Nous naviguons entre abstraction et réalité lorsqu’il s’agit d’appréhender l’influence en tant que telle. Rusons : analysons les représentations qu’on s’en fait, pour tenter de « réfléchir » ce talent de l’acteur à produire ce flux, cette infime force impensable, mais agissante…
Dans les mondes professionnels de la communication, la notion d’« influence » tend à se traduire surtout par des chiffres, par d’élégantes présentations graphiques, de schémas, de nombres compilés, d’algorithmes et d’indices. Cette pratique contemporaine du chiffre fait proliférer classements, indicateurs et autres calculs liés aux données massives (on parle de big data). Et, plus généralement, elle s’appuie sur une conception de l’autorité comme audience (un influenceur doit avoir un public) et de la communication comme pouvoir (influencer, c’est faire faire ou au moins, faire croire).
Des objets chiffrés séduisants et efficaces, qui donnent l’impression de toucher du doigt la réalité du phénomène social de l’influence. On sent bien qu’il se passe quelque chose, qu’effectivement il y a « de l’influence » ; mais on perçoit aussi que le tour de la question n’est pas fait avec un nombre de followers, un indice de popularité comme Klout, un ranking dans les résultats de recherche ou une cartographie. Au contraire, la plupart des professionnels évaluant l’influence de marques ou d’individus s’accordent à reconnaître que les calculs ne sont que des approximations et que ces indicateurs n’épuisent pas un sujet plus large et complexe. Mais notre esprit et notre époque sont ainsi faits que les imaginaires de l’influence sont aujourd’hui dominés par des schémas assez simples (des flèches pointant d’un pôle à un autre) et par une valeur certaine accordée aux métriques.
Insaisissable influence
La notion d’influence en elle-même permet de nommer, au quotidien, des situations bien réelles : elle va notamment permettre de rendre compte de certaines de nos options – en signalant par exemple la responsabilité d’un propos, d’un geste, d’une opinion dans une action. Mais les mécanismes activés par l’influence restent toujours frappés d’un certain mystère. La représentation linéaire de l’influence (la « flèche » dans un schéma unidirectionnel liant A à B) est souvent accompagnée d’une sorte de croyance : les « vrais influenceurs » posséderaient un talent difficile à définir et à approcher objectivement. Leurs propos et opinions relèveraient ainsi du charisme, voire de la magie… À son apparition en français en 1240, l’influence, c’était celle des astres sur les actions des hommes, une « sorte d’écoulement, de flux ». Une chose difficile à situer donc, qui serait insaisissable, entre le matériel et l’immatériel. On retrouve la trace de ces conceptions aujourd’hui dans la métaphore de la communication comme viralité (« mèmes », etc.). Le mot « influence » vient d’ailleurs de ce champ : la grippe, flu en anglais, influenza en italien, c’est l’influence du froid sur la santé…
Une simple questions de causes ?
L’influence, comme objet culturel et social, semble donc correspondre à quelque chose de bien réel, mais que l’on a toute la peine du monde à situer entre l’abstrait et le concret. Du côté du concret, les choses seraient simples : de façon mécanique, quand un mobile en frappe un autre, le second est bien forcé de bouger sous l’effet du premier – à ce niveau, le monde ne peut être appréhender qu’avec une certaine simplicité géométrique, causale. Tout n’y est qu’affaire d’habitude – si un malabar me tape, avec sa force physique et sa force d’inertie, c’est moi qui vais tomber – et de calcul, et la représentation du monde physique d’Euclide à Newton permet d’en rendre compte efficacement. Les sciences mécaniques sont ainsi des modèles suffisants pour penser le mouvement des corps et leurs interactions. Même la flu, la grippe, a fini par trouver son explication et son causalisme, et lavons-nous bien les mains en attendant le printemps…
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