Quelles sont les grandes tendances en musique, cinéma, TV, jeux vidéo, brand content et livres ? Les comprendre permet, en décryptant les mondes des créateurs, de s’établir en amont des mouvements de consommation.
« Les Tendances de l’Entertainment 2015 » réalisée par Hopscotch Rouge et Promostyl, en collaboration avec le service Marketing et Prospective de TF1 sont toute chaudes. Ce 4ème cahier des tendances transversales à tout le divertissement (musique, cinéma, TV séries, TV divertissement, jeux vidéo, brand content et livres) répercute les évolutions de nos sociétés, les peurs, les fantasmes et les aspirations de notre époque. « Elles sont aux avant-postes des tendances de consommation et lifestyle car elles répertorient les œuvres de créateurs sensibles et souvent visionnaires. L’Entertainement est un miroir. C’est le frémissement avant-coureur de la marmite de la tendance », indique Laurence Malençon, co-fondatrice & directrice générale associée de Hopscotch Rouge et auteure de l’étude. Les évolutions s’incarnent souvent d’abord dans des media légers, rapides et réactifs (livres, clips, applications) pour cheminer tout au long du cinéma indépendant, des séries, des blockbusters et finir par s’incarner dans le jeu vidéo. L’agence révèle, en exclusivité à INfluencia les cinq phénomènes 2015 : Bliss, Stuff, instincts, transmission et anticipation.
1 – Une connexion renforcée aux autres : c’est la tendance Bliss
La reliance est de sortie : on assiste à plus d’ouverture, de partage, d’émotion, et d’optimisme premier degré. Dans « The Greatest Interception Ever » Volvo propose ainsi aux téléspectateurs de participer à un concours astucieux sur Twitter… Chaque fois qu’une publicité d’un autre constructeur était diffusée durant le Super Bowl, il suffisait d’inscrire #VolvoContest sur le réseau social, ainsi que le nom d’un être cher qui méritait de gagner la nouvelle XC60. Même les géants de l’agro alimentaire se convertissent à l’économie du cœur. Dans la campagne Pay With Lovin’ : McDo invite ses clients à régler leur repas avec des câlins. La pub Coca-Cola montre comment on transforme un monde de haine en monde d’amour. Les produits eux-mêmes deviennent des media d’amour chargés d’intention positive au nom de la personne aimée (Nutella, Coca, Milka…)
L’Entertainment rassemble les ennemis qui s’affrontent dans l’estime et le respect (Superman contre Batman dans le très attendu « Dawn of Justice ») qui s’enrichissent de leur différence. Android, avec Friends Furever, met en scène brillamment sa rivalité légendaire avec IOS et nous dit qu’il y a de la place pour deux en ce monde. Burger King tend la main à son rival de toujours, MacDonald’s, pour concevoir un Peace Mac Whooper vendu au profit du jour de la Paix. On vit l’optimisme au premier degré, Fiat nous parle de « Colortherapy », Coca propose de choisir « The Happy Can »…
Et on utilise désormais un nouveau langage, celui de l’émotion. « L’emoji est devenu un nouveau mode d’expression, un code sémiologique qui s’immisce dans notre culture », constate Laurence Malençon. Sony s’en est d’ailleurs adjugé les droits afin d’en faire un film. En 2015, ce qui est important ce n’est pas le propos mais l’intention qu’on y met. Bientôt ce second langage parallèle au premier fera partie intégrante de la conversation écrite. Après Coca-Cola qui a imaginé un générateur d’URL avec des émoticônes joyeuses, Ikea qui lance une application d’émoticônes pour aider les couples à communiquer, ou encore MacDonald’s, Domino’s propose de donner des cours d’émoticônes aux plus de 40 ans. Premier travail pratique : commander sa pizza par SMS, bien sûr.
2 – La culture code avec de nouveaux héros : les hackers. C’est la tendance stuff
Les nouveaux héros sont désormais les hackers, lanceurs d’alerte, qui manient le code avec virtuosité, surtout quand il s’agit de le mettre au service du bien public. L’Union européenne a emboîté le pas à Barack Obama et son Hour of Code en lançant la deuxième semaine du code au mois d’octobre dernier, durant laquelle étaient organisés des milliers d’ateliers de code. La culture code devient glamour, avec le mannequin Lindsay Scott qui ouvre une école de code, l’Indien Vikram Chandra parle de la poésie et de la mystique du code et le compare au pythagorisme où les nombres d’or régissaient l’univers. En attendant les premiers programmes d’autocode, les humains qui possèdent ce nouvel anglais sont encore les maîtres du monde. La série télévisée américaine Mr Robot créée par Sam Esmail, qui raconte l’histoire d’un jeune informaticien qui hacke les comptes des gens et agit comme un cyber-justicier a fait un tabac outre-Atlantique.
Intègres, les lanceurs d’alerte privilégient le bien public à leur propre confort matériel et moral et prennent des risques énormes pour révéler aux peuples ce qui se joue à leur insu. Deux projets cinéma racontent l’affaire Snowden : Snowden File, biopic d’Oliver Stone prévu pour 2016, et Citizenfour, en mars 2015, ou l’histoire de Snowden vue par lui-même. Le Prix à payer, documentaire canadien sorti en 2015, révèle le dysfonctionnement des multinationales qui légalisent à grande échelle l’évasion fiscale, en dépit de trésoreries stratosphériques. Les scandales à répétition altèrent progressivement la confiance de la société envers les classes dirigeantes grands patrons de multinationale ou supra structures. L’Enquête, thriller de Vincent Garencq, second film sur le sujet tiré de l’affaire Clearstream, nous replonge dans les liaisons dangereuses entre le pouvoir et les multinationales. Section Zero, la nouvelle série d’Olivier Marchal, nous transporte en 2024 en Europe où les états endettés ont renoncé à leur souveraineté au profit de multinationales, immenses agrégats économiques ultra puissants.. La série La vie devant elles, ou encore le film La loi du marché dénoncent les multinationales. Stromae dans son clip Carmen montre du doigt le pouvoir exorbitant et hypnotique des réseaux sociaux qui se repaissent de notre vie
Du coup on mise sur les systèmes parallèles. Avec de nouveaux systèmes qui détricotent la consommation, rapprochent les individus de la matière, ou encore mettent en place des systèmes citoyens et collectifs pour s’entraider, donner, éviter les gâchis. La société civile réagit avant les politiques, comme le prouvent des comédies comme Discount, sortie en janvier 2015 dans laquelle les employés d’un supermarché développent leur propre système de revente de produits gaspillés. Ce thème renvoie à l’épicerie solidaire, à la loi contre le gaspillage du 21 Mai, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée Nationale et dans laquelle il est dit que les moyennes et grandes surfaces de plus de 400 mètres carrés doivent conclure une convention avec une association caritative, afin de faciliter les dons alimentaires.
Autre exemple : les applis sorties proposant aux particuliers de donner leurs restes (Left Overswap), les frigos solidaires, les légumes moches… Air Bites est le Airbnb de l’alimentaire, un service imaginé par des étudiants où on peut manger chez un particulier.
3 – Le bonheur, « c’est simple comme un cerveau au repos » : c’est la tendance instincts
Pour se réinventer, il est important de renouer avec ce qu’il y a de plus essentiel en nous : notre instinct. Et pour cela, il faut démonter la machine sophistiquée de notre mental. Si l’an dernier, il s’agissait de déconnecter, il faut carrément arrêter de penser, cesser d’intellectualiser, se faire confiance à soi-même, se reconnecter à la terre. On retrouve son instinct animal comme dans le film The Lobster. Les neurosciences mettent en avant la puissance de la zone émotionnelle du cerveau formée par l’amygdale et le noyau accumbens. Avec son recueil de 19 nouvelles paru chez Gallimard, S’abandonner à Vivre, l’aventurier-écrivain Sylvain Tesson nous suggère d’adopter le Pofigisme, un terme russe qui signifie une « acceptation joyeuse, désespérée » de ce qui nous arrive. Michel Onfray lui emboîte le pas avec Sagesse sans Morale et propose une façon de vivre axée sur la contemplation contemplative. Dans son clip, Elastic Heart sorti en janvier 2015, Sia met en scène Shia la Beouf et Maddie Ziegler dans une cage, qui se jaugent et se reniflent comme des tigres. Est-ce pour cela que notre fascination pour le monde animal atteint des sommets ? Les médecins préconisent la cohabitation avec un animal domestique pour chasser le stress; les bars à chats essaiment au Japon. Au nombre de 63 millions, les animaux domestiques représentent la première communauté française. On les anthropomorphise, on les fait parler, on leur donne leur premier hôtel comme dans la publicité pour l’agence de voyage argentine Atrapalo, leur premier restaurant, leur première chaîne de TV avec des émissions dédiées. Whiskas lance même une application pour vivre la vie d’un chat et Telefonica propose aux félins de vivre plus comme des chiens (« Be more dog »).
On retrouve aussi le goût du risque. Se trouver c’est aussi se perdre, se mettre en danger. Avec des films comme les Nouveaux Sauvages, Les Combattants, The Walk de Robert Zemeckis qui raconte l’histoire vraie du funambule, Philippe Petit qui a tendu un fil entre les Twins Towers, ou la publicité Audi qui fait l’éloge de la transgression et propose à mots couverts d’appuyer sur le champignon. Dans l’émission de real TV américaine Risking it all, sur TLC, trois familles quittent les fastes de la vie citadine pour partir se ressourcer dans une petite maison dans la prairie sans eau courante ni électricité.
4 – Le Made in France et les valeurs républicaines : c’est la tendance transmission
2015 voit l’Entertainment tenter de refonder des valeurs communes. De nombreuses marques comme Air France ou Toyota font de ce label un argument de vente. Présent depuis 2012, il est toujours au plus haut de la tendance, comme le montre le panel de livres sortis cette année qui valorisent la cuisine, les beautés de la France et même l’orthographe française ! La dictée des cités créée par l’association Force des Mixités, a rassemblé plus de 1000 participants à Saint Denis.
Après les attentats de Paris en janvier 2015, de nombreux écrivains et réalisateurs sont montés au créneau pour défendre les valeurs républicaines et laïques: Marek Halter dans Réconciliez-vous, Lydia Guirous (Allah est grand, la République aussi) ou Abdennour Bidar dans son Plaidoyer pour la Fraternité.
Le danger islamiste prend une part grandissante dans les histoires développées par les auteurs. Après Hatufim/Homeland, FRAT acronyme de Français Radicalisés Terroristes, la première série en format express (10 épisodes de cinq minutes), diffusée sur Canal Play, traite des retournés et de leur traitement par une fraction de forces spéciales. Le film Made in France de Nicolas Boukhrieff, (dont la sortie prévue pour cette semaine, a été repoussée en raison des attentats du 13 novembre dernier), nous propose de suivre le parcours d’un journaliste indépendant musulman infiltré dans une organisation djihadiste en banlieue parisienne.
Enfin de nouvelles questions apparaissent dans les films indépendants mais aussi dans la real TV, et les jeux sur smartphone : les migrants. C’est le cas dans Hope, Alda et Maria, plus récemment Dheepan de Jacques Audiard pour le cinéma, ou Rot Op Naar Je eigen Land. Cette TV réalité où une famille de Hollandais est plongée dans la réalité de l’immigration et doit se débrouiller sans moyens dans un pays d’accueil, nous alerte sur la vie de ceux qui n’ont plus aucun repère. Dans Cloud Chasers (Blindflug), MigraKick (Rosalia Studio), Papers Please (Steam) des jeux sur smartphones ont pour but de dénoncer les complexités sans fin du parcours de migrant.
5 – On revit dans les années 90 : c’est la tendance anticipations
Place au rétro-futur. Dans tous les domaines, notamment dans les jeux comme : We are the 90s (boite à quizz spécial 90’s) ou My Retro Gamesbox (une nouvelle box qui propose d’acquérir des jeux vidéo rétro chaque mois). Le studio d’animation américain Nickelodeon lance une chaîne, The Splat, qui rediffusera ses grands succès des années 90, parmi lesquels Hé Arnold ! et Les Razmoket. Pour le moment, elle n’est pas encore en activité mais une chaîne YouTube, un site officiel et des comptes Facebook, Twitter et Instagram viennent tout juste d’être créés. Un nouveau bar, le Pub Fiction a même été lancé à Paris dans le XIème consacré aux années 90 : Games Boy, Kiki, CD 2 titres, boys band et séries cultes. « On est aussi envahi par les pixel qui rassurent et nous donnent un futur sympathique, comme dans Under Neon Lights, le clip des Chemical Brothers, le film américain Pixels, le spot pour Budweiser Real Life Pacman, les clips Peaches and Cream de Snowy Dog, ou d’Iron Maiden (Speed of Light)… », ajoute Laurence Malençon.
C’est aussi le retour des films cultes de science fiction : Independence Day, Star Wars, Mad Max, Jurassic World, Teminator… En 2016, Rogue One : A Star Wars Story est prévu -c’est l’un des trois films dérivés de Star Wars qui se situe avant l’épisode IV. « Au final, 2015 a été dominée plus que largement par des messages forts pour s’ouvrir encore plus au monde, manifester toujours plus d’attention et de bienveillance, changer de modèle de société en se rapprochant de la nature et de la matière et se rapprocher de ses instincts. Un mot d’ordre : aimer, fabriquer, ressentir », conclut Laurence Malençon. Difficile de savoir s’il sera toujours le même après les massacres de vendredi dernier…