Tout n’est pas encore en phase entre le numérique trop foisonnant et balbutiant et la « consommation » de la culture. Selon l’étude« Institutions culturelles et grands diffuseurs : comment doivent-ils se réformer à l’ère du numérique ? » menée par Kurt Salmon pour le Forum d’Avignon Paris, les publics naviguent à vue et sont « e-perdus ». Face aux insatisfactions et attentes, l’enquête révèle des recettes pour des nouveaux usages bien maîtrisés.
Avec chaque jour plus de 4 heures de musique écoutée dont 1h15 en streaming, 2h29 de TV dont 49 minutes en télé délinéarisée (catch-up, Youtube), pas de doute : » avec le numérique -source d’instantanéité, d’hyper choix et d’innovation- la culture se consomme déjà autrement, surtout chez les 15/25 ans » estiment Philippe Pestanes, associé et Sarah Perez, senior manager chez Kurt Salmon et auteurs de l’étude internationale : Institutions culturelles et grands diffuseurs : comment doivent-ils se réformer à l’ère du numérique ? réalisée pour le Forum d’Avignon Paris. A cela on peut rajouter chaque semaine 3,3 journaux ou magazines consultés dont 2,2 en ligne et chaque mois, 1 film et 1 épisode de série achetés (ou pire 3 films et 7 épisodes piratés). Et hélas seulement 1,4 film vu au cinéma par mois, 2,4 musées et 2 salles de concerts fréquentés par an et 5,6 livres lus sur les 12 derniers mois… Et malgré des chiffres de consommation en augmentation, pourtant tout est loin d’être acquis et beaucoup reste encore à inventer. Les modèles proposés par les différents acteurs étudiés (cinémas et spectacles vivants, radios/TV, livres et musées) sont toujours en phase de transition et loin d’être idéaux. Laissant leurs publics se débrouiller au risque de les insatisfaire.
La culture est sacrée et ne prend le statut de produit…
Tout d’abord, parce que la culture n’est pas tout à fait un produit comme les autres en raison de ses œuvres qui conservent un caractère sacré. En effet, le public exprime une ferme volonté de vivre son expérience culturelle déconnectée, refusant que l’on ressente à sa place et rejetant les distractions issues d’autres supports. Ainsi 1 Chinois sur 2 souhaite ne pas disposer de tablettes de prêt pendant une visite de musée pour profiter pleinement de sa visite, un Américain sur 3 estime que partager son expérience avec son réseau pendant un spectacle la dégraderait, un Britannique sur 2 craint d’être perturbé par des contenus additionnels lorsqu’il visionne ou écoute un programme et un Français sur 2 ne souhaite pas être réorienté vers d’autres supports pendant sa lecture. Et en moyenne 56% des consommateurs sont dans le même état d’esprit et ne veulent pas être « polluer ».
… que lorsqu’il s’agit des services qui l’entourent
Ensuite, parce que les consommateurs sont « e-perdus ». En effet, si face à la profusion d’informations et de propositions issues des plates-formes d’achat et de billetterie en ligne les individus ont bien un accès immédiat à tout un tas d’offres culturelles, ils sont 48% à avoir du mal à identifier celles susceptibles de leur plaire. Et pour 80% cet hyper choix est anxiogène, au point de constituer un frein.
Preuve que le service n’est pas un rendez-vous ni la notion de qualité. Constat très grave pour les opérateurs, car c’est justement sur cet item – hérité du e-commerce et de la grande consommation – que 83% des consommateurs les attendent. Non seulement en termes d’avantages pratiques au moment de « consommer » la culture, mais aussi du niveau qui doit être élevé. « Il faut sortir du modèle « meilleures ventes » pour établir son propre top ten », soulignent Philippe Pestanes et Sarah Perez « Car pour faire son choix l’individu perplexe attend de l’accompagnement, des recommandations et de l’éditorialisation ». Ainsi 8 Européens sur 10 souhaitent être orientés dans leurs achats de livres vers leurs auteurs préférés et plus d’un internaute sur 2 se décide après consultation de l’avis des autres. A ces freins s’en ajoutent d’autres d’ordre logistiques (l’affluence et les files d’attente, la circulation dans l’établissement, l’éloignement géographique des salles, les séances complètes), informatifs (la mauvaise identification d’un titre, du CV d’un auteur) ou tarifaires (le prix fort au moment de la sortie de l’oeuvre).
Remettre le client au centre d’une offre adaptée et d’un niveau élevé
« Il est urgent de repenser un marketing numérique pour remettre le consommateur au centre de l’offre culturelle générale et répondre à leurs attentes nouvelles mais aussi très pratiques », insistent les auteurs. Avec au programme une offre personnalisée et des prix adaptés, bien sûr. Mais aussi des modèles d’accès plus simples et sécurisants pour des consommateurs aguerris qui veulent optimiser leur budget et s’épargner une mauvaise surprise. Un « good value for money » qui passe par des formules d’abonnement, le « all inclusive », la prime à la fidélité. 92% des interviewés estimant cette dernière incontournable.
Pour ne pas égarer son audience, l’institution culturelle doit aussi se placer dans le « on demand » et proposer de partager, d’enrichir et de dématérialiser l’expérience, sans que le « tout numérique » vienne tout gâcher ou soit trop intrusif. Tout doit être proposé dans un contexte d’usage choisi et maîtrisé. En effet, 65% souhaitent accéder à des contenus en ligne pour prolonger leur expérience mais seulement lorsqu’ils le désirent.
Enfin, elle doit bien jongler avec ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe. Car elle ne doit surtout pas se contenter de son espace consommation ni renier ce que le numérique peut lui apporter. Mais plutôt s’inscrire dans la « Social culture » pour faciliter et offrir de façon systématique la possibilité de partager son expérience. Une fonction virale incontournable chez les moins de 25 ans pour lesquels une expérience culturelle est d’autant plus forte qu’elle est partagée. Une population en devenir et dont l’enthousiasme est à fidéliser!
Florence Berthier
(*) Réalisée en avril 2014 en Chine, en France aux USA et au Royaume-Uni auprès de 4000 jeunes de 15 à 25 ans.
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