Certaines marques traversent le temps, les crises, les révolutions industrielles ou politiques… Pas en se contentant de suivre un long fleuve tranquille mais, bien au contraire, en ayant un sens aigu des évolutions à saisir ou à anticiper.
Les marques devenues patrimoniales ont souvent su se saisir des mutations ou des opportunités de leur marché, prendre les bons virages… La maison Hermès, créée en 1837, n’incarnerait pas l’élégance et le bon goût à la française si elle avait continué à fournir de beaux harnais et des selles aux nobles pour leurs chevaux… « Au-delà d’une excellente connaissance des savoir-faire, la marque a toujours eu une forme de liberté qui a longtemps été liée à la famille Dumas, mais qui a réussi à perdurer chez leurs successeurs. Quand une personnalité a une vision authentique et parvient à la faire infuser dans l’ensemble de la maison, cela crée une vraie culture d’entreprise », note Emma Fric, directrice recherche & prospective chez Peclers Paris.
D’autres ont su transformer l’essai après le lancement d’un produit iconique. Créée en 1883, la bonneterie Valton Quincarlet & fils a connu le succès dès 1918 avec sa culotte Petit Bateau sans jambes ni boutons, qui permettait d’être plus à l’aise dans ses vêtements et a donné son nom à la marque en 1920. Le décollage n’est pourtant arrivé qu’après la seconde guerre mondiale, avec l’élargissement des gammes enfants. Seb, issue d’un atelier de ferblanterie fondé en 1857, a changé la vie des ménagères d’après-guerre avec l’invention, en 1953, de sa Super-Cocotte en aluminium embouti. La culture d’innovation a permis à la marque de conforter au fil des ans sa posture de facilitateur de la vie quotidienne.
Pour s’inscrire dans le temps, il faut parfois savoir identifier son véritable concurrent et nouer les bonnes alliances au bon moment. Fondée en 1748 en Lorraine, la faïencerie de François Boch s’est alliée en 1836 avec les Villeroy, une famille de négociants concurrente, pour contrer la concurrence anglaise. Leur union dans Villeroy & Boch leur a non seulement permis de maintenir leurs positions, mais aussi de se diversifier dans la céramique sanitaire, qui représente encore aujourd’hui plus de la moitié de son chiffre d’affaires.
Se réinventer de gré ou de force…
Toutes les évolutions ne se font pas dans la douceur. Au-delà des évolutions liées à l’époque, les changements de génération peuvent en effet s’avérer ravageurs. Burberry, entreprise familiale née en 1856, avait construit son succès autour de la gabardine, du trench-coat, du tartan écossais… avant de perdre son image de maison innovante. Rachetée en 1955 par le géant de la grande distribution GUS, la maison a continué à sombrer jusqu’à la fin des années 1990. Un travail de longue haleine, a pourtant permis à la marque de trouver un nouvel essor en alliant la tradition et les codes du digital. Son Burberry Store de Regent Street, à Londres, inauguré en 2012, illustre ce retour à l’avant-garde et la nouvelle porosité entre le monde réel et virtuel. Egalement au bord de la faillite à la fin des années 80, Petit Bateau a dû sa relance au travail de réinvention des produits et de la communication mené sous la houlette de son nouveau propriétaire Yves Rocher. Déclinés pour les adultes, ses célèbres tee-shirts sont alors devenus des basiques des fashionaddicts. La campagne « Petit Bateau pour toujours », avec des personnages d’âge très différents mais toujours exprimés en mois, mettait en scène le caractère inter-générationnel de la marque.
Ces marques plus que centenaires savent non seulement s’adapter aux préoccupations de leurs consommateurs mais aussi, parfois, s’engager, prendre leur part de responsabilité dans la défense des grands enjeux de leur époque. A presque 170 ans, le Petit Beurre Lu du goûter, qui se transmet dans les familles depuis huit générations, est l’un des biscuits qui porte le projet d’entreprise Lu’Harmony autour du blé durable et du respect de l’environnement.
Le digital : un virage mais aussi un atout
Comme toutes les autres, ces marques patrimoniales sont confrontées à la mutation digitale. Certaines s’y sont d’ailleurs attelées avec succès comme Hermès, l’une des premières maisons de luxe à se lancer dans le e-commerce. Du haut de ses 178 ans, la marque est passée maître dans l’art de jouer avec les codes et d’étonner ses clients. La maison de luxe parvient à combiner une stratégie digitale, qui lui a permis de se rapprocher de ses consommateurs et de toucher des publics nouveaux, et la rareté qui fait – aussi – son attractivité.
Pour ces grandes maisons parfois plus que centenaires, le digital constitue un fantastique outil pour mettre en scène leur héritage : le portrait des fondateurs, les grandes évolutions, les savoir-faire… sont autant d’occasions de créer des ponts entre l’histoire et la modernité. Les marques de luxe, dont le marché s’est singulièrement déplacé vers l’Asie, ont bien compris comment l’utiliser pour faire entrer les clients des pays émergents dans la culture de la marque et les fidéliser.
Le numérique peut aussi être le lieu de tous les dangers. « Aujourd’hui, une marque doit être en capacité de parler 365 jours par an, ce qui démultiplie les risques de perdre le fil de valeurs qui ont été sagement et durablement ancrées au fil des ans, souligne Stéphane Martin, directeur général de l’Autorité de Régulation Professionnel de la Publicité (ARRP). Dans la nécessité de recréer en permanence de l’intérêt, on peut imaginer qu’une communication sur un réseau social ou un site d’hébergement vidéo autorise être en décalage par rapport aux valeurs fondamentales de la marque. Or, si le consommateur est choqué par la publicité qu’on lui propose, il le sera quel que soit le support ou le contexte de diffusion. »
Pour incarner ou personnifier leur identité, les marques ont parfois recours à des égéries. Des égéries imaginaires comme le Bibendum Michelin ou Monsieur Malabar, remplacé en 2011 par le chat noir Mabulle… Ou des stars, privilégiées par les marques de mode et de luxe, mais dont la notoriété peut s’avérer plus éphémère. Ce recours aux égéries n’est plus toujours très opportun, selon Vincent Grégoire, directeur du département Art de Vivre de Nelly Rodi : « La représentation est plus intéressante quand elle vient de l’intérieur de l’entreprise, avec quelqu’un qui est impliqué dans le projet. Il n’y a rien de mieux que la valorisation d’un talent en interne pour révéler l’état d’esprit de la marque. » Une nouvelle piste pour ces marques qui ont toujours pu compter sur la créativité de leurs talents…
Emma Duchatot
Découvrez l’intégralité du rapport INfluencia / Dagobert sur » Les Marques qui comptent «