La question peut paraître étrange et pourtant les starts-up et autres géants du numérique sont peut être en train de réinventer le modèle économique social en voulant récupérer la prérogatives dédiées aux états…
L’histoire de la pensée économique oppose deux conceptions de l’Etat. D’un côté, les défenseurs de l’économie de marché, ou économie libérale, qui plaident en faveur d’un Etat peu interventionniste, voire réduit à un minimum de fonctions, laissant place à la concurrence, encourageant l’entreprenariat, confiant aux entreprises le soin de satisfaire les besoins des individus. De l’autre, les gardiens d’un Etat plus interventionniste, prenant à sa charge un plus grand nombre d’activités comme la santé, l’éducation, les retraites, voire certains pans de l’économie (transport, industries stratégiques…) ; un Etat régulateur, organisateur, gendarme…
A première vue, l’économie digitale, ses start-up et ses entrepreneurs se trouveraient vraisemblablement plus en phase avec la première de ces deux conceptions de l’Etat. Souvent en affinité avec la mentalité anglo-saxonne, entrepreneur dans l’âme, entretenant un rapport impudique avec l’argent, orienté vers le business, féru de réussites individuelles, gourmant d’innovations, adepte des nouvelles technologies, tout le petit monde du Web Français semble parfaitement aligné pour donner une coloration libérale à une conception de l’économie à la française, qu’il juge parfois désuète.
Et pourtant, cette nouvelle économie, sous couvert d’être libérale, est peut-être en train de réinventer sans en avoir conscience elle-même, une économie sociale. Dans le modèle traditionnel de l’Etat interventionniste, outre les fonctions régaliennes (sécurité intérieure, sécurité extérieure, justice), l’état prend à sa charge un certain nombre d’autres activités soit :
– elles sont au cœur de son modèle politique. L’éducation par exemple.
– il les considère comme intrinsèquement liées à ses autres fonctions. L’industrie de l’armement par exemple qui touche à la sécurité du pays.
– il estime qu’elles ne peuvent pas être rentables et donc assumées par un acteur privé. Exemple : le transport.
L’impôt est alors la clef. Il permet le financement de toutes ces activités prises en charge par l’Etat. Mais aujourd’hui, l’endettement des Etats Occidentaux les pousse à se désengager de plus en plus d’activités dont ils assumaient le fonctionnement. En parallèle, l’économie numérique se développe. Le nombre des start up ne cessent de croître. Leur champ d’intervention évolue aussi et semble vouloir suivre quatre phases :
1. Une première vague à dominante technologique (AOL, Microsoft…)
2. Une seconde, commerciale (Amazon, eBay…)
3. Une troisième, plus communautaire (Facebook, Twitter…)
4. Une quatrième, plus sociale avec de plus en plus de projets touchant à l’éducation, à la santé, à l’art, à la culture, à l’entraide…
L’éducation, la santé, la culture… Cela ne vous rappelle rien ?
Arriverait l’ère des start-up qui se proposent de prendre le relais des Etats avec des services liés à l’éducation, la santé, la culture ? Imaginons à présent que ces start-up adopteront le business model dit freenium, dans lequel la grande majorité des utilisateurs ne payent rien à une entreprise financée par les marchés financiers. Voici donc venu le temps où, après avoir bénéficié de services publics pris en charge par l’Etat, grâce à l’impôt des contribuables, les citoyens pourraient bénéficier de services gratuits précisément parce qu’ils sont financés par Wall Street… par les marchés financiers, par la bourse… par les farouches opposants à l’Etat interventionniste… par cette place où converge l’argent le moins destiné du monde à entrer dans les poches de Monsieur et Madame Tout-Le-Monde.
Sans le savoir, financée par les marchés financiers (le moteur du libéralisme, sa quintessence et sa manifestation la plus ultra libérale) une nouvelle génération de start-up est peut être sans le savoir en train de prendre le relais de l’Etat interventionniste en utilisant l’argent des marchés financiers, pour offrir gratuitement des services, autrefois financés par l’impôt.