1 juillet 2015

Temps de lecture : 5 min

« Rien n’arrive à la cheville de la musique »

En 1999, play est sur toutes les ondes (télé, radio, pub, ciné…) et ancre ses 63 minutes parmi les plus belles de tous les temps*. Aux manettes et aux instruments (guitare, claviers, basse et voix), moby démocratise la musique électronique. Né à Harlem en 1965, c’est depuis sa maison de Los Angeles qu’il nous parle d’art, de photo, de ce qui l’émeut et l’anime, inside. Play.

En 1999, play est sur toutes les ondes (télé, radio, pub, ciné…) et ancre ses 63 minutes parmi les plus belles de tous les temps*. Aux manettes et aux instruments (guitare, claviers, basse et voix), moby démocratise la musique électronique. Né à Harlem en 1965, c’est depuis sa maison de Los Angeles qu’il nous parle d’art, de photo, de ce qui l’émeut et l’anime, inside. Play.

INfluencia : Serge Gainsbourg disait que la musique n’est qu’un art mineur. Êtes-vous d’accord avec son postulat ?

Moby : même si j’apprécie l’artiste, pas du tout. J’aime tous les types d’arts et de moyens d’expression, mais aucun ne m’affecte autant émotionnellement que la musique. J’ai adoré visiter le musée d’Orsay, j’aime y regarder les peintures, elles sont belles et intéressantes. Mais elles ne me font pas pleurer, danser, et ne me donnent pas envie de me raser la tête sur un coup de folie. Quelle est la dernière fois que 100 000 personnes ont sauté en l’air en même temps et en hurlant pour une sculpture ? Ce n’est pas une critique envers la sculpture, mais en termes d’impact émotionnel, rien n’arrive à la cheville de la musique. Même dans nos vies, les choses qui nous procurent le plus d’émotions sont souvent liées à une chanson. La musique est magique et bizarre… car elle n’existe pas. Elle consiste à pousser des molécules d’air invisibles à faire pleurer et danser les gens. Une peinture, un livre ou une sculpture peuvent se toucher, pas la musique. Idem pour le cinéma. Or, moins l’art est corporel, plus il draine d’émotions.

INfluencia : avec tous ses outils digitaux de production, la musique est quand même la plus facile à fabriquer, non ?

Moby : non, je ne crois pas. Tout le monde pourrait sculpter ou dessiner comme Pollack. N’importe qui peut prendre un vieil urinoir, mettre son nom dessus et revendiquer le ready-made comme Duchamp. C’est une perspective un peu anachronique que de juger un concerto ou une œuvre d’art par sa complexité, car au XXIe siècle cela n’a plus autant d’importance. Prenons l’exemple de la photographie. Avant, les photographes devaient comprendre toute la technicité artistique de la pellicule, la chambre noire, l’impression, etc., alors que maintenant posséder un iPhone peut suffire. Le seul critère actuel dans l’art, c’est sa faculté à toucher et affecter les gens, pas son processus de création. Le XXe siècle est rempli d’arts peu compliqués mais très puissants. Écoutez Satisfaction des Rolling Stones, il n’y a que trois notes, mais cela plaît aux gens ! Pareil pour Drop It Like It’s Hot de Snoop Dog, il n’y a pas de musique, ce ne sont que des sons de batteries, mais une très bonne chanson !

INfluencia : et vous, votre processus de création a-t-il évolué ?

Moby : je pense travailler toujours de la même manière, même si la technologie rend chaque étape encore plus aisée. Je ne conçois pas un album dans l’attente que quelqu’un l’achète. En studio, je profite juste d’être en train de fabriquer de la musique sans me soucier de ce qu’elle deviendra. Qu’elle disparaisse ou ait du succès, c’est pareil pour moi. En général, je compose beaucoup de musique, et je choisis les dix, quinze meilleurs morceaux pour en faire un album, je n’ai jamais changé cela. Les morceaux inutilisés sont en ligne sur Moby Gratis, ma plateforme gratuite de musique, à disposition des producteurs de contenus vidéo.

INfluencia : la création actuelle est plus éclectique que par le passé. Qu’ils soient acteurs ou musiciens, les artistes ne veulent plus se cantonner à une seule forme d’art. Est-ce dû aux évolutions technologiques ?

Moby : certainement. En 1965, un photographe ou un réalisateur avait besoin d’énormément d’équipements et de connaissances pour prendre une photo ou faire un film. Un musicien avait, lui, besoin d’un grand studio et d’instruments. Aujourd’hui, tout le monde peut créer avec un ordinateur portable. Un seul appareil suffit pour créer plusieurs formes d’arts, que ce soit du graphisme, de la musique, de la photo, des films, du dessin… S’il y a plus d’artistes éclectiques, c’est que les accès se sont démocratisés. Avant, si on était un musicien et qu’on voulait se lancer dans la photo, on devait quitter son studio, aller à l’autre bout de la ville, acheter un appareil photo et apprendre à s’en servir. Maintenant il est possible de tout faire avec un ordinateur sans bouger de chez soi. Pour tout vous dire, je trouverais même bizarre qu’un artiste actuel ne soit pas éclectique.

INfluencia : votre passion pour la photo est connue du grand public, vous avez exposé à plusieurs reprises à New York et Los Angeles notamment. Qu’est-ce qui vous séduit dans la créativité photographique ?

Moby : la photo reste pour moi un art étrange. Pour être honnête, je dois progresser dans l’expression des différences de cheminement créatif entre musique et photo. Vous n’êtes pas les premiers à me poser cette question. Je n’ai pas encore de réponse juste. Ce que je peux dire c’est qu’il faut se demander pourquoi les gens réagissent d’une certaine manière et pas d’une autre devant un cliché. Par exemple, l’autre jour j’ai eu un moment de « clarté anthropologique » en regardant quelque chose à la télé qui m’a très ému. Je me suis rendu compte que, comme tant d’autres, je réagissais aux effets d’une boîte de verre et de pixels qui bougent dans tous les sens. On revient à Descartes… et à l’existentialisme, qui prouve que l’humain n’est pas capable de vivre de réelles expériences. Nous avons juste quelques notions de conscience. La photo est une représentation statique de quelque chose qui peut être manipulé et réinterprété. Je trouve cela fascinant. La photo permet de créer des choses qui n’existent pas dans la vraie vie. La réaction du public face à cela est parfois compliquée. Quelqu’un peut réagir à une photo d’une certaine manière un jour puis complètement différente des mois plus tard. C’est un processus intéressant et compliqué.

INfluencia : vous avez déclaré votre flamme pour Los Angeles. En décidant de quitter New York, il y a cinq ans, avez-vous voulu retrouver des énergies créatives perdues ?

Moby : un peu, oui. Pour plusieurs raisons. Dans une ville où le climat est chaud, la relation d’adversité envers le monde extérieur est réduite et c’est une très bonne chose. Los Angeles est une ville sans cohésion et c’est ce que j’aime. L.A. c’est juste un grand bordel, une somme de petites villes qui partent dans tous les sens, dénué de centre névralgique. J’aime aussi la façon dont la nature est intégrée dans la ville ; dans le seul conté de L.A., il y a 2,5 millions d’hectares d’espaces verts. En vivant ici, je sens que mon attention se concentre sur la nature et la créativité, ce qui n’est pas le cas à NYC – que j’adore –, où la finance et la richesse priment désormais. Plus le temps passe, plus je me désintéresse de ce que le gens font, car la nature est bien plus intéressante. Vivre entouré de nature change complètement mon point de vue sur le monde. Il y a tellement de choses à découvrir sur la côte ouest que cela m’aide à avoir une perspective différente sur ce qui m’entoure. Donc à être plus créatif.

* Cet album figure à la 341e place du classement des 500 plus grands albums de tous les temps du magazine « Rolling Stone » et s’est vendu à quelque 10 millions d’exemplaires à travers le monde.

Illustrations : Laura Ancona

Article tiré de la revue N°14 consacrée à la « créativité »
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