Contre la vision anxiogène relayée par certains du « tous digitalisés »*, Manuel Diaz, passionné et pionnier du numérique, met en lumière dans son livre l’aubaine d’une reconstruction structurelle. Extraits d’un optimisme communicatif.
Le digital est une formidable opportunité pour beaucoup de marques de reprendre contact avec leurs clients, de recréer une relation. Êtes-vous en contact avec Whirlpool lorsque vous achetez un réfrigérateur ? Avec Braun lorsque vous achetez un rasoir ou une brosse à dents électrique ? Non. Vous êtes en contact avec Darty, la Fnac ou un autre revendeur. Les marques ont ainsi perdu la relation avec le client. Grâce à l’arrivée des objets connectés, elles vont pouvoir la retrouver. En effet, ce qui compte dans l’achat d’un objet connecté n’est pas l’objet lui-même, mais le service rendu possible au travers de l’objet. Ledit service s’appuie sur l’utilisation de données et est donc l’occasion pour la marque de recréer une relation directe avec le client en devenant un prestataire de service, en réinvestissant son quotidien.
Cette nouvelle relation, cette expérience « en direct » entre la marque et le client, dans un monde où, qui plus est, une part en constante augmentation des achats se fait en ligne, signifie-t-elle pour autant la mort des magasins, du « retail physique » ? Non, à condition que le retail se réinvente autour de l’expérience du consommateur digital.
« Bonjour Manuel, vous devriez aimer ça… »
Le développement du e-commerce, contrairement à ce que l’on entend souvent, ne se fait pas au détriment du commerce « physique ». Ou pas systématiquement. Ce dernier ne perd du terrain que dans un seul cas : lorsque l’expérience en ligne surpasse l’expérience en magasin et la rend froide, sans saveur, voire désagréable. Imaginez que vous vous rendez sur le site d’une enseigne de produits culturels. Vous vous identifiez et le site vous propose automatiquement des titres, des albums, des livres en fonction de votre historique, de vos goûts, des recommandations de vos amis. Maintenant, vous vous rendez dans un magasin de cette même enseigne. Le vendeur qui vous prend en charge n’est compétent que sur son rayon… et encore ! Il ne connaît pas vos goûts, ce que vous avez déjà acheté alors même que vous avez dans votre poche ou votre smartphone votre carte de fidélité. On passe du « Bonjour Manuel, vous devriez aimer ça… » à « Bonjour, puis-je vous aider ? ».
Avec l’arrivée de technologies comme iBeacon, je devrai être reconnu par le vendeur qui m’accueillera ainsi : « Bonjour Monsieur Diaz, j’ai quelque chose que vous devriez vraiment écouter. » Peut-être que ses Google Glass m’auront également identifié et que pendant qu’il me parlera des informations sur mes préférences apparaîtront sur l’écran de ses lunettes. Malgré les côtés pratiques du digital, nous continuerons à apprécier l’expérience d’un contact humain, pourvu que celui-ci soit efficace, de qualité, individualisé. Ce qui est vrai pour ces grandes enseignes l’est tout autant dans le monde de l’habillement, les agences de voyages et autres.
Quelques marques, comme Apple, ont réussi à développer une continuité et une cohérence d’expérience entre le online et le physique. On achète dans l’un et on retire sa commande dans l’autre. On scanne un produit avec son téléphone et on part sans passer par la caisse. Pourquoi est-ce si fastidieux de payer dans un magasin alors que la commande en « 1-clic » existe en ligne ? Pourquoi faire la queue à la caisse alors que le vendeur peut directement encaisser ? Le paiement tel que nous l’avons toujours connu est bientôt mort, en tout cas sous sa forme actuelle, avec l’arrivée de technologies comme iBeacon et Apple Pay. Ce sont autant de questions que les enseignes doivent se poser si elles ne veulent pas que le client ne visite un magasin « en dur » que par contrainte, faute de mieux. Ce n’est déjà plus et ce ne sera plus jamais son premier choix.
Le retail physique doit se réinventer. Il deviendra un lieu de démonstration, un lieu d’engagement si l’expérience client est à la hauteur. Mais il ne sera plus un lieu de vente isolé d’un parcours, d’un cycle global. Une autre nécessité se fait alors jour : que les enseignes cessent de différencier leurs canaux de distribution comme s’ils étaient deux mondes différents. Au contraire, chacun est la prolongation de l’autre dans une expérience de marque globale ; les dissocier rompt cette continuité de l’expérience. Avoir une logique omnicanale se traduira par l’affichage sur mon téléphone, lorsque je passerai devant un produit, du nombre – voire du nom – de mes amis qui ont acheté le produit, de leurs commentaires, grâce à l’étiquette électronique sur le présentoir, qui me reconnaîtra via mon téléphone ou ma montre connectée.
Le personnel comme customisateur d’expérience
Et que dire des lieux de passage comme les aéroports ? Certes, la vente est effectuée avant l’entrée à l’aéroport, mais ce n’est pas une raison pour détruire le continuum de l’expérience client et ruiner les efforts réalisés auparavant. Les objets connectés signifient la fin des fastidieuses files d’attente et des contrôles. La carte d’embarquement électronique ouvre toutes les portes nécessaires et permet une circulation fluide. Pour autant, les agents auront encore toute leur place dans ce dispositif nouveau, mais une place remodelée. Convenablement outillés ils deviennent des agents d’expérience, des customisateurs d’expérience, aptes à délivrer un service unique à un client unique. Deux exemples illustrent déjà ce futur.
Tout d’abord, Qantas. Grâce à un recours massif aux données et à l’analyse de l’historique des passagers, la compagnie aérienne donne à ses agents des outils qui leur permettent de prendre la bonne décision pour un passager donné. Ce n’est pas parce que deux personnes voyagent dans deux sièges contigus qu’elles sont les mêmes. En cas d’incident, l’une peut être davantage sensible à un surclassement, tandis que l’autre préférera un remboursement. Et si un passager a déjà connu un incident récemment, il faudra être plus précautionneux avec lui qu’avec un autre. Toutes ces informations seront encore une fois accessibles au personnel sur leurs terminaux mobiles.
Ensuite, Virgin Atlantic, qui commence à équiper son personnel de Google Glass. L’idée est la même : reconnaître le passager, connaître son historique, ses préférences et être en mesure de lui donner toutes les informations relatives à son voyage et résoudre ses problèmes. La satisfaction client est passée de mode ou, plutôt, elle n’est plus suffisante. C’est la première des politesses, le minimum vital pour continuer à exister sur le marché, fût-ce sous assistance respiratoire. Pour gagner, il faut mettre en œuvre des expériences.
Là encore tout est disponible, mis en œuvre progressivement de manière disparate. Mais c’est la convergence de toutes ces initiatives qui réinventera la relation et, plus encore, l’expérience client à l’heure digitale. Toutefois, la technologie ne fera pas tout. Elle demande aux clients et aux marques de s’entendre sur un double contrat : un contrat d’expérience et un contrat de données. Le contrat d’expérience est en quelque sorte à l’intersection de la promesse de la marque au consommateur et de l’attente de ce dernier. Sans promesse, pas d’expérience, pas de repère. Sans individualisation de l’expérience, la promesse reste anonyme, agréable à entendre, mais fade dans sa mise en œuvre.
Le contrat de données est la dimension éthique du commerce à l’heure du digital. Il est le nouveau contrat de confiance. Si la donnée est le carburant de l’expérience, c’est un carburant explosif et instable. Il est essentiel que les marques soient claires sur la manière dont sont collectées et traitées les données, dont elles sont protégées et dont elles seront utilisées. À défaut d’un tel contrat, ou s’il venait à ne pas être respecté, c’est la confiance entre le client et la marque qui serait rompue de manière irrémédiable.
* Tous Digitalisés – Et si votre futur avait commencé sans vous ? paraît aux Éditions Dunod.
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