C’est l’histoire d’un mec poursuivi par un passé dérangeant pour son avenir. Où quand les vieilles photos et autres quolibets ne veulent pas lâcher prise et demeurent en tête de gondole sur Google… Découvrez une histoire fictionnelle bien de notre époque !
J’ai 26 ans, je suis business developer dans une start-up à New York et pour rien au monde je ne vous donnerai mes nom et prénom. La cause ? Sur Google, les vestiges de mon adolescence subsistent encore. En 2008, ma classe de terminale décide de tenir un « cahier de bord » de notre année scolaire sous la forme… d’un Skyblog. Si à l’époque, l’initiative avait un « sens », la logique aurait voulu que les auteurs désactivent le compte quelques années plus tard. Il n’en fût rien. Laissé à l’abandon, le web l’a ressuscité, le référencement a fait son oeuvre et Google est devenu le fossoyeur de ma vie 2.0. Quand on tape mon patronyme sur internet, le lien remonte en cinquième position et la première photo me concernant est hébergée sur ce fameux blog. Inutile de vous dire qu’alors, je suis dans la période la plus intense de mon adolescence : j’ai un peu d’acné, une coupe mulet et je ne peux m’empêcher de faire mon regard de mec blasé. Il suffit de se balader sur le Skyblog pour trouver une « armoire à dossiers » de ma personne.
Qui a envie de laisser une telle trace ?
J’ai bien essayé de contacter l’équipe technique de Skyrock pour supprimer ces vestiges embarrassants. Rien à faire. Seul les administrateurs du site peuvent intervenir, et je ne sais même plus qui en est à l’initiative. J’attends toujours la grâce Présidentielle de Mr Google, un « déférencement » en bonne et due forme, un droit légitime à l’oubli.
Pour comprendre ma détresse, posez-vous une question : accepteriez-vous que le contenu de votre Skyblog apparaisse en « Une » quand on vous « googlise » ? Si la première impression digitale est toujours la bonne, tomber sur de tels dossiers est un réel désastre. Tout le monde ou presque utilise ce moteur pour se renseigner sur une personne, connaître ses goûts et juger son physique. Comment être crédible face à un recruteur ? Que va penser mon rencard Tinder ? Ma vie est-elle compromise pour toujours ? J’ai la mauvaise impression d’avoir mon album de famille grand ouvert sur internet et c’est assez désagréable.
Cette ombre au tableau pourrit mes nombreux efforts pour façonner mon identité numérique. Et je ne ménage pas ma peine. Sur ma photo de profil Linkedin, j’ai appliqué à la lettre l’une des bases du football : « plat du pied, sécurité ». A savoir une photo en noir et blanc, à mon avantage en ajoutant charme et mystère. Un joli portrait dupliqué sur Facebook, Twitter et Instagram. Mon activité sur les réseaux sociaux ? Je poste de temps à autre des sons electro-rock, je soigne à coup de filtre mon « life style » et j’ajoute un point d’honneur à entretenir mon réseau professionnel via Linkedin. J’ai partagé avec mes followers mon dernier voyage dans la Death Valley, aux Etats-Unis, #grandiose. Quand ma copine m’a largué, j’ai doublé mon activité sur les réseaux sociaux et je me suis vengé en postant de nombreuses photos de soirées en compagnie de plein de filles si possible : #laviecontinue. J’applique à la lettre les règles de bienséance du personal branding, toujours inspiré et bien « propret »…. En dépit de tout ça, qui m’assure que ce contenu damera définitivement le pion au précédent ?
Il y a quelques mois, Essena O’Neill, jeune mannequin australienne, affichait son ras-le-bol sur les réseaux sociaux, victime de la dictature de l’image. Et si ce Skyblog devenait, au fond, un pied de nez inattendu à une société qui aime maquiller son quotidien ? Une manière de désacraliser l’image renvoyée sur les réseaux sociaux, quitte à se prendre un peu moins au sérieux ? Ces photos n’ont rien de choquantes mais posent tout de même une notion fondamentale : le principe de précaution. Le web n’est pas indolore et ne manquera pas de vous rappeler vos « sorties de route ». Ce n’est pas Serge Aurier, le footballeur du PSG qui vient de se faire pincer pour comportement « inadaptés sur les réseaux sociaux », qui dira le contraire…