19 mars 2014

Temps de lecture : 4 min

Réinventer la France

La réinvention de la France est à la fois nécessaire et possible. La tâche est complexe mais elle est la condition pour éviter une révolution. Analyse de Gérard Mermet, fondateur de Francoscopie et auteur de "Réinventer la France" (manifeste pour une Démocratie Positive)*

Nul ne peut sérieusement prétendre, aujourd’hui, que la France est sur le point de sortir de l’ornière dans laquelle elle est progressivement tombée. On peut, au contraire, penser sans être « décliniste » que la patrie est en danger. Comment en sommes-nous arrivés là ? Ma conviction est que certaines de nos singularités et « exceptions » nationales, qui ont longtemps été des atouts, sont devenues des handicaps : irréalisme, « petisme », hédonisme, culte des « avantages exquis », culture de l’affrontement, « polémisme », amoralisme, principe de précaution… Ces traits de notre caractère national nous paralysent, nous empêchent de remettre en question le présent pour préparer l’avenir.

Notre société est à la fois une « non-société » et une « société du non », ce qui n’est pas moins inquiétant. Nous ne parvenons plus à vivre ensemble, nous tendons à nous diviser plutôt qu’à nous rassembler, à nous opposer plutôt qu’à chercher en commun des solutions. Nous manquons de repères, de perspectives, mais aussi souvent de bonne volonté, de bon sens et de bonne foi. Notre « modèle républicain » est à l’agonie, incapable de tenir ses promesses. Avec l’ensemble des acteurs (partis, institutions, entreprises…) et des intermédiaires (élus, syndicats, médias…), nous portons tous une part de responsabilité dans la situation délétère de notre pays.

L’autre cause de nos difficultés (qui n’est pas indépendante de ce qui précède) est la voie politique traditionnelle devenue une impasse. Les partis se déchirent entre eux, mais aussi en leur sein. Leurs dirigeants sont incapables de mettre en place l’« union sacrée » ou la coalition dont nous avons besoin. Cela impliquerait qu’ils oublient (au moins pour un temps) leurs certitudes et leurs querelles de personnes, pour s’intéresser enfin à l’intérêt général. Leur inaptitude fait le lit des partis extrêmes et populistes, dont les propositions représentent un risque important pour l’avenir.

Quels remèdes ?

Alors, que faire pour réinventer la France, afin qu’elle épouse le XXIème siècle et cesse de se laisser distancer ? Cela passe par la refondation de la démocratie, qui est à la base de tout. C’est pourquoi, je propose, dans cet essai, la création d’une démocratie positive. Un système qui s’inscrira logiquement dans l’ère collaborative dans laquelle nous sommes entrés, et qui est déjà en train de transformer les modes de vie, la consommation, le fonctionnement des entreprises et de l’économie. L’application de ce nouveau modèle à la politique et aux relations entre l’État et les citoyens peut nous faire sortir de la spirale du déclin, en prenant appui sur notre intelligence collective potentielle. Il pourra être l’un des fondements d’un projet plus global, que j’ai baptisé Grand Pacte Social (GPS). Comme ses initiales l’indiquent, il nous permettra de savoir où nous nous situons et nous indiquera le chemin vers la destination que nous aurons choisie ensemble.

L’idée qui traverse ce livre est que la « sortie de crise » n’est pas tant liée au choix des réformes à conduire qu’à la capacité de les faire émerger de la population, afin qu’elle y adhère et facilite leur mise en œuvre. Car cela change tout. Chacun pourra apporter son concours à la réflexion générale, proposer des idées, discuter sereinement de celles des autres (et prendre conscience que personne ne détient seul la « vérité »), puis de les expérimenter. Je propose, d’ailleurs, de transformer le « principe de précaution », stérilisant, en un principe d’expérimentation, stimulant. Cette refondation de la démocratie n’est pas une utopie. Une enquête réalisée à l’occasion de la sortie du livre (*) a confirmé que les Français y sont très favorables. 83% estiment qu’il faudrait « donner davantage de pouvoir aux citoyens » afin d’améliorer son fonctionnement. 56% en donneraient plus aux experts (scientifiques, économistes, urbanistes…), 38% aux organisations syndicales de salariés, 17% aux syndicats patronaux. Et 14% seulement aux responsables politiques…

Et les Français ?

Surtout, les Français se disent prêts, à 84%, à « participer davantage aux processus d’élaboration des politiques publiques en contrôlant la mise en œuvre des politiques et en jugeant de leur efficacité ». 83% souhaiteraient le faire en « choisissant entre différentes propositions issues de ces concertations ». 81% seraient prêts à « expérimenter de nouveaux modes de participation démocratique (vote électronique, référendum d’initiative populaire, budget municipal collaboratif…) ». 75% seraient d’accord pour « répondre à des consultations, forums et autres formes de concertation publique (dans le « monde réel » ou sur Internet) ». Enfin, 69% souhaiteraient « proposer des idées en vue de l’élaboration de ces politiques publiques ».

La réinvention de la France est donc à la fois nécessaire et possible, dans une société devenue horizontale et collaborative, grâce notamment à la révolution numérique. Il s’agit de permettre aux citoyens de s’approprier individuellement le processus d’adaptation au monde nouveau, et de dessiner collectivement la place que leur pays doit y jouer. Cela nécessite de transformer la démocratie pour la rendre « positive ». Cela implique aussi de « réformer la réforme ». La méthode à mettre en place est, en effet, au moins aussi importante que le choix des actions à mener. Celle décrite dans le livre a pour but de créer les conditions psycho-sociologiques de la mobilisation générale, de redéfinir le rôle de l’État (plus animateur, modérateur, fédérateur que centralisateur, décideur, législateur), sa structure, son fonctionnement et ses procédures, de mettre en œuvre de nouveaux modes de collaboration et de consultation des citoyens. La tâche est complexe, mais elle est la condition pour éviter une révolution, avec les catastrophes qui l’accompagneraient.

Gérard Mermet, sociologue, directeur et fondateur du cabinet d’étude et de conseil Francoscopie. Spécialiste de l’analyse des modes de vie, de la consommation et du changement social, il a rédigé une trentaine d’ouvrages dont Francoscopie (14 éditions depuis 1985, Larousse). Il vient de publier Réinventer la France (manifeste pour une Démocratie Positive) aux éditions de l’Archipel.

(*) Sondage réalisé par Harris Interactive pour les éditions de l’Archipel et Gérard Mermet, en décembre 2013, auprès d’un échantillon représentatif de la population française. L’enquête témoigne aussi de la faillite des du modèle républicain, de l’insuffisance de la démocratie. Résultats complets disponibles sur francoscopie.fr.

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