8 juin 2015

Temps de lecture : 3 min

La publicité native, vertueuse ou mortifère ?

Le native advertising ou « publicité native » fait couler beaucoup d'encre. Martingale éditoriale géniale pour les uns, arnaque au contenu nuisible pour les autres, le débat est vif autour de son influence supposée ou véritable. Et si la clé était le respect du lecteur final ?

Le native advertising ou « publicité native » fait couler beaucoup d’encre. Martingale éditoriale géniale pour les uns, arnaque au contenu nuisible pour les autres, le débat est vif autour de son influence supposée ou véritable. Et si la clé était le respect du lecteur final ?

Le 13 mars, la rédaction des Échos a décrété une grève des tweets pendant quelques heures en réaction à l’immixtion intempestive du service marketing sur la timeline du compte Twitter du quotidien économique. Au cœur de la polémique : un tweet jugé « à caractère publicitaire » pour une marque automobile au beau milieu des tweets diffusés par les journalistes pour partager leurs articles. Cette poussée de fièvre est emblématique des questions cruciales que soulève l’usage de la publicité nouvelle génération, ce nouveau format publicitaire qui ambitionne de remettre l’utilisateur au cœur du dispositif publicitaire, lui apportant messages plus ciblés, qualitatifs, et qui conquiert de plus en plus médias et annonceurs, dans les grilles éditoriales des médias.

À tous les coups, l’on gagne ?

Face aux bannières et aux pre-rolls que les internautes fuient comme la peste dès qu’ils débarquent sur un site d’information, la publicité native a rapidement conquis son petit monde. Apparu dès 2012 aux États-Unis, ce format publicitaire est en plein boom. La première force est qu’il se définit comme totalement « caméléon ». C’est lui qui s’adapte pour s’intégrer visuellement dans l’ergonomie et le graphisme du site hébergeur et non plus l’inverse. Ensuite, il propose un contenu étoffé censé être en lien étroit avec les attentes de celui qui fréquente un site d’information donné. Enfin, il doit afficher clairement l’identité du commanditaire à l’origine de la publicité native.

Devant tant de vertus proclamées, et toujours confrontés à l’insoluble monétisation des contenus journalistiques, les éditeurs de sites média n’ont guère tardé à se passionner pour ce mode publicitaire innovant. Les annonceurs aussi, et pour cause ! Une étude réalisée par Nielsen et la plateforme publicitaire Sharethrough met par exemple en évidence que ce type de publicité est deux fois plus vu par l’œil de l’internaute que la traditionnelle bannière. Dans une autre enquête de Sharethrough, il est même établi que la publicité native génère une perception favorable chez 32 % des lecteurs, contre 23 % en ce qui concerne la bannière.

Du brouillage sur la ligne

En février 2015, le célèbre magazine Forbes, adepte de la première heure de la publicité native, a pourtant défrayé la chronique. Dans son édition US, les observateurs ont remarqué une manchette spéciale sur la Une mettant en avant un guide de la retraite, avec juste en dessous, un plus discret cartouche mentionnant le credo du groupe d’assurances Fidelity sur le sujet. L’ensemble s’intègre harmonieusement avec le reste de la couverture. Si harmonieusement qu’on ne perçoit pas qu’il s’agit en fait d’un dossier publicitaire et non d’un dossier journalistique. Dans ce cas précis, Forbes a poussé un cran plus loin la logique protéiforme de la publicité native.

C’est précisément sur ces mêmes motifs de brouillage des genres que Peter Oborne, le réputé éditorialiste en chef du quotidien britannique The Telegraph, a démissionné avec fracas de sa rédaction en février 2015. Profitant de la couverture de l’affaire de la banque HSBC, qu’il juge éhontée et frauduleuse, le journaliste a publié une longue tribune au vitriol pour dénoncer le constant mélange des genres impulsé par les propriétaires du journal et le brouillage des lignes qui s’ensuit entre publicité et éditorial dans les colonnes du journal et de son site.

Stop aux faux-nez

Influer sur le parcours de lecture est une chose, mais le prix à payer risque fort d’être mortifère si médias et annonceurs ne mettent pas d’emblée un peu d’ordre et d’éthique autour de l’usage de la publicité native. Ceci d’autant plus que le lecteur n’est pas dupe. En janvier 2015, le groupe d’étude consommateurs CivicScience a publié les résultats d’une enquête montrant explicitement que la défiance est déjà à l’œuvre. Il en ressort notamment que 61 % des personnes interrogées déclarent que le contenu sponsorisé nuit à la crédibilité de l’enseigne média.

À trop vouloir jouer subtilement du faux-nez éditorial envers les lecteurs, personne ne sera gagnant. Ni les marques, qui auront claqué de l’argent pour des résultats décevants, ni les médias, qui auront éborgné leur réputation pour remplir les caisses. Dans tous les cas, les lecteurs fuiront. De deux choses l’une : soit les professionnels clarifient leurs exigences auxquelles une publicité native doit obéir (avec des indications qui ne soient pas en caractères de taille 10), soit ils continuent de gaver le robinet à contenus en emballant le poisson avec de jolies créas. Dans le premier cas, on peut espérer une coexistence intelligente et honnête. Dans le deuxième, la faillite sera au rendez-vous avec une méfiance toujours plus accrue envers le discours des annonceurs.

Illustrations : Arthur Poitevin

Article tiré de la revue N°13 consacrée à « l’influence »
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