En emménageant dans les Magasins Généraux de Pantin, l’agence BETC entre dans une nouvelle ère et révolutionne sa manière de travailler. Pour mener à bien cette transformation, de nouvelles structures hybrides ont été pensées et conçues pour apporter de nouvelles réponses. Rencontre avec l’architecte à l’initiative du projet.
Il y a quelques jours, l’agence BETC pendait la crémaillère. Entérinant définitivement son cap mis au nord-est de la capitale, dans les Magasins Généraux de Pantin, « une ville populaire aux portes de Paris, Seine Saint Denis, 93 », dixit le site officiel de la ville. Super !
Problème quand même, Pantin est du mauvais côté du périph et devoir déménager en « banlieue » fait toujours l’effet d’une douche froide quand on a ses petites habitudes depuis longtemps dans le trépidant 10ème arrondissement. Si quelques dents ont dû grincer en faisant les cartons, ces broutilles ne pèsent pas lourd face au potentiel d’un tel « outil de travail ». Pour Rémi Babinet, cofondateur de l’agence et tête pensante de ce projet, le fonctionnement de BETC avait besoin d’être bouleversé : « A rester au même endroit, on s’embourgeoise et on perçoit moins les changements autour de soi. Même si de l’extérieur notre travail était toujours aussi bien considéré, on avait besoin de bouger pour changer de perspective ».
Lors de notre visite en juin dernier, l’atmosphère de l’édifice et son environnement avaient des allures de village. Du mouvement, des rencontres, des conversations. L’aménagement extérieur, la quiétude du canal et la vue dégagée offrent un cadre privilégié aux salariés, loin du tumulte de la vie… parisienne. On serait curieux cependant de revenir en plein mois de novembre pour voir comment le vaisseau amiral se comporte à une période de l’année plus morose. Peu importe. Cette migration a déjà changé l’histoire de BETC : « On ne sera plus la même agence avant et après, c’est certain », souligne Rémi Babinet.
Défis de taille en effet, aménager 6000 mètres carrés de bureaux et offrir une nouvelle expérience de travail à 1000 employés. Bousculer les habitudes de chacun et offrir un cadre expérimental à différents moments de la vie d’une agence : besoin d’isolement pour réfléchir et se concentrer, échanger en petit groupe ou débattre avec l’équipe entière… Pour répondre à ces problématiques, c’est l’architecte Jean-Benoît Vétillard qui a mené le chantier. Le projet ? « Créer de nouvelles typologies et espaces de bureau répondant à de nouvelles formes de travail ». Précisions avec un archi secrètement amoureux de la ville de Venise et qui a développé très tôt une passion pour les cabanes.
INfluencia : quels sont les objectifs de l’agence BETC et quel a été votre parti pris ?
Jean-Benoît Vétillard : à l’échelle du bâtiment : créer des rencontres transversales entre toutes les disciplines et les savoir-faire qui animent une telle agence de communication. Telle a été mon interprétation du brief de départ. Ces micro architectures devaient créer des situations inédites, humaines, des émotions partagées, menant au dialogue, base de ce projet. Et en effet, il y a eu du dialogue entre l’équipe BETC en charge du projet des Magasins Généraux avec la direction artistique (T&P work unit) et du dialogue entre les DA et les architectes et designer invités. C’est assez beau de voir au final toute cette collaboration entre les différents projets, ça marche vraiment très bien.
Les Units devaient répondre à des normes de confort, d’acoustique de climat et de lumière tout en proposant une expérience neuve, capable de « provoquer » l’usager. A l’échelle du territoire : BETC passe de l’autre côté du périphérique et en s’implantant à Pantin, l’agence se positionne dans la catégorie des pionniers sur toutes les questions du Grand Paris.
IN : votre projet intègre 4 concepts. Pouvez-vous nous les présenter et quelles sont leurs particularités et fonctions ?
J-B. V. : le CAB est un espace interprétable, hybride entre le canapé et le gradin, toujours tourné vers le paysage urbain qui entoure le bâtiment. Il est dédié au repos ou au travail informel. Le CAB peut se résumer à la question du « point de vue ».
La F1 (CHENILLE) est un espace ergonomique pour une personne. C’est celui de la concentration. Il se compose de deux tables « Less » de Jean Nouvel, en superposition. BETC en avait un large stock. Cette action d’empiler les tables crée un premier espace réduit. De plus, l’endroit est complété d’une structure secondaire supportant les rideaux. Ceux-ci servent normalement à marquer le seuil de la maison, dans les régions méditerranéennes. On les connait sous le nom d’« anti -mouches ». Ainsi, la F1 bien que consacré à l’isolement, est à la fois traversant et souple.
Le TGV (BOITE LUMINERUSE) est l’endroit de discussion et de confidentialité. Il est clos et ses parois sont en béton cellulaire blanc. La lumière joue un rôle déterminant selon l’usage d’un espace, ce TGV est un lieu modulable, appropriable. En fonction des usages qu’en font les employés, le plafond lumineux permet d’adapter l’intensité lumineuse, de la lumière d’une bougie pour une conversation à celle d’un bloc opératoire pour des validations sur documents graphiques.
Le UNIT6 (BARAQUE) est un espace semi clos pour les réunions : une bande opaque périphérique propose une intimité visuelle et sonore, tout en laissant circuler l’air et la lumière. Les matériaux employés (bardage bitumé, acier tropicalisé, chevron) font référence aux zones artisanales périurbaines, banales et assez brutales.
IN : ces concepts qui revisitent l’open space ont été l’occasion de tester ou de mélanger des matières singulières (gomme amortissante, béton cellulaire, ardoises…). Comment avez-vous procédé ?
J-B. V. : ma commande reposait sur 4 typologies d’espaces et de meubles. Je les ai abordé comme des expériences. Résultat, tout a été remis en question : des matériaux détournés à leur mise en œuvre. De plus, pour mieux marquer le caractère singulier de chacun de ces espaces, il fallait les dissocier dans leur matérialité comme dans leur volumétrie. Le béton cellulaire sous la lumière artificielle donne un aspect lunaire au TGV quand le U6 garde une inertie et une matière proche du pavillon de banlieue. La gomme du CAB ressemble a un terrazzo sombre quand les rideaux du F1 s’apparentent à des lianes. La forme aussi intervient via le cube sur fondation, le carré flottant, l’arrondi et l’objet penché qui se complètent. Ces variations, associées aux usages des Units permettent de produire des perspectives sur l’open-space.
C’est toute la beauté de ce projet : la latitude d’expérience. Le chantier n’est pas encore totalement fini et il y a encore quelques retouches à effectuer. Mais c’est encourageant de voir et d’entendre que les salariés sont heureux de leurs nouveaux espaces. D’un point de vue de l’écosystème et de la diversité, ces aménagements me font penser à une jungle qui aurait poussé dans une grande bibliothèque ou aux dessins de SITE groupe d’architectes utopistes des années 70.
IN : ce chantier vous a-t-il imposé des mauvaises surprises ?
J-B. V. : le cahier des charges était très clair (volumes, usages, temporalité…) et en même temps le client m’a très vite parlé « d’expériences ». Voilà pourquoi il était important de ne pas aller trop vite pour laisser infuser nos idées, ajuster selon les besoins et voir comment les modules prenaient forme dans leur environnement.
IN : quelles ont été justement vos sources d’inspiration pour répondre à ce besoin d’expérience ?
J-B. V. : les voyages, les choses banales que l’on voit autour de soi sans vraiment regarder. Je m’intéresse aux formes pré-existantes à la nature, je suis quelqu’un de contextuel.
Crédits photos : Alan Hasoo
Le TGV
La F1
Le CAB
Le UNIT6