Les technologies, qui offrent toujours plus de possibilités de créer, et la mise à disposition des outils de production font (re)naître le désir d’innovation chez l’individu et contribuent à lui redonner son sens. Le design, une voie vers soi ?
Mon grand-père était un bricoleur dans l’âme, il cultivait une véritable passion pour la création, la fabrication ou la réparation de tout type d’objet. Il savait réfléchir à des produits, trouver les solutions pour les réaliser et les travailler avec ses mains. Tailler un arbre, monter un mur en briques, dépanner une machine à laver, bricoler un moteur de voiture, tout était possible. Ce que j’aimais par-dessus tout, c’était lui demander de m’inventer quelque chose rien que pour moi, un objet dont j’aurais eu besoin et qui n’existait pas. Bien sûr, il avait l’équipement nécessaire, un garage littéralement rempli d’outils et de machines pour couper, raboter, sculpter, fraiser, dévisser, percer… Je me souviens encore du glaive gallo-romain en bois sculpté qu’il m’avait fabriqué juste parce que je lui avais demandé : « Papy ! Fabrique-moi l’épée d’Astérix ! » Il avait étudié la bande dessinée, esquissé un croquis, taillé du bois. Pensé en termes de fonctionnalités et de style. Mon grand-père était un designer.
Le design, autrement dit « (se) désigner »
Si, auparavant, il fallait posséder un équipement digne de celui du garage de mon grand-père, aujourd’hui, les outils de production n’appartiennent plus à un seul ou une poignée d’individus, mais potentiellement à tout le monde. Programmes informatiques open source, logiciels de création performants, cours didactiques en ligne, fab labs ouverts à tous, imprimantes 3D… Toutes ces solutions disponibles facilement permettent d’envisager pour chacun de nous un moyen d’accéder à la création, à sa propre création.
En 2011, la 4e Biennale de Design de Gwangju (Corée du Sud) se tient sous le titre Design is Design is not Design et la direction de l’artiste activiste chinois Ai Weiwei. Une section s’intitule « Unnamed Design », dont le but est d’explorer le rôle du design dans des projets très éclectiques, habituellement pas associés. Plus encore, il montre que le design n’est pas réservé aux professionnels en la matière, mais peut être aussi le fruit du travail de scientifiques, de programmeurs, de hackers. En fait, de n’importe qui proposerait une idée originale, ingénieuse et stratégique, idée somme toute indispensable à la construction d’un vrai design. Comme nous le rappelle l’English Oxford Dictionary, qui présenta la première définition de « design » en 1548 : verbe signifiant « désigner » ou « indiquer ».
Enfonçons une porte ouverte tout de suite. Il ne suffit pas d’avoir un programme informatique de cours de piano pour devenir pianiste virtuose ou composer ses propres partitions. L’outil ne fait pas de soi un créateur de génie. Mais il permet de travailler son moi créatif. Et c’est peut-être en cela que l’émergence aujourd’hui des ateliers participatifs et autres fab labs va pousser les populations à imaginer et créer davantage. Ces initiatives participent à repenser (enfin) le design comme une méthode de conception et d’innovation, plus proche de sa définition originelle, loin de son qualificatif restrictif pour dire l’aspect d’un objet. « Oh ! La jolie lampe design ! »
La création est l’affaire de tous
Cette démarche de thinking design est bien implantée dans les pays anglo-saxons. Quand on est designer, on ne dessine pas des objets, on imagine de nouvelles manières de vivre. On reconnecte l’utilisateur à son besoin fondamental, comme lorsqu’on décide d’aller coudre soi-même son sac à dos dans un atelier créatif et participatif. C’est la même démarche. Transposé dans le monde de l’entreprise, l’apanage de la création et de l’innovation n’est pas celui d’une élite dédiée. C’est l’affaire de tous. C’est l’idée de la notion de design vue par l’exposition « Unnamed Design ». Une méthode en transversalité, liant des métiers divers, propices à fournir de l’innovation, tels ingénieurs, architectes, managers, sociologues, designers…
Il faut penser design. Ainsi, on introduit en amont, très en amont, le produit et ses fonctionnalités, ses atouts et contraintes pensés pour répondre au besoin de l’utilisateur. C’est la phase d’expérimentation et de prototypage qui permet d’approcher de nouveaux usages. C’est peut-être en cela que la multiplication d’ateliers et la démocratisation des imprimantes 3D révolutionneront les mentalités et insuffleront à l’individu l’envie de faire éclore en lui cette notion de design.
La personne au coeur de l’innovation
Mon grand-père aurait pu incarner le courant « Design by the people for the people », prônant la personne, devenue usager et client à la fois, au cœur de la stratégie de l’innovation. Le produit est pensé par et pour lui. Demain, cette nouvelle génération d’acteurs de la création, ces makers chers au tonitruant Chris Anderson (*) qui croient en leur pouvoir de mener une nouvelle révolution industrielle, portera haut l’importance de la pensée du design par tous. À l’instar de Teenage Engineering, une structure de seize personnes logée dans un garage à Stockholm, dont l’ambition est de créer des produits de qualité supérieure, un design fonctionnel et une technique de haut niveau pour leur propre compte ou d’autres marques, comme Sony Ericsson, Ikea ou New Balance. Peut-être qu’aujourd’hui mon épée en bois serait commercialisée à grande échelle, qui sait…
(*) Auteur notamment de La Longue Traîne, journaliste américain visionnaire, expert en NTIC et penseur d’une économie de la gratuité.
Illustrations : Alex Besikian
Article extrait de la revue « Le Design » disponible en version papier ou digitale !
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