L’innovation en matière de format et de narration est souvent là où on ne l’attend pas. On a longtemps parlé de digitalisation de la TV, de l’exigence du prolongement digital des programmes TV. Et si finalement on assistait aujourd’hui à une « hollywoodisation » des contenus digitaux ? Autrement dit, à l’émergence d’une exigence et d’une structuration du storytelling de type programme TV sur le digital ? Les initiatives de production « digital native » se sont multipliées ces dernières années. L’explosion des MCN en est une preuve. Il suffit aussi de regarder la place qu’a pris un pur player digital comme AwesomenessTV sur les « teens ».
On est même arrivé à une situation que Mark Schaeffer dans son livre « Content shock » décrit comme le temps de l’inflation des contenus digitaux, avec le risque d’une offre exponentielle de contenus avec, en parallèle, une capacité de consommation limitée. On aurait donc finalement un risque de décroissance de la consommation de ce divertissement. Face à ce risque mais surtout pour répondre aux attentes des audiences digitales la production de l’entertainment digital s’est « hollywoodisée » ou si l’on préfère « télévilisée ». L’exigence qualitative des contenus TV s’est déplacée sur la production digitale : en matière de storytelling, d’innovation, de rebond narratif, d’arche, de profondeur des personnages, de construction d’audience, de fidélisation des « spectateurs » …
Il n’y a pas eu d’OPA de la TV sur la narration digitale
Il est intéressant de constater que cette « hollywoodisation » des contenus digitaux ne se fait pas par soustraction ou acculturation mais par addition ou enrichissement réciproque. Il n’y a pas eu d’OPA de la TV sur la narration digitale. Tout d’abord, les exigences narratives des formats dit « web série » n’ont jamais été aussi élevées. Ainsi dans la série dramatique East Los High diffusée sur Hulu où 2 jeunes filles d’un quartier défavorisé de Los Angeles tombent amoureuse d’un sportif connu, on retrouve le système narratif caractérisé de la TV et sa qualité créative mais à partir d’une structuration et d’une mécanique feuilletonesque de type « web » : sur le rythme, l’interpellation du public, sur les rebonds et sur la forme (12 épisodes).
C’est la même chose pour The Awesomes, toujours sur Hulu, où les super héros maladroits auraient pu être les personnages d’une production TV. La BBC (« BBC iPlayer ») a lancé de son côté la production d’une sitcom People Just Do Nothing dont la construction narrative, les cliffangher et les exigences de production n’ont rien à envier à la TV. D’ailleurs cette série sera (re)diffusée après le digital en TV cet automne. Beau pied de nez ! Ici encore « l’hollywoodisation » se fait par addition des particularités plutôt que par soustraction. Malgré les apparences, le phénomène n’est pas propre aux fictions, il se produit aussi dans des formats non-fictions comme le talk show « What Now? » avec Katherine Schwarzenegger diffusé sur Popsugar (Youtube) où la construction et les images sont celles de la TV.
C’est aussi le cas du talk show Five Things I Always Wanted To Ask You, Mom sur Youtube où les célébrités demandent à leur mère ce qu’elles ont toujours voulu savoir sans jamais oser le demander. Formidable format que l’on aurait pu retrouver sur une chaîne TV si les grilles étaient plus ouvertes et créatives. Les particularités du média de diffusion (Internet) ne sont pas effacées dans ces talk show, l’interactivité et la participation des audiences sont très développées et les mises en ligne sont simultanées pour tout ou partie de la saison. Le parcours d’expériences de divertissement est définitivement plus riche ici qu’en TV.
Les stars créent des nouveaux formats sur le net
Les vedettes ne s’y sont pas trompées en venant développer sur le digital de nouveaux formats. Ainsi, le très « TV Cooker » Jamie Oliver a développé avec un succès un « food tube channel » en 2013 : Drinks Tube. Le comédien Steve Buscemi, après la série formidable « Boardwalk Empire » sur HBO va travailler avec Aol.com pour développer une série originale qui se passera à New York, Park Bench. Programme que l’on aurait pu trouver sur une chaîne TV
Les auteurs confirmés désertent aussi la TV pour trouver sur le digital un champ d’expression plus libre et plus riche. C’est le cas par exemple de Michael Connellys qui va adapter son personnage de roman à succès Harry Bosch, non pas avec l’un des networks américains mais avec Amazon sous forme de 10 épisodes. Belle révolution. Les adaptions de livres à succès ne sont plus aussi le territoire unique des TV, les chaines Youtube s’y mettent avec succès. Ainsi par exemple, le livre Morganville qui va être adapté par la chaîne Youtube Geek & Sundry. Intéressant de souligner que cette adaptation se fera avec de vrais pros d’Hollywood : Amber Benson (Buffy the Vampire Slayer) et Robert Picardo (Star Trek).
Les marques profitent de la créativité digitale
Les marques sont conscientes des conséquences pour elles de cette « hollywoodisation » des contenus digitaux. Elles vont pouvoir profiter de la créativité digitale tout en bénéficiant des exigences qualitatives et des codes confirmés des « TV Show ». Ainsi Macy’s qui a lancé avec l’un des leader Youtube, Marker Studio, une série de « talent show » dans l’univers de la mode et de la beauté (The Next Style Star). Ou Heineken avec The Guest of Honor qui mélange les codes de la TV réalité avec les concepts digitaux de l’interactivité, de l’engagement, du partage…
Mais c’est aussi le cas pour une série très attachante An & Rias’s First Flight pour Vodafone. On y retrouve les codes du storytelling documentaire TV tout en développant une narration « digital native » par son humour et son rythme. Peugeot avec « Kick It Brasil » ou Subbway avec « Fresh Artists » ont aussi retenu la leçon : une expérience digitale riche, engageante, une histoire avec des rebondissements dans les codes du digital tout en (ré)introduisant les mécaniques narratives, feuilletonantes des Show TV. Le défi n’est pas simple, il s’agit de marier deux univers qui se sont trop longtemps snobés et regardés en chien de faïence. L’un pensant que l’autre n’était fait que de jeunes naïfs et l’autre pensant remplacer le vieux monde.
« L’hollywoodisation » de l’entertainment digital, c’est une rencontre entre la notion d’expérience, d’engagement, de parcours d’usage multi-écran et le système narratif très codifié de la TV : structure sérielle, boucle et circuit narratif, mythologie, intrigue courte et longue. Les opportunités sont fortes et riches pour ceux qui sauront s’inscrire dans cette « hollywoodisation ». Reste à voir comment ce nouveau paradigme saura définir et développer une monétisation très hollywoodienne ! A suivre donc…
Jacques Kluger / @JKluger
Directeur des exploitations dérivées et de la diversification, Telfrance
Rubrique réalisée en partenariat avec Telfrance