Doit-on s’entourer d’IA ? Peut-on faire confiance à une IA ? Peut-on aimer une IA ? Des questions essentielles et existentielles. Que ce soit au quotidien comme dans le divertissement, le sujet de l’IA égale de l’homme (appelée IA forte) fascine et effraie. Ce fantasme romantique, régulièrement traité par les cinéastes, fait écho aux utopies de nos sociétés, à nos angoisses comme à nos espoirs. Autant d’occasions d’imaginer les comportements et outils d’un futur proche.
Dans le film « Her » de l’esthète Spike Jonze, l’anti-héros solitaire et dépressif tombait follement amoureux de Samantha, la voix de son système d’exploitation d’ordinateur. Une intelligence artificielle, semblable à Siri d’Apple, séduisante et capable d’évoluer au fil des conversations en s’adaptant à son interlocuteur esseulé. Une inconnue rencontrée sur Happn ou Meetic n’aurait pas mieux fait. En outre, l’OS1, sujet principal du film, est une référence pour ne pas dire une critique directe de notre aliénation aux nouvelles technologies, avec la marque Apple en ligne de mire.
D’ailleurs, le point de vue créatif sur Apple aura bien changé. En effet, Ridley Scott réalisa en 1984 une publicité mythique inspirée du roman éponyme d’Orwell. Dans le film publicitaire, Apple incarnait la marque luttant contre la conformité et affrontant un monde gouverné par Big Brother. Trois décennies plus tard, la marque est passée du côté obscur et cristallise les craintes d’aliénation. Depuis cette vidéo, le réalisateur de Blade Runner, Alien ou Prometheus, n’a cessé de questionner la quête d’immortalité et le progrès scientifique dans une filmographie parsemée de robots humanoïdes ou d’entités hybrides, d’IA tantôt complices tantôt ennemies.
Fascinant, le mythe de la machine atteignant voire surpassant l’humain est à l’œuvre. Ces inquiétudes et questions existentielles étaient déjà le sujet de « 2001 l’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick. À bord d’un vaisseau spatial, l’ordinateur de bord CARL, réputé infaillible, commet une erreur et tente d’éliminer les humains s’étant aperçus des dangers. L’IA devient notre pire ennemi dès lors qu’elle est aussi faillible que nous. Finalement, plus l’IA nous ressemble, plus elle nous inquiète.
Les exemples prophétiques ne manquent donc pas, représentant des entités ou systèmes pouvant égaler l’homme, le surpasser voire l’anéantir. Ainsi, l’IA dans le divertissement n’est que le reflet de notre propre fascination, autant teintée d’espoir d’évolution pour l’espèce humaine que de peur de perte de sa suprématie sur Terre et donc de son extinction. Au Japon, où la culture et la religion diffèrent des nôtres en autorisant les répliques humaines, les robots anthropomorphes amusent et peuvent devenir des atouts médiatiques. Quand l’excentrique célébrité japonaise Matsuko Deluxe interroge l’agence Dentsu pour augmenter sa popularité et améliorer l’audience de ses émissions, cette dernière répond « plutôt deux fois qu’une ! ». Et voici qu’apparaît Matsuko-Roïd, le robot-clône de la vedette qui vient dupliquer en plateau la figure de l’égérie. L’intelligence artificielle dans un corps plus vrai que nature met face à face l’original et la copie. La prouesse technologique s’accompagne d’un succès médiatique et commercial indéniable. Les marques s’emparent de ces icônes spectaculaires.
Le mythe de l’IA forte, la réalité de l’IA faible
L’IA forte, capable d’intelligence et de sentiments, est celle qui alimente nos fantasmes et que les chercheurs tendent à atteindre. Mais les machines peuvent-elles réellement s’approcher denos compétences intellectuelles humaines ? Selon le chercheur Jean Piaget, l’émergence de la pensée serait le fruit d’une construction de relations d’un individu au monde environnant. Partant d’organisation d’actions rudimentaires(organiser les mouvements de préhension sans but), l’intelligence se développe au fil de la complexification des organisations d’actions (préhension comme moyen d’atteindre un but). Les processus internes d’assimilation permettent d’aborder un objet ou une idée en fonction d’expériences antérieures similaires. Dans le cas contraire, un nouvel objet ou idée seront appréhendés par processus d’accommodation, visant à s’adapter à la nouveauté.
Ce « test and learn » tout d’abord sensori-moteur, puis intuitif évolue progressivement vers l’acquisition de notions abstraites et symboliques. C’est le passage du réel au possible, des hypothèses aux déductions. Fort de cet enseignement, il nous apparaît qu’à ce jour, l’apprentissage par le réel et la manipulation, étape indispensable à l’accès au raisonnement abstrait, reste le plafond infranchissable pour les machines. L’IA forte reste donc à ce jour une utopie. Les calculateurs boursiers travaillent plus vite que nos synapses et AlphaGo, l’IA créée par Google Deepmind, gagne face au champion du monde de jeu de Go, mais les calculateurs sont bien loin de pouvoir rivaliser avec la synergie de l’ensemble de nos capacités de raisonnement et de pensée. L’IA faible quant à elle fait partie de notre quotidien depuis longtemps. En effet, à leur échelle, de nombreux algorithmes réagissent déjà par l’équivalent des processus d’assimilation ou accommodation humaine.
Dominique Cardon, sociologue au Laboratoire des usages d’Orange Labs et chercheur associé au Centre d’études des mouvements sociaux (EHESS) recense ces algorithmes qui régissent nos vies de consommateurs et de communicants. À commencer par les algorithmes de popularité, ceux qui mesurent l’audience et quantifient les fameux kpis. Aussi, les algorithmes d’autorité tels que Google ou Wikipedia qui déterminent la force sociale d’une page par les liens hypertextes eux-mêmes générés par des utilisateurs. D’où la problématique de ne bien voir que ce qui a déjà été bien benché. Également, l’algorithme de réputation lié au réseau social, au nombre de like d’un contenu et l’algorithme de prédiction que les calculateurs exploitent à visée de recommandation telle que « vous aimez ceci, vous aimerez cela ».
La relation marketing augmentée
L’intelligence artificielle dite faible est devenue une science-fiction familière. Elle nous accompagne du matin au soir. Elle est au cœur de nos quotidiens et de nos métiers. Elle rend nos vies fantastiques et nous promet un avenir meilleur. Mark Zuckerberg a déclaré vouloir développer sa propre IA pour l’assister chaque jour dans sa maison et au travail, comme Jarvis dans le film « Iron Man ». Qui mieux que son IA pour le connaître et répondre à ses besoins ? Qu’il en tombe amoureux et nous revoilà plongés dans le film « Her » !
À l’heure où l’exploitation de nos datas personnelles est un enjeu tant individuel qu’institutionnel, nous pouvons raisonnablement nous interroger sur notre rapport à l’IA et son réel bénéfice relationnel. La relation dite « augmentée » posant la question du bon usage des données (le fameux « big data »). En conseillant les marques qui récoltent ces informations, les agences se font l’arbitre d’une relation complexe où la marque et le consommateur deviennent toujours plus producteurs de contenus partagés.
L’analyse qualitative de ces données par les data miners permet de s’ajuster et d’adresser des messages toujours plus affinitaires. Toutefois, la promesse d’une relation augmentée ne peut se limiter à l’outil « IA faible » actuelle. Si la robotisation permet de simuler des conversations personnalisées grâce aux chatsbots ambassadeurs de marques, les interactions restent pour le moment rudimentaires et prévisibles. Les consommateurs perçoivent rapidement les limites des algorithmes et des messages prédictibles. Aujourd’hui, automatiser les conversations et par extension la relation avec le consommateur, c’est faire l’économie de l’émotion. Cette émotion, c’est le défi majeur de l’IA pour accéder à des échanges sensibles, générateurs d’empathie et de confiance.
Aux marques, le défi de construire et entretenir des relations sources de préférence, intégrant la dimension sensible qui humanise les échanges. À nous agences, de placer l’émotion au coeur des dispositifs de communications. Parce qu’en marketing comme en amitié, si elle peut se mener à distance, une relation n’en reste pas moins basée sur l’émotion. Celle qui nous surprend, qui nous met en joie ou nous fait aimer. À nous d’intégrer savamment l’IA au cœur d’une relation marketing augmentée, où rien ne remplacera un sourire complice.