Fin 2015, les députés ont adopté un amendement visant à « clarifier » le champ d’application de la loi Evin. Par « clarifier », entendez « assouplir » son application, rouvrant de nouveaux champs possibles d’expression pour les marques. Et si cet assouplissement n’était pas une si bonne nouvelle pour les professionnels de la communication en charge de budgets alcools ? Et si les marques tombaient dans le piège de la ruée vers l’or ?
Il fût un temps, à l’ère pré-loi Evin, où tout était possible en matière de communication pour les marques d’alcool. Un âge d’or ? Plutôt une autre époque. Et il n’y a qu’à se plonger dans les archives de la publicité pour se faire un avis. Sexisme, incitation à la consommation, arguments faussement scientifiques… Créativement parlant l’alcool était un boulevard vide d’interdictions. Mais dans quel but ? L’alcool est une typologie de produits à forte implication, ne serait-ce qu’en matière de santé publique. Et l’instauration de la loi Evin a eu cela de salutaire qu’elle a permis de recadrer les pratiques et de faire prendre conscience à l’ensemble du marché de l’importance d’avoir des limites.
Mais ce n’est pas tout. Si la loi Evin a réduit considérablement le champ d’expression envisageable pour les marques d’alcool, elle a surtout obligé les marques à se remettre en question, à se réinventer… pour finalement mieux se différencier. Nous sommes tous égaux face à un obstacle, seule notre manière de le contourner fait la différence. Il a donc fallu repenser les discours, leurs expressions et leurs supports. Replonger dans l’histoire des marques, dans leur passé et leurs archives, pour (ré)asseoir un positionnement, une légitimité et, finalement, une notoriété. Il fallait être créatif, vraiment créatif. Et les marques en sont ressorties gagnantes en matière d’image, d’influence et de notoriété à long terme.
Aujourd’hui, la loi Evin fait son retour sur le banc de la discorde. Désormais, tout contenu relatif « à une région de production » ou à une « indication géographique » n’est plus considéré comme de la publicité. Il est aussi possible pour les marques de diffuser de tels contenus sur des supports comme la télévision ou le cinéma (jusqu’alors interdits), à la radio à tout heure ou encore sur internet. D’un côté, les associations de protection des consommateurs crient au scandale. De l’autre, les professionnels du marché soufflent un peu. Mais concrètement, ce changement ne remet pas en question les fondamentaux du cadre juridique de la communication des marques d’alcool. L’essence même de la loi Evin résidant dans le fait d’autoriser les marques à communiquer uniquement sur des attributs tangibles et intrinsèquement liés au produit, à son histoire et à sa fabrication. Être l’une des premières vodkas premiums parce que filtrée au cuivre, être la recette de gin la plus inhabituelle parce qu’infusée à la rose et au concombre, être la marque représentative de la chaleur cubaine parce qu’originaire de La Havane…
Chacun peut exprimer une identité propre et un territoire spécifique d’expression à condition que celui-ci fasse écho à un élément identitaire fondé et vérifiable du produit ou de la marque. Si la nouveauté ne porte donc pas sur le contenu, c’est bien sur les moyens médias autorisés que la législation évolue. Bannies depuis longtemps des médias de masse, les marques entrevoient aujourd’hui la possibilité d’y reprendre la parole. Alors reprendre la parole oui, mais pour dire quoi ? Comment différencier le discours de 2 marques de whiskies irlandaises si ils ont la même origine géographique et le même procédé de fabrication ? A cet égard, la dernière campagne Grant’s ressemble étrangement à celle de Clan Campbell. Un même discours -il y a des hommes, une équipe derrière le produit- et une même expression visuelle -représenter ces hommes sur leur lieu de travail, en bichromie. Même si le ton employé diffère, le consommateur percevra-t-il la différence ? Et si il la perçoit, cette différence sera-telle suffisante pour l’aider à faire un choix entre telle ou telle marque ? Avec la volonté de retrouver le feu des projecteurs et d’être présentes sur les médias de masse, les marques abandonnent inconsciemment la singularité au profit d’un conformisme de contenu.
Toucher une plus large audience, gagner en statut et en visibilité… Les raisons d’investir dans le mass media sont nombreuses et, pour la plupart, business. Mais une marque est plus qu’un générateur de business pour l’entreprise, elle constitue cette part intangible d’émotionnel qui la rapproche de ses consommateurs. Or, dans une société où l’on tend de plus en plus vers une forme d’individualisme, la standardisation des messages et le mass media se révèlent de moins en moins pertinents.
Aujourd’hui, c’est l’expérience que les consommateurs vivent avec une marque qui prévaut, et non plus la propension de celle-ci à être partout. La question à se poser est simple : quels sont les objectifs de cette prise de parole ? Le choix du mass media répondra à des objectifs de visibilité de la marque et du produit. Mais, si le but porte sur la différenciation, le développement d’une vision et d’un territoire d’expression aspirationnel qui dépasse le simple cadre du produit, il faudra alors réfléchir à l’expérience que l’on souhaite faire vivre aux consommateurs, une expérience qui se doit d’être unique, impliquante et créative. Si « le meilleur des médias, c’est le bouche à oreille », selon Brian Koslow, le moteur le plus efficace pour générer du bouche à oreille sera toujours l’expérience. A bons entendeurs.