Au travers de ses nombreuses études et réflexions sur le sujet du shopping et de la distribution, l’institut Ipsos perçoit un mouvement de fond qui fait évoluer la conception de la shopping experience. Immersion dans un monde nouveau : le phygital.
Un flashback s’impose, au moment où le digital fait une irruption fracassante dans la distribution, en virtualisant selon les secteurs tout ou partie des pratiques physiques. Depuis, chaque catégorie accueille maintenant au moins un pure player digital. S’est engagé dès lors un combat sans merci entre shopping physique et shopping virtuel. Arbitre de cette lutte entre deux mondes, la qualité de l’expérience shopper, qu’elle soit digitale ou physique, progresse constamment en tant qu’attente, et peut dans un futur proche devenir le véritable déclencheur de l’achat. Parce qu’on me propose un voyage fluide, positif et enrichissant dans l’offre de la marque depuis la prise de contact jusqu’au service après vente, je suis favorablement guidé vers la transaction.
La pièce manquante
Dans ce contexte, le digital n’a de cesse d’innover pour compenser ses faiblesses – pas de contact physique avec le produit, délais et modalités de livraison parfois handicapants. Plusieurs marques rivalisent ainsi de créativité pour trouver les systèmes de delivery les plus fluides et rapides possibles (citons Volvo On Call, qui inaugure la livraison des courses alimentaires directement dans le coffre de la voiture), d’autres proposent l’essai gratuit à domicile d’articles sélectionnés sur le site Web (aux États-Unis, l’enseigne de lunettes Warby Parker a lancé le service Home Try-On : 5 paires pendant 5 jours 100 % free). En d’autres termes, le digital « remet du physique » dans l’expérience client.
À l’inverse, les points de vente physiques, forcés d’évoluer, se développent dans deux directions. D’un côté ils opèrent un recentrage sur leur zone de force, via une interaction human-to-human soignée pour créer du lien émotionnel, du relationnel affectif, de la fidélité. Le conseil, l’écoute, le servicing, l’atmosphère du point de vente sont donc des priorités dans la plupart des enseignes physiques. De l’autre ils intègrent de plus en plus la « part digitale manquante » à leur expérience live : le point de vente physique métabolise lui aussi la technologie digitale au service d’une expérience client toujours plus fluide, personnalisée et surprenante. C’est l’expérience « phygitale », qui combine la capacité d’entertainment de la marque en point de vente pour capter la relation, et l’efficacité digitale pour augmenter le désir et concrétiser la transaction.
Du point de vue digital ou physique, il semblerait donc que l’opposition réel-virtuel ait vécu ; la vie « tout virtuel » ou la schizophrénie que l’on craignait du temps de Second Life a cédé la place à un monde où l’expérience virtuelle est au service d’une augmentation du plaisir et du confort dans la réalité physique. L’innovation autour du shopping en centre commercial confirme cette direction : 65 % des Français aimeraient voir les informations sur un vêtement s’afficher automatiquement en le décrochant du portant en magasin, un concept de cintre intelligent testé par la marque Vanquish au Japon (source « Observatoire du shopping »/Unibail-Rodamco 2015). Dans ce cas, le digital aide à mieux sélectionner le produit qui convient, à être averti, à optimiser son temps en point de vente. Autre exemple, 39 % des 16-24 ans ont déjà utilisé ou sont particulièrement intéressés par la possibilité de géolocaliser leurs proches au sein d’un centre commercial. Ici encore, l’application intervient bien pour générer une interaction physique optimisée : être ensemble, se retrouver, augmenter le plaisir de l’instant shopping.
La gestion du temps réel
Les exemples foisonnent, qui viennent encapsuler un module digital soit avant, soit au moment de l’acte physique, pour le client, mais aussi en support pour les vendeurs. Avec MySephora, le personnel de l’enseigne dispose d’un iPod Touch intégrant les informations du client encarté pour un conseil personnalisé qui tient compte à la minute de son historique.
Le futur proche comptera sans doute avec les beacons, ces petites balises installées en point de vente qui se connectent en Bluetooth aux smartphones des clients, et utilisent les données captées pour orienter le parcours d’achat, proposer des promotions ou des offres pertinentes en temps réel. Apple a déjà équipé 250 de ses Apple stores en beacons, et Macy propose déjà d’activer son Bluetooth en entrée de magasin pour guider chacun vers les rayons les plus pertinents pour soi.
Reste bien sûr à inciter les utilisateurs à activer leur Bluetooth à l’entrée du magasin… ou à les rewarder pour s’équiper d’autres systèmes ne nécessitant pas forcément le passage en Bluetooth. Dans ce sens, la toute fraîche start-up Arenzi commercialise des puces RFID [implant électronique sous-cutané, ndlr] actives à longue portée permettant de tracer un visiteur, ou un caddie, dans un espace donné, recueillant ainsi les données de son parcours de visite pas à pas.
Défi majeur du phygital, rester fluide et seamless, sans heurts, dans l’expérience proposée. Car la surenchère de sollicitations digitales pendant le parcours client peut se révéler tout à fait contre- productive et venir saturer d’informations un visiteur en quête de bonnes surprises et de détente, qui décroche alors rapidement. Pire, si les informations ou propositions n’arrivent pas au bon moment, l’objectif de personnalisation se transforme en son contraire : un effet « hyper-massifiant » qui réactive la levée de bouclier contre l’utilisation abusive des données personnelles. À l’arrivée, les écueils du marketing miroir : en raison d’un léger décalage de temps, le client éprouve un sentiment de déjà-vu face à son clone virtuel, et se sent enfermé dans une boucle algorithmique qui lui propose de la répétition au lieu de la découverte, ou qui le place dans une étiquette trop étriquée dans laquelle il ne se reconnaît pas.
En bref, le réglage « phygital » pourrait bien être un travail d’orfèvre ! Proposer sans imposer, captiver sans capturer, stimuler sans irriter, tels sont les challenges que doivent relever les intégrateurs de solutions digitales aux espaces physiques.
Vers une gamification généralisée ?
Et pour compliquer la donne, à l’inverse, l’absence « d’augmentation » de la réalité de l’expérience shopping via le digital pourrait être bientôt pénalisante, à mesure que se forge l’expérience du consommateur dans ce domaine : devenu exigeant et impatient, le nouveau shopper ne comprend pas pourquoi ce qui est possible dans l’enseigne d’un secteur ne le serait pas dans une autre ! À tout le moins, cette exigence apparaît particulièrement forte à l’égard des réseaux chaînistes, dont il sait qu’ils ont les moyens d’investir dans la technologie à grande échelle et qu’ils exploitent toutes les données qu’ils peuvent capter de lui. On pourrait presque y voir un nouveau deal relationnel avec ces enseignes : si tu me sondes, utilise ce que tu apprends de moi pour améliorer ta pertinence, mon plaisir et mon confort.
Dans ce domaine, l’univers du gaming est très inspirant : créer des interfaces fluides et surprenantes pour construire une expérience ludique et sans effort est une compétence très prisée en dehors du domaine strict du jeu. Gamification de la société, des modes de travail, l’univers du shopping peut sans doute apprendre beaucoup de ses cousins de l’entertainment.
Quoi qu’il en soit, dans un environnement ultra concurrentiel, physique et digital semblent devoir définitivement s’additionner pour accroître la surface d’expérience d’un shopper devenu, lui aussi, augmenté.
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