Depuis le dernier épisode des « Sopranos » en 2007, jamais une série TV diffusée sur la chaîne HBO aux Etats-Unis n’avait réussi un tel carton d’audience : 8,2 millions de téléspectateurs pour le lever de rideau de la dernière saison de « Game of Thrones ». La série déjà culte constitue un modèle de succès artistique, critique, populaire et commercial. Et pourtant, certains YouTubers font encore mieux, dans un parfait anonymat médiatique. Le grand public ne les connaît pas mais ils drainent en ligne des millions de fidèles, qui pour les marques représentent une communauté enviée et courtisée.
Connaissez-vous les rockeurs de « We the Kings » ? Nous, non ! Là encore, nous serions tentés d’écrire, « et pourtant » : quelques jours après la sortie sur iTunes d’un album financé par une campagne sur le site de crowdfunding Indiegogo, le groupe a détrôné Beyonce, qui sans prévenir, avait décidé de lancer son cinquième album sur la plate-forme d’Apple en exclusivité mondiale. Sans les millions de dollars des budgets marketing dépensés par les grands studios et les maisons de disque, YouTubers, Viners et autres créateurs online établissent des records d’audience. Sur leurs plates-formes, ils profitent de leurs vues pour construire leur marque en accord avec leur propre vision.
Ce n’est pas un hasard si depuis 2013 le magazine Billboard intègre les vidéos You Tube dans son célèbre Hot 100. Face à un David comme la sensation Traphik, les Goliath ne sont plus invincibles. Investie par les sponsors et les pros de la com, Vine et ses 40 millions d’utilisateurs a hissé une poignée d’inconnus au rang de stars, à qui les Inrock a consacré un très bon papier le mois dernier. Que ce soit le Californien Zach King qui réinvente la magie en 6 secondes, l’humoriste Britanny Furlan, l’homme-orchestre Nicholas Megalis ou le chanteur de Boy’s Band Nash Grier, ils peuvent tous encaisser jusqu’à 4000 dollars d’un annonceur pour une simple mention sur leur chaîne.
Oublié par les médias et anonyme pour le grand public, ce star system social – avec ses agents digitaux comme Sarah Penna- est devenu pour les marques un fantastique levier d’engagement. Pour le premier réseau mondial de contenu de format court online, Maker Studios, égérie des Millennials, You Tube, Vine et les autres plates-formes digitales de création constituent un nouveau marché complémentaire de la télévision. INfluencia a rencontré Erin McPherson, sa Chief Content Officer, pour comprendre les enjeux.
INfluencia : Les YouTubers sont-ils une mode temporaire ou un phénomène durable ?
Erin McPherson : Ce n’est pas absolument pas une mode passagère. C’est un nouveau support durable pour les jeunes mais plus seulement. Nous faisons 6,5 milliards de vues par mois et si les Millennials constituent encore la majorité de notre audience, la démocratisation du contenu vidéo sur mobile grandit chez les autres catégories de population. Cette tendance va donc durer. Idem pour le contenu personnalisé qui est né et a grandi sur You Tube et devient un format commun.
INfluencia : Mais quel est l’impact de la qualité du contenu sur la pérennité de cette tendance ?
Erin McPherson : Notre stratégie est de segmenter nos chaînes en plusieurs catégories comme pourrait le faire une chaîne de télévision câblée. Nous avons 23 verticales, que ce soit les jeux, le sport, l’info, la mode, le divertissement… La demande augmente, donc notre offre va encore se développer et encore plus se diversifier. Ce qui nous rend différent de la TV, c’est que nous sommes capables d’identifier quel contenu est tendance et dans quel domaine, pour ensuite créer une nouvelle verticale. Comme les autres elle viendra de la base, de notre audience.
Par contre, ce qui nous rapproche de la TV c’est que nous dépensons beaucoup d’argent dans la production de notre propre contenu. Nous sommes un peu comme les chaînes câblées à leur lancement, elles diffusaient surtout du contenu de licence à bas coût. Lorsque l’audience et la demande ont progressé, la valeur publicitaire a elle aussi grossi, obligeant le contenu à se développer et à s’améliorer. Le processus est identique dans notre marché. Notre vision c’est que dans trois, cinq ans, tous les contenus seront accessibles sur la même plate-forme : vous pourrez simultanément regarder la télévision et votre programme préféré online, tout va fusionner. Ce mélange des contenus, entre You Tube, Netflix, la VOD et la TV, nous le voyons déjà chez les 13-34 ans et même chez la génération Z.
INfluencia : Qu’apportent aujourd’hui de plus les YouTubers par rapports aux studios et aux marques ?
Erin McPherson : Ils apportent de l’authenticité et de l’honnêteté. Leur contenu vidéo est une communication de un contre un mais qui s’adresse à des millions. Je vous donne l’exemple d’une de nos stars, Camila. Elle a une chaîne en portugais et en anglais car elle est brésilienne mais vit aux Etats-Unis. Elle décrit son audience comme des amis et la traite comme des amis. Cette connexion est unique à You Tube et c’est avec elle que nous développons ensuite des formats plus télévisuels. Maker marie les deux : le You Tubeur apporte l’audience, nous apportons la production, le développement créatif et la data.
INfluencia : Justement, en parlant de data comment mesurez-vous l’efficacité d’une opération avec un You Tubeur, et donc le ROI ?
Erin McPherson : Nous avons des outils en interne qui fournissent aux créateurs et aux annonceurs des datas très développées et une analytique précise. Ils savent qui regardent quoi, quel est l’engagement et la monétisation, quel contenu fonctionne mieux que l’autre, à quel moment il est plus approprié de diffuser la pub…
INfluencia : L’audience dont vous parlez représente une communauté très loyale. Elle intéresse logiquement les marques, mais en mettant la main sur le contenu comment peuvent-elles s’assurer de conserver cette fidélité ?
Erin McPherson : C’est un équilibre difficile, j’en conviens. Maker laisse ses talents diriger ce processus car instinctivement ils savent ce que leur communauté peut tolérer. Les marques veulent diffuser un message, il faut donc trouver le juste milieu. C’est ce que nous faisons. Quand c’est bien fait, c’est génial car cela allie un contenu de qualité à un levier de diffusion du message. Alors oui, c’est plus du travail mais la récompense en vaut la peine. Il faut faire confiance à nos talents car ils connaissent très bien leur public. Ils l’écoutent. Entre les deux, c’est une conversation. La marque doit être un partenaire de discussion, c’est aussi simple que ça.
INfluencia : Les YouTubers sauront-ils toujours où se situent les barrières, sans jamais perdre de leur créativité ?
Erin McPherson : Certains sont plus tolérants que d’autres et cela dépend aussi du genre de contenu. Les chaînes de beauté par exemple constituent un support attractif pour les marques car leur contenu va forcément parler de produits, surtout pour le maquillage et les crèmes. Notre mission est aussi de guider les créateurs, de leur dire ce qu’ils peuvent faire sans que cela impacte leur audience, ou l’inverse.
INfluencia : Pourquoi selon vous une marque doit-elle considérer du contenu You Tube comme un meilleur levier d’engagement ?
Erin McPherson : Ce n’est pas juste le contenu You Tube mais celui online, incluant d’autres distributeurs comme AOL, Yahoo… Tous constituent un écosystème qui permet aux annonceurs de toucher des poches d’audience qu’ils ne pourraient pas cibler avec la TV, la radio ou le print. Pourquoi ? Parce qu’il existe aujourd’hui des segments d’audience qui deviennent assez isolés et difficiles à toucher, spécialement ceux qui n’engagent pas du tout avec la TV. L’online peut aider à toucher ceux qui regardent la VOD, le contenu en ligne et zappent les pubs. Oui, cette audience se rajeunit de plus en plus, elle n’a plus besoin de la télévision câblée.
Maintenant, le contenu n’est pas gratuit et nous allons je pense, voir se développer de nouveaux modèles publicitaires en ligne : cinq minutes de contenu brandé au début du film et deux moitiés de film ininterrompues. Ce genre de format encourage le visionnage car la pub n’est plus intrusive. C’est pour cela que l’online est le parfait complément de la télévision, qui reste pour moi reste très importante. Si je suis une marque, je veux être sur les deux. Dans le cas contraire, je rate quelque chose. Ce n’est pas « ou » mais « et ».
Benjamin Adler / @BenjaminAdlerLA
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