Depuis deux ou trois ans, sous l’impulsion volontariste des pouvoirs publics, et notamment de Bpifrance, la France oriente son extraordinaire potentiel vers l’économie numérique. Notre diversité culturelle, la qualité de nos ingénieurs et cette alliance unique au monde de rigueur et de créativité qui nous caractérise, font de notre pays aujourd’hui une formidable pépinière de start-up, qui -bonus !- en donnent à l’extérieur comme à l’intérieur une image de dynamisme et de modernité excessivement bienvenue. Ne brisons pas cet élan salutaire sur le mur étriqué d’un nationalisme archaïque.
Si l’on veut réellement aider nos start-up, et par ricochet faire bénéficier notre économie de leur succès, il faut les inciter à jouer en Champions League plutôt que les contraindre à rester en Ligue 1. Internet se moque bien de nos vieilles frontières. L’époque est révolue où, après avoir fait son trou sur le marché hexagonal, on prenait son bâton de pélerin et on partait « à l’international » en commençant prudemment par la Suisse et la Belgique et en envisageant les US une fois seulement après avoir pris pied un peu partout en Europe.
Quand nos start-up arrivent aux US, elles y trouvent généralement un acteur américain au financement infini et au marketing imparable qui leur aura confisqué le créneau à jamais. » Winner Takes All ”. Pour réussir aujourd’hui, ces pépites doivent impérativement naître globales, concevoir d’emblée leur stratégie et leurs produits pour le monde entier. Il faut voir Grand pour aller Loin. Si la France ne veut pas se transformer en éleveur de « poneycorns » -des licornes à taille de poney-, elle doit les aider à s’extraire du carcan d’un marché national trop exigu et permettre aux plus prometteuses d’enclencher une montée en puissance globale qui est la règle du succès à l’ère digitale.
Pour lancer cette onde positive, il n’y a qu’un seul épicentre possible, lequel, malheureusement, ne se trouve ni en France ni en Europe. Internet est une nation globale qui ne reconnaît qu’une capitale : la Silicon Valley, la seule et unique base de lancement de toutes les start-up à vocation mondiale. Elle concentre en son sein les meilleurs entrepreneurs technologiques au monde, les plus grands influenceurs et leaders d’opinion, qui font ou défont les réputations. C’est de là que partent les buzz sur lesquels se construisent tous les succès. De même qu’Hollywood ne produit pas des films pour le marché américain mais pour le monde entier, s’installer dans la Silicon Valley, ce n’est pas s’implanter aux États-Unis mais prendre position globale.
Et pour y réussir, tout comme à Hollywood, on ne peut se contenter de jouer la carte de la « French Touch », même si elle constitue un indéniable plus. Il faut impérativement intégrer ses codes culturels extrêmement particuliers. La Silicon Valley, c’est d’abord une attitude, faite de confiance en soi, d’ambition, d’optimisme, et reposant sur la croyance inébranlable que la technologie -surtout la sienne- peut changer le monde. La Silicon Valley, ce sont aussi des réseaux, aussi indispensables que fermés aux nouveaux venus. Enfin, la Silicon Valley, ce sont des modèles -de financement, de rémunération, de management… – qu’il faut maîtriser pour attirer des talents sursollicités et des investisseurs dont la puissance et l’expérience démultiplient ses chances de réussite.
Aider les start-up à s’implanter dans la Silicon Valley, c’est les préparer aux exigences d’une compétition mondiale, c’est leur donner la chance d’en faire des champions du monde dont le rayonnement et la réussite nous profiteront. Ce n’est pas les inciter à fuir la France, c’est au contraire les faire grandir. C’est leur redonner le souffle des grands conquérants. À l’image de Spotify d’allure américaine mais dont les forces vives demeurent en Suède, les entreprises globales d’aujourd’hui sont multipolaires et cross border. En s’installant d’emblée dans la Silicon Valley tout en gardant dans leur pays d’origine leur ingénierie -comme leurs équipes commerciales pour leur marché régional (l’Europe en l’espèce)-, elles se dotent d’un avantage certain sur leurs concurrents américains incapables de recruter et surtout de fidéliser leurs ingénieurs localement.
Pour créer de la richesse, de l’emploi et du savoir-faire, la France a raison de miser sur ses jeunes pousses, mais dans un monde où les entreprises et les marchés sont globaux, elle ne doit pas se laisser arrêter par des considérations d’un autre âge. Faisons de la FrenchTech le “nouvel Israël”, mais en plus grand. La France a la rage d’entreprendre. Il est temps d’inventer une pensée économique déterritorialisé, pragmatique et conquérante, ambitieuse et sans tabous, pour projeter nos start-up dans la Silicon Valley. Leur succès là-bas fera le nôtre ici.