Avec la SNCF, tout est possible ? Aux Etats-Unis, oui… Montez dans l’un des trains de l’Amtrak à Philadelphie et vous aurez le droit à une expo d’art gratos sur les murs de plusieurs immeubles jonchés le long des rails ! « Il y a des choses que nous pouvons faire mieux que les autres moyens de transports concurrentiels, comme par exemple offrir à nos voyageurs un engagement plus profond avec le paysage », justifie dans le Wall Street Journal Stephen Gardner, vice-président de la société ferroviaire publique américaine. En endossant le costard de mécène des arts, l’entreprise d’Etat née en 1971 déroule le tapis rouge à son slogan : « Enjoy your Journey » !
Intitulée » Psychylustro » par l’artiste aux manettes, la quinquagénaire allemande Katharina Grosse, l’œuvre d’art recouvre plusieurs pans de murs d’immeubles désaffectés, dans les quartiers nord de Philadelphie. Financée par l’Amtrak, le National Endowment for the Arts et cornaquée par le Mural Arts Program de la ville, l’immense fresque est terminée depuis le 16 mai. Elle a coûté plus de 230 000 euros et aura nécessité le travail de huit artistes à temps plein sur sept sites différents, qui tous étaient déjà recouverts de graffitis. Katharina Grosse est donc en charge de transformer des années de street art urbain en une œuvre cohérente et plus classique.
Pensée et peinte (à la bombe) pour être vue, regardée et perçue dans un train en mouvement, Psychylustro sera appréciée ou détestée par plus de 34 000 personnes tous les jours. L’ironie artistique de l’initiative, c’est que le Mural Arts Program est de l’opération alors que le programme municipal, qui fête ses trente ans cette année, défend et promeut la cause des graffitis et des artistes de rue depuis 1984.
Un désastre en relations publiques
Pour l’Amtrak il s’agit bien évidemment d’augmenter la valeur ajoutée du temps passé dans ses trains par ses usagers. La fresque fera réagir, suscitera la conversation, l’interaction et forcément, accroîtra (normalement) l’engagement avec ses passagers. En finançant l’œuvre, l’entreprise ferroviaire exporte l’expérience en dehors de ses wagons. Reste maintenant à connaître la durée de vie de chaque mur : un mois, six mois, un an ? Impossible à dire. Les murs vont-ils subir l’érosion, être recouverts de graffitis, happés par la gentrification ? Personne ne le sait encore. Avant de commencer à jouer les Médicis, l’Amtrak avait déjà entamé sa mue en promoteur de la créativité. En mars, la société contrôlée par l’Etat fédéral a lancé un programme réservé aux écrivains. Le principe ? Offrir la gratuité du transport à tous les auteurs inspirés par les rails et qui durant leur séjour dans le train, ont écrit une partie ou l’entièreté de leur livre. Inspirée par le romancier Alexander Chee, l’initiative suscite la curiosité et l’intérêt des écrivains, si l’on en croit PBS.
Mais il y a un hic et de taille, l’Amtrack conserve les droits sur tout contenu produit grâce à son programme. Le transporteur assure qu’il consultera tous les auteurs concernés en amont avant d’utiliser éventuellement leurs contenus, mais le droit est dans son camp. Et cela refroidit glacialement les ardeurs. Vouloir rendre une cible heureuse pour s’en faire finalement un adversaire, en deux mois seulement le programme de l’Amtrak pourrait bien commencer à ressembler à un joli bide en RP….
Benjamin Adler / @BenjaminAdlerLA
Rubrique réalisée en partenariat avec l’Agence ELAN
Pour retrouvez les créations de Katharina Grosse, cliquez sur l’image