La résistance contre les abus de Photoshop s’organise. Avec son appel à proscrire le logiciel de retouche, The Brave Girls Alliance sollicite un engagement formel des marques pour la beauté authentique.
Le succès, entre autre, de la campagne “ The Real Beauty ” de Dove prouve que vérité et honnêteté parlent aux consommateurs, elle n’a pas réussi à vraiment modifier l’image de la femme dans la pub et les médias. Et même si les « selfies » sont photoshopés, alors peut-être Voltaire avait-il raison : après tout la beauté ne serait-elle qu’un piège tendu par la nature à la raison ? Dans nos sociétés exhibitionnistes l’image est une reine inquisitrice qui envoie à la guillotine les lois immuables du temps et les imperfections perfides de Dame nature. Pour les étoiles féminines du showbizz qui ont en partie construit leur starification sur leurs corps, aucune défaillance iconographique n’est tolérée.
La preuve avec la polémique qui, outre-Atlantique entoure les icones Beyoncé et Kim Kardashian, accusées d’avoir retouché des selfies postés sur… Instagram. En mars dernier, Target avait dû présenter ses excuses après la retouche risible d’un graphiste zélé sur un mannequin pour lingerie, preuve que le combat anti-Photoshop défendu par « The Brave Girls Alliance » passe déjà et avant tout par les marques. C’est pour changer les mentalités dans la publicité mais aussi les médias que l’Alliance sollicite depuis le 23 juillet un engagement officiel des acteurs concernés.
En plus d’un mois, la pétition « Heroes Pledge For Advertisers » a convaincu douze signataires dont ModCloth, devenu très récemment le premier acteur du prêt-à-porter à s’engager pour la beauté authentique. L’appel de « The Brave Girls Alliance » sollicite chez les acteurs de la mode, de la pub et des médias, la promesse de ne pas utiliser Photoshop pour modifier l’apparence des modèles. Chantre de la démocratisation de la mode, ModCloth implique sa communauté online dans chaque processus de fabrication, notamment grâce aux programmes participatifs « Make The Cut » et « Be The Buyer ». En signant le « Heroes Pledge For Advertisers », le spécialiste nord-américain de la fringue vintage et indie envoie un message fort à sa cible : vous êtes belles comme vous êtes et nos vêtements vous iront parfaitement, même avec vos imperfections !
Pour l’Alliance, ce ralliement est un premier succès et franchement, comment ne pas s’en réjouir ! Le paroxysme de la beauté féminine tronquée car bidonnée, dissémine insidieusement et avec perniciosité un message malsain à l’égard de la gent féminine. Les dégâts psychologiques sont avérés, comme le relatait il y a deux ans déjà Le Monde en évoquant la croisade d’une adolescente nord-américaine de 14 ans contre les photos retouchées.
Un an plus tard la top model Doutzen Kroes dénonçait ce phénomène nuisible et responsable selon elle, du mal être de beaucoup trop de jeunes filles. La semaine dernière, le mannequin australienne et encore étudiante Meaghan Kausman clouait publiquement au pilori la marque Fella Swim : » J’ai été extrêmement choquée de voir que Fella Swim avait publié une version photoshopée du shooting sur Instagram. Ils ont complètement modifiés mon corps… « . Et de conclure par un cinglant : » This industry is crazy « . Meaghan Kausman a aussi utilisé son compte sur le même réseau social pour comparer les deux clichés, avant et après. Même le photographe, Pip Summerville, en charge du shooting s’est indigné en expliquant : » Cette retouche de photo est une violation du droit à l’image, étant donné qu’ils n’avaient pas demandé la permission de manipuler l’image ou de l’utiliser à des fins publicitaires « . Si même les artistes à l’origine des oeuvres s’indignent à leur tour, on imagine aisément la puissance que pourrait prendre cette contestation qui enfin s’organise.
La cause défendue par « The Brave Girls Alliance » vaut donc bien un plaidoyer fort, qui plus est, émane directement des acteurs concernés, dont les marques. Quelle est l’ambition de sa pétition, son message ultime et sa capacité de conscientisation et d’action a posteriori ? Pour le savoir, INfluencia a parlé avec Nancy Gruver, fondatrice du média New Moon Girls et cheffe de fil de la campagne « Heroes Pledge For Advertisers ».
INfluencia : Pourquoi une telle initiative maintenant et qu’en attendez-vous concrètement ?
Nancy Gruver : Nous attendons un engament formel de la part des acteurs de la pub pour qu’ils se rendent compte des sérieux dégâts que provoque chez les consommateurs, et plus particulièrement les enfants, la vision constante d’images de corps et de visages qui ne reflètent pas la réalité. Nous appelons les marques et les trend-setters à être braves et progressistes. C’est une campagne pour la vérité publicitaire qui sollicite primo, une stratégie de régulation gouvernementale de la part de la Federal Trade Commission ; secundo une stratégie de l’industrie de la pub pour s’autoréguler volontairement.
INfuencia : La campagne « The Real Beauty » n’a donc pas vraiment changé la perception et le relais de la beauté féminine dans la pub et les médias ?
Nancy Gruver : Malheureusement non ! Pour les ventes, la campagne de Dove a été un énorme succès mais elle n’a en effet absolument pas modifié les croyances des annonceurs et des médias dans la beauté féminine réelle. La raison est que la culture du faux beau est un problème culturel profondément ancré dans ces deux industries. Il faudra bien plus qu’une campagne pour changer les mentalités comme nous le réclamons. Mais il faut vraiment rendre plus saines nos visions de la beauté et par extension, de nous-mêmes.
INfluencia : Est-ce que ces préoccupations s’appliquent aussi chez les hommes et finalement, le problème ne viendrait-il pas à la base d’une mauvaise acceptation par les femmes de leurs imperfections et de l’image qu’elles renvoient ?
Nancy Gruver : Les hommes, et surtout les plus jeunes, commencent également à être chosifiés par la pub, ce qui implique une beauté altérée. Donc oui, évidemment nous sommes contre les retouches concernant tous les corps et visages exposés dans les publicités. Ensuite, non le problème de base ne vient pas des femmes elles mêmes. Nous avons grandi dans des sociétés qui valorisent les femmes avant tout pour leur apparence et leur physique, le problème majeur vient de là.
INfluencia : Quelle est la part de responsabilité des médias et de la pub dans cette nocivité ?
Nancy Gruver : Ils tressent des lauriers à ce dénigrement en dévaluant les messages sur l’apparence. Ils bombardent de tromperies les enfants et les adultes dans leur vie de tous les jours et renforcent puissamment le pouvoir négatif de l’évaluation prioritaire de l’être humain sur son physique. C’est du bourrage de crâne qui fait beaucoup de mal, il doit cesser !
Benjamin Adler
La photo retouchée de Meaghan Kausman