Imaginez que devant l’Empire State Building, votre appareil photo bloque la prise d’un cliché qu’il considère malgré vous comme beaucoup trop bateau. Cette censure technologique par la data, c’est le concept de l’invention expérimentale d’un étudiant allemand.
Vous aussi vous en avez marre de la bêtise humaine et des sempiternels lieux communs ressortis à chaque débat, dîner, conversation. Vous savez ces fameux poncifs rabâchés à qui mieux-mieux faute de courage intellectuel. Imaginez un logiciel qui grâce à une carte puce intégrée dans la peau empêcherait quiconque de prononcer le moindre phrase toute faite, génial non ? Bien sûr, nous sommes là dans l’utopie romanesque, le fantasme de science-fiction à la Minority Report. Mais le principe de se prémunir de la faute en la bloquant à la source, le projet Camera Restricta le concrétise avec brio technologique et audace philosophique. Son principe ? Empêcher le chaland de prendre au même endroit la même photo que celle partagée sur les réseaux sociaux par tant d’autres avant lui.
Pensé et conçu par l’étudiant allemand Philippe Schmitt, cet appareil photo d’un nouveau genre empêche l’utilisateur de prendre une photo s’il détecte que le lieu où il se trouve a déjà été bien trop mitraillé par le touriste standard. Pour combattre la saturation des réseaux sociaux par l’uniformisation lassante des clichés déjà vus, Camera Restricta bloque le déclenchement du crime de lèse originalité. Comment ? Dans une coque imprimée en 3D, l’appareil héberge un smartphone servant d’écran et équipé d’une application qui après avoir localisé l’endroit grâce au GPS sera capable de chercher en ligne dans les bases de données de Flickr et Panoramio pour déterminer combien de photos ont déjà été prises sur le même lieu, dans un périmètre de 35 m2. Si c’est déjà le trop plein, l’appareil bloquera la prise de la photo et préviendra son propriétaire qu’il lui faut trouver un autre endroit. Une initiative qui rappelle le projet de deux jeunes diplômés de la Miami Ad School : #noshittyphotos. En balisant les plus beaux spots de New-York et San Francisco, Mimi Chan et Didier Utsavi souhaitaient apporter une aide précieuse aux touristes et photographes en herbe, et mettre ainsi fin au diktat de la photo ratée ou banale puis postée sur les réseaux sociaux.
Un outil de censure pour les institutions ?
« En empêchant l’utilisateur de contribuer à l’inondation des images génériques sur les réseaux sociaux, Camera Restricta émet la promesse de photos uniques et pourrait donc bien être un produit technologique controversé », commente Philippe Schmitt sur son site web. Même s’il serait arrogant de croire que la qualité d’un cliché se juge sur la rareté de l’objet photographié, l’invention propose sur le papier un concept séduisant : elle pourrait permettre de vider son flux Facebook de l’uniformisation générée par ces photos, vues, revues et encore revues.
Le combat de Camera Restricta contre l’uniformisation visuelle sur les réseaux sociaux renforce le pouvoir d’attraction du photographe amateur lambda auprès des marques. Pour l’application mobile crowdsourcing de photos en temps réel Twiinkly, l’appareil photo expérimental, testé dans trois villes européennes, constitue de l’or en barre. A condition évidemment qu’il soit un jour commercialisé. « Des institution publiques ou privées souhaitent aujourd’hui réguler la prise de photos de monuments ou sculptures copyrightés dans des espaces publics. Le Parlement européen a récemment voté contre une proposition polémique allant dans le sens de cette censure, mais Camera Restricta peut le permettre. Plus globalement cet appareil peut remettre en question la pratique de la photographie », explique Philippe Schmitt. Alors, innovation sympa mais pernicieuse sans lendemain ou futur ennemi des tours opérateurs japonais ?