29 octobre 2014

Temps de lecture : 6 min

La revue INfluencia : Le nudge, pour faciliter le passage de l’intention à l’action

Et si en changeant simplement la manière d’entrer en contact avec le citoyen, on pouvait le mettre sur la bonne voie, celle d’un comportement qui lui soit favorable, à lui comme au plus grand nombre ?

Et si en changeant simplement la manière d’entrer en contact avec le citoyen, on pouvait le mettre sur la bonne voie, celle d’un comportement qui lui soit favorable, à lui comme au plus grand nombre ?

En Grande-Bretagne, les sondages montrent que 90% des citoyens sont d’accord avec le don d’organe. Et comment ne pas l’être quand on sait que près de trois personnes par jour meurent faute d’organes disponibles ? Sauf qu’en pratique, seul un tiers des Britanniques est inscrit sur la liste des donneurs. Arrêter de fumer, faire davantage de sport ou se montrer plus généreux avec les œuvres caritatives… Nombreux sont les cas où nos bonnes intentions ne sont pas nécessairement suivies par des actes. Comment pouvons-nous avoir une telle liste de comportements vertueux en tête et ne pas réussir à les appliquer ? Pourquoi un tel écart entre intention et action… Et surtout, comment le réduire ?

La remise en cause de l’homo economicus

L’économie comportementale, un champ de la science économique qui se développe à la fin du XXe siècle, nous donne une piste. Elle analyse la façon dont nous prenons nos décisions, avec un postulat qui va à l’encontre de la théorie économique classique : nous ne sommes pas des êtres rationnels, qui prenons nos décisions en analysant ce qu’on appelle communément le « retour sur investissement ». Alors que nous savons tous, rationnellement, ce qui est bon pour nous ou pour la collectivité, nos comportements vont souvent à l’encontre de ces convictions. Quel est donc le grain de sable qui empêche les individus de choisir la bonne direction ? Daniel Kanheman, prix Nobel d’économie, donne une explication dans son ouvrage « Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée ». Il y explique que notre cerveau est doté de deux systèmes pour prendre des décisions, qu’il active selon les situations  : 

– Le système 1, rapide, intuitif, que l’on pourrait qualifier de « pilote automatique ». Celui qui nous fait saliver devant une belle glace ou nous fait penser au chiffre 4 devant l’opération « 2+2= » .

– Le système 2, plus lent, rationnel et analytique, auquel nous faisons appel de manière consciente quand il faut résoudre un problème complexe, auquel nous ne sommes pas habitués. C’est celui qui se met en route si vous lisez « 25 x 37 ».

Or, contrairement à ce que soutient l’économie classique, notre système 1 s’active bien plus fréquemment que nous le pensons, et oriente nos choix, souvent bien malgré nous. Notre cerveau se met régulièrement en « pilote automatique », et utilise des « biais » ou « raccourcis mentaux » pour traiter l’information à laquelle il est confronté. Le plus étonnant, et c’est ce que révèle Dan Ariely, l’un des autres pères fondateurs de l’économie comportementale, dans son ouvrage « C’est vraiment moi qui décide ? », c’est que ces biais sont le plus souvent systématiques, et donc prévisibles.

Des biais qui ont tendance à produire une certaine inertie, même si les changements s’avèrent être dans notre intérêt. Un tel enseignement ne peut être ignoré par ceux qui mettent au point les politiques publiques. Car en comprenant comment les individus prennent leurs décisions et les biais qui les influencent, on peut se servir de ceux-ci comme leviers pour les orienter vers la bonne décision : celle qui simplifiera leur vie, les protégera ou les amènera à œuvrer pour le bien commun.

Inciter aux bons comportements

S’appuyant sur ces enseignements, Cass Sunstein et Richard Thaler ont ouvert une nouvelle voie pour orienter les comportements des individus, toute en subtilité, qui se base sur la connaissance de leurs biais décisionnels. Ils l’ont baptisée « nudge ». Littéralement, cela signifie « coup de pouce » : un changement dans l’architecture du choix qui incite (au lieu d’obliger) les individus à faire de meilleurs choix pour eux et pour la communauté. Les auteurs qualifient leur approche de « paternalisme libertaire » : une incitation au service du bien commun mais qui n’altère pas la liberté de choix de l’individu.

Des « nudge units »

Un concept qui a depuis fait des petits, avec la création au sein des gouvernements du Royaume-Uni et des Etats-Unis de Nudge Units, dans lesquelles des chercheurs expérimentent des stratégies nudge pour inciter aux changements des comportements. L’avantage par rapport aux politiques classiques ? Ces stratégies peuvent s’avérer très efficaces et surtout, à des coûts très faibles ! Et elles s’appliquent partout où les intentions sont difficiles à traduire en actes : pour favoriser l’observance, limiter la fraude, encourager les pratiques durables… Observons trois exemples de stratégies nudge gagnantes.

La force du pré-engagement

Pour passer de l’intention à l’action en matière de santé publique, le nudge peut s’avérer efficace. Une stratégie explorée notamment par stickk.com. S’appuyant sur le constat que nous respectons plus facilement nos engagements lorsqu’ils sont pris de manière publique, ce site a été développé pour collecter les promesses des utilisateurs concernant différents objectifs : perdre du poids, faire de l’exercice ou encore arrêter de fumer. Pour chaque bonne résolution entrée sur le site, l’utilisateur doit spécifier son engagement, en définissant l’objectif précis et la personne devant laquelle il s’engage officiellement, qui devient dépositaire de sa parole et devra confirmer ou infirmer le respect des objectifs. Stick.com offre même la possibilité de placer une somme d’argent en jeu : si l’engagement n’est pas tenu, l’argent est encaissé.

Cette dernière possibilité est optionnelle mais multiplie les chances de succès par trois. Les résultats publiés sont impressionnants, avec plus de 2 millions de cigarettes non fumées ou encore plus de 300 000 programmes de remise en forme réellement tenus. Un exemple qui illustre l’efficacité de la stratégie de l’engagement individuel, liée à la force de l’ego et à notre désir d’avoir une bonne image de nous-mêmes (et d’être ainsi perçu par les autres).

Activer les normes sociales

En matière de développement durable, le nudge peut s’avérer également très efficace pour aider les individus à adopter des gestes plus écologiques, et lever les nombreux obstacles qui existent, qu’ils soient d’ordre matériel, financier ou encore psychologique. Une expérience a été conduite en Californie, testant quatre façons différentes d’inciter les individus à utiliser leur ventilateur plutôt que la climatisation pendant l’été, de manière à réduire la consommation d’énergie. Cette expérience a comparé quatre types de messages différents  : 

– Un message contenant une incitation économique, avec une communication vantant les 54 $ d’économie mensuelle réalisée.

– Une incitation écologique, indiquant l’économie de gaz à effet de serre ainsi réalisée.

– Une incitation éco-citoyenne, indiquant que l’usage du ventilateur était le comportement le plus responsable puisqu’il consommait moins d’énergie.

– Et enfin une incitation déclarant « 77% de vos voisins ont affirmé qu’ils éteignaient leur climatiseur et utilisaient leurs ventilateurs, s’il vous plait, faites comme eux  ! »

On pourrait penser que c’est l’incitation d’ordre économique qui a donné les meilleurs résultats. C’est en réalité le quatrième message qui s’est avéré le plus efficace, avec une réduction de la consommation d’énergie de l’ordre de 10%. En affichant simplement le comportement adopté par la majorité, on active le levier puissant de la norme sociale : l’influence exercée sur l’individu par le plus grand nombre.

Proposer un choix par défaut

Le biais du statu quo relève de la tendance naturelle des individus à suivre les options prédéfinies, par facilité intellectuelle ou encore par peur du changement. Partant de ce constat, pour les aider à adopter le bon comportement, il peut donc être utile de leur proposer par défaut les options qui favorisent leur santé, leur bien-être ou encore la préservation de l’environnement… Obligeant au contraire ceux qui veulent suivre le chemin inverse de le spécifier, en « désélectionnant » l’option. Prenons un exemple gagnant, cette fois en France, et dont nous avons tous été témoins.

Il y a encore quelques années, le contribuable devait déclarer, en cochant une case sur sa déclaration d’impôts, s’il possédait une télévision. Depuis 2005, le système a sensiblement évolué : la déclaration considère par défaut qu’il possède une télévision, et c’est uniquement dans le cas contraire que le contribuable doit cocher la case. Résultat ? Les cas de fraude estimés sont passés de 2 millions à moins de 250 000 en deux ans.

Solidarité, santé publique, sécurité, épargne, écologie, le champ d’application des stratégies « nudge » est infini. Elles offrent aux pouvoirs publics une manière de créer un contact plus efficace avec les individus, pour les orienter vers le comportement souhaitable, pour eux ou pour la collectivité. Reste à régler la question de l’éthique, à savoir qui peut décider quel comportement est souhaitable ou non… Question qui pourrait être éludée devant les économies importantes que l’application de telles stratégies est susceptible de représenter : depuis sa création en 2010, la Nudge Unit britannique aurait permis aux services juridiques du pays d’économiser pas moins de 30 millions de £ par an… une aubaine en temps de crise.

Caroline De Branche / @CBB_ILuvcom

Illustrations : Marion Vallerin

Article extrait de la revue « Le Contact » disponible en version papier ou digitale ! Pour s’abonner c’est ici

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