30 septembre 2015

Temps de lecture : 5 min

« Renouveler son style tout en préservant sa vision »

C'est sa quête permanente de diversification des supports qui caractérise Bruno Aveillan. Réalisateur, photographe et artiste multimédia français, il a réalisé de nombreux films publicitaires pour Guerlain, Perrier, Cartier, Nike, Chanel... Son approche de la photo et de la lumière est régulièrement citée en référence par de grands noms du cinéma. Ecoutons.

C’est sa quête permanente de diversification des supports qui caractérise Bruno Aveillan. Réalisateur, photographe et artiste multimédia français, il a réalisé de nombreux films publicitaires pour Guerlain, Perrier, Cartier, Nike, Chanel… Son approche de la photo et de la lumière est régulièrement citée en référence par de grands noms du cinéma. Ecoutons.

INfluencia : que dit votre carte de visite ?

 Bruno Aveillan : je suis réalisateur, photographe et artiste plasticien.

IN : quel a été le déclic de votre carrière ? 

BA : pour « rendre à Jules ce qui appartient à César » (rires), je dirais que le premier déclic remonte à mes études aux Beaux-Arts de Perpignan. J’avais 18 ans et je souhaitais plus que tout me consacrer à la bande dessinée. Il n’y avait que ça qui comptait… J’avais d’ailleurs créé un graphzine tendance underground avec d’autres étudiants. Un émérite professeur de couleur, Michel Latte, aux méthodes d’enseignement révolutionnaires (il avait lui-même appris la couleur à travers le monde auprès de tribus, notamment en Afrique et en Inde), m’a ouvert les yeux en me faisant découvrir la peinture par le biais d’artistes qui avaient une approche graphique (Andy Warhol, David Salle, Gérard Fromanger) ou une sensibilité cinématographique (Edward Hopper). Il a eu l’intelligence de créer un lien… Ce fut une révélation, qui a clairement influencé mon parcours et mes choix.

Dès lors, je me suis dirigé vers la peinture en tant que mode d’expression privilégié, ce qui orientera par la suite mon approche de la photographie et du film. Ce qui est incroyable, c’est que, récemment et à quelques semaines d’intervalle, j’ai rencontré Fromanger au Grand Palais dans le cadre de Art Paris où j’exposais, et retrouvé mon professeur, Michel Latte, que je n’avais pas revu depuis plus de vingt-cinq ans. C’était il y a quelques jours lors du vernissage de « #Flashback », ma rétrospective au centre d’art contemporain du Couvent des Minimes, à Perpignan. Et je leur ai parlé à chacun de cette anecdote. C’était très émouvant…

IN : vous avez souvent dit que vous preniez du recul par rapport à la réalité pour favoriser une approche photographique plus poétique. Pourriez-vous nous en dire plus ? 

BA : mon travail en photo s’inscrit dans une démarche certainement plus impressionniste et poétique, dans la mesure où je favorise une lecture fragmentée, certainement plus suggestive qu’une représentation frontale de la réalité. Cette approche favorise l’immersion émotionnelle du spectateur. Elle touche à l’intime, parfois aux frontières de l’abstraction. Il s’agit de proposer des espaces d’incertitudes qui offrent à l’esprit la possibilité de se réapproprier l’instant ou le lieu.

IN : la poésie semble bel et bien un de vos moteurs…

BA : oui, la poésie, qu’elle soit visuelle ou littéraire, est un langage universel, d’une puissance évocatrice sans égal… C’est certainement là un moteur dans mon travail de plasticien et de réalisateur. Ce n’est pas un hasard si la critique d’art Zoé Balthus, qui a beaucoup écrit sur mon travail, a choisi le magnifique poème de Marina Tsvetaïeva Eurydice à Orphée pour accompagner ma dernière exposition « Isolation Ceremony » au MAMM (Multimedia Art Museum, Moscow) de Moscou en mars 2015.

IN : quelles sont vos autres sources d’inspiration ?

BA : la lumière, la peinture, le cinéma, les voyages…

IN : y a-t-il un « style » Bruno Aveillan ?

BA : dans le domaine de la photographie plasticienne, il y a la jolie définition de mon travail qu’en donne l’artiste contemporain Marcos Lutyens dans la préface de mon livre Diotopes (Éd. Léo Scheer). Il écrit que « j’obscurcis avec la lumière » (sourires). En tant que réalisateur, j’aime alterner les projets à grande échelle, avec une approche épique, plus cinématographique, et ceux plus intimistes ou expérimentaux, où je me retrouve à travailler en petite équipe.

Ce qui est important dans le cadre d’un film de marque, c’est avant tout de pouvoir renouveler son style tout en préservant sa vision. Le hasard du calendrier fait que je viens de sortir deux films radicalement différents pour deux maisons d’horlogerie de luxe, Tiffany et Cartier. Le premier, primé deux fois aux Berlin Film Festival Awards, a été entièrement tourné caméra à l’épaule, à base de plans « volés » ; le second, qui est présenté à Cannes cette année, fait la part belle aux effets spéciaux et aux grands moyens… Sincèrement, j’ai pris autant de plaisir à réaliser l’un et l’autre.

IN : de toutes les disciplines dans lesquelles vous évoluez, avez-vous une préférence ? 

BA : toutes s’interpénètrent, et il est difficile de hiérarchiser. Par exemple, pour le repérage d’un film, je ne me contente pas de mitrailler des séries de snapshots avec un appareil numérique. J’utilise mon Hasselblad et je prends mon temps. Faire des photos posées m’aide à réfléchir, à dégager l’âme et l’essence d’un lieu… Ce travail de recherche pure sera ensuite utilisé comme « croquis » pour le tournage, et se retrouvera peut-être édité ou exposé… De la même manière, il existe une filiation naturelle entre des thématiques de mon travail de plasticien et l’univers de certaines marques, Louis Vuitton par exemple : la lumière en matière mouvante, l’errance et le voyage…

IN : la mémoire et le corps humain vous ont souvent inspirés. Est-ce toujours le cas ? 

BA : dans le cadre de « #Flashback », j’ai présenté pour la première fois plus de cent œuvres, films expérimentaux et photos. Plus qu’une rétrospective, c’est plutôt un état des lieux, avec de nouvelles séries encore inédites, telles Sandman ou Creatures, qui est un travail en cours sur le monde organique et animal. La mémoire, le corps humain, l’identité… ce sont là les thèmes récurrents que je continue à explorer. Je pense que l’émotion liée à la mémoire provient souvent d’une évocation parcellaire. Un son, une odeur, une texture, un éclat de lumière peuvent susciter autour d’eux des champs de résonance puissants qui se traduisent en formes synesthésiques. C’est en tout cas ce qui m’a guidé pour produire les œuvres que je présente à l’exposition « Narcisse – Le pouvoir de l’autoportrait » au Centre d’Art contemporain Walter Benjamin, du 27 juin au 27 septembre 2015, au côté de grands noms de l’art contemporain que sont Miquel Barceló, Nan Goldin, Sophie Calle, Christian Boltanski ou Dieter Appelt.

IN : avez-vous envie ou besoin de transmettre ou partager ce que vous faites ? Comment ? 

BA : partager, de fait, demeure l’essence même du métier de réalisateur. Le travail en équipe est la base du succès d’un tournage, et j’ai toujours été convaincu que l’on obtient le meilleur des gens lorsqu’ils se sentent impliqués et « parties prenantes » d’un projet. Avec mes collaborateurs, tant du point de vue de la production, de l’équipe de tournage que de la post-production, nous avons tissé des liens forts. L’amitié et le respect nous permettent de faire face à toutes les situations, et de nous retrouver avec toujours le même plaisir !

Pour ce qui est de la transmission, c’est une belle découverte. Lors de « Mnemo # Lux » à Berlin (curateur Jan Olle Oggert de la galerie Camera Work), j’ai été invité à donner une conférence aux Beaux-Arts. N’étant pas aguerri à l’exercice, je n’avais pas vraiment idée de ce que j’allais faire et dire… Un tantinet anxieux face à un amphi plein à craquer, j’ai donc commencé par projeter quelques films, des photos, et finalement un dialogue fluide s’est installé avec les étudiants. Les questions s’enchaînaient naturellement et, de fil en aiguille, cette conférence qui devait durer une heure en a duré trois, sans que l’on s’en rende compte. J’ai pris un réel plaisir à cet échange, tout comme lors des Samsung Awards, en 2013, où nous tenions avec Matali Crasset notamment les rôles de mentors – dans les catégories Vidéo & Photo et Art & Design – chargés de dénicher et encourager les jeunes créateurs.

IN : la pub est-elle un espace où l’on peut encore créer ? 

BA : certainement. À la condition essentielle que les protagonistes aillent dans la même direction, soient animés de la même ambition créative… Ce qui signifie de l’audace, et beaucoup de confiance mutuelle.

IN : qu’est-ce que la « créativité » pour vous ?

BA : je ne saurais pas comment la qualifier… Mais ce dont je suis certain, c’est que la créativité, que ce soit dans le domaine artistique ou industriel, est toujours génératrice d’émotion…

Article tiré de la revue N°14 consacrée à la « créativité »
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