépend de plus en plus des réseaux digitaux. Ceux-ci permettent, de façon quasi-instantanée, une mise en relation située à de très grandes distances les uns des autres...

Si l’homme considère ces réseaux comme des outils facilitateurs, il ne se doute pas que ces réseaux le transforment lentement de l’extérieur comme de l’intérieur. La cybernétique nous explique que comprendre un système, c’est comprendre ses éléments constitutifs : l’information et les principes d’interactions (IHM). Aussi, dès les premiers ordinateurs créés, il a fallu interagir avec eux via des cartes perforées et des bandes magnétiques. Cliquetis permanents, grincement des dérouleurs à cassette, odeurs de mécanique huilée… Puis s’imposa le paradigme WIMP (Windows, Icons, Menus and Pointing device) qui permit l’utilisation d’interfaces nous rapprochant de la machine (souris et clavier) et imposant l’idée de micro-informatique. Rondeur et chaleur de la souris, bruissement permanent du ventilateur, bip du bios, ou encore générique sonore du lancement du système d’exploitation. Des IHM synesthésiques encore.

Et puis l’arrivée du mobile, présence permanente « non intrusive », va réduire peu à peu les sensations de l’IHM. Les interfaces vont devenir lisses, plates. Le règne du flat design. Les boutons vont également s’effacer peu à peu de nos chaînes hi-fi, de nos télévisions, ordinateurs et même de nos voitures, conçus en verre par des designers de HUD (head-up display). Les mains s’agitent désormais devant la Kinect, la Leap Motion et nos doigts tapent sur du verre connecté. Seulement, en perdant de la substance, ces interfaces génèrent déjà des néo-malaises, des troubles compulsifs obsessionnels comme la fameuse Ring-xiety (ou Hypovibochondria), perception de vibrations fantômes de votre mobile…

Le contact permanent de l’homme avec le réseau

Le réseau, déjà installé de façon omniprésente dans notre poche, se rapproche peu à peu de nous pour se fixer autour de notre poignet (Jawbone, WristQue, iWatch), sur notre nez (Google Glass) ou non loin de notre cerveau (Muse). Il finira par s’incruster dans nos vêtements, qui deviendront connectés et fashion (Valencell). Car même si la culotte Fundaware de Durex ressemble plutôt à un grattage de Tac-o-Tac, les wearable technologies sont là, sur nous. Et puis un jour, oubliant le tabou du corps, ces interfaces viendront se coller sur notre peau : d’abord sous forme de tatouages RFID pour la traverser, puis par des implants connectés en permanence au réseau pour nous y faire participer. Car ces interfaces ne seront plus des outils passifs. Douées d’une certaine forme d’intelligence, elles vont écouter nos directives, nos ordres (Siri, Google Voice Search) avant de les devancer (Google Now, MindMeld, Urban Airship) en anticipant nos prochaines actions à partir de notre comportement passé. Alors, abreuvé de sensations virtuelles, d’incitations à la consommation, le transhumain connecté et stimulé en permanence perdra peut-être le goût du contact physique et aseptisera (pour les contrôler) tous les stimuli sensitifs qui lui viendront de l’extérieur, déformant à jamais les contacts avec ses contemporains.

Le changement inéluctable de proxémies

Mais alors quelles seront les interactions humaines du futur ? La question se pose en fait aujourd’hui : envoyer un mail, répondre à un tweet, liker un billet de blog, sont-ce des simulations de contact ou de véritables interactions  ? Edward T. Hall définissait la proxémie comme la distance physique entre les hommes durant une interaction. Mais quelle est la proxémie d’un sexto  ? Liker le post de la page d’un ami, est-ce rentrer dans sa sphère physique intime ou au contraire rester dans la sphère publique ? D’après Hall, les proxémies sont culturelles et varient selon les époques. Il est donc naturel qu’elles changent. Mais avec les modifications de ces proxémies sociales, ce sont nos mondes sensoriels, basés sur elles, qui vont se modifier. L’homme est-il prêt à abandonner une partie de ses sens ?

Non, car l’homme a un besoin vital d’interactions tactiles avec d’autres individus. Aussi, des mouvements reconstruisent d’ores et déjà le plaisir des sensations tactiles, de l’objet que l’on caresse, des textures que l’on touche : les makers et leurs fablabs nous redonnent le goût de la manipulation collective de matières brutes – tellement éloignées de la pureté simulée du verre électronique. La révolte viendra des créateurs de nouvelles interfaces véritablement ergotiques, prenant pour modèles des FUI (Future User Interface) issues de la science-fiction. Potentiomètres à tourner, manettes à abaisser, boutons qui clignotent avec des bruits d’ampoules, bargraphes à aiguilles, sonorités Dopler. Le retour des sens. L’idéologie de ces créateurs est claire : faire reprendre sa place au réseau digital. Mais parviendront-ils à réconcilier le plaisir des sens, l’utilité de l’outil et la maitrise d’un réseau omniprésent, omniscient et omnipotent ?

Cyril Rimbaud

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