Robert Cialdini est un spécialiste scientifique de l’influence. Présenté aux Etats-Unis comme le « Parrain » en ce domaine, cet auteur à succès et professeur universitaire donne quelques pistes. Autant de conseils à suivre…
INfluencia : vous dites (*) que les comportements instinctifs peuvent représenter des faiblesses que les marques sont susceptibles d’utiliser. Où est le danger ?
Robert Cialdini : il n’y en a pas. Il est entendu qu’en tant qu’espèce, l’être humain possède plusieurs tendances comportementales automatiques. Certaines d’entre elles semblent être innées, comme par exemple la volonté de désirer une chose avec plus de véhémence quand elle est rare, peu fréquente ou moins disponible. Prenons un exemple empirique : cette offre promotionnelle dans une grande chaîne de supermarchés, où ladite offre incluait une limite quantitative (c’est-à-dire rendant impossible l’achat de plus de trois produits à la fois). Cette contrainte a permis de doubler les ventes par rapport à une autre promotion sans limite d’achat. Je ne dirais pas que la connaissance par les marques de ces tendances rende leur utilisation plus dangereuse, en revanche la data la rend plus efficace, c’est certain.
INfluencia : cela signifie-t-il que le marketing est plus puissant quand il compte avec les comportements instinctifs, même ceux qui sont cachés et que nous ignorons ?
Robert Cialdini : oui, ces tendances automatiques gagnent en puissance quand l’on n’a pas conscience de leurs pouvoirs. Un bon exemple est la propension des gens à suivre la croyance commune de la foule, ce que j’ai appelé « preuve sociale ». Avec mon équipe de chercheurs, j’ai pu réaliser une étude sur le meilleur moyen de convaincre les citoyens d’économiser leur consommation d’énergie chez eux. Nous avons fait parvenir dans chaque foyer quatre sortes de messages appelant à une meilleure préservation de l’énergie. Trois de ces quatre messages contenaient les explications fréquentes utilisées pour convaincre de cet effort : à savoir la protection de l’environnement, l’économie d’argent, l’action responsable et citoyenne. Le quatrième se contentait d’énoncer une preuve sociale, statufiant que « la plupart de vos voisins essayent de faire des économies d’énergie ». À la fin du mois, nous avons recueilli les données de consommation d’énergie et constaté que c’était bien ce message-là qui avait généré trois fois et demie plus d’économies que les autres. Pourtant, dans un sondage réalisé au préalable, les habitants concernés par l’étude s’attendaient à ce que le discours de « preuve sociale » ait le moins d’effet sur eux.
INfluencia : vous êtes devenu célèbre pour avoir dressé une liste, pas des moindres, celle des « six leviers d’influence ». Pouvez-vous nous les expliquer ?
Robert Cialdini : il y a six principes universels d’influence qui opèrent de façon automatique. Le premier est la réciprocité : un être humain traite autrui comme il a lui-même été traité. Le deuxième est le manque : un individu est encore plus attiré par les opportunités qui lui sont offertes si elles sont rares. Le troisième est l’autorité : on est plus enclin à vous croire si vous « donnez l’impression » d’être savant et crédible sur le sujet traité. La quatrième est la consistance : les individus ressentiront le besoin d’obtempérer à votre demande si elle est en adéquation avec des engagements publics pris en votre présence. Le cinquième est l’affection : les gens préfèrent répondre favorablement à une demande de votre part s’ils vous connaissent et vous apprécient – cela ne surprendra personne. Le sixième levier, c’est donc la preuve sociale, qui consiste en la faculté d’un homme à faire quelque chose si vous lui donnez la preuve que d’autres comme lui le font aussi. Tous ces principes sont utilisés par les marques, avec plus ou moins de succès…
INfluencia : peut-on résister à cette influence ?
Robert Cialdini : comme les six principes nous influencent automatiquement, toute résistance semble vouée à l’échec. Mais il est possible de le faire dans ce cas précis de message marketing : nous cherchons alors spécifiquement quel principe est sollicité.
INfluencia : quelle est la différence entre « persuasion » et « manipulation » ?
Robert Cialdini : en général, quand quelqu’un dit « vous me manipulez », son jugement est négatif. Il signifie par là que vous l’emmenez dans une direction qui ne va pas dans son intérêt, souvent par la déception qu’il va ressentir. La manipulation peut être dommageable pour une entreprise, car le consommateur qui s’est senti manipulé ou déçu ne souhaitera pas revenir vers la marque soupçonnée. Dans une relation client à long terme, une marque ferait bien mieux de convaincre les gens de faire le bon choix en les informant. Si un produit possède une vraie rareté, authenticité ou preuve sociale, il n’y aura rien de manipulateur à persuader le consommateur. La clef consiste simplement à savoir pointer le principe d’influence naturellement présent dans la situation donnée. Ce n’est pas seulement une approche efficace, mais également éthique.
(*) « Influence & Manipulation. Comprendre et maîtriser les mécanismes et les techniques de persuasion », Robert Cialdini, First Edition, 2004.
Article tiré de la revue N°13 consacrée à « l’influence »
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