20 septembre 2016

Temps de lecture : 8 min

« Les médias sont intelligents quand ils travaillent avec des annonceurs intelligents »

Parce que tout part du contenu et que ce n’est pas la marque qui doit imposer sa créativité aux médias mais l'inverse, Sophie Antoine a accepté en fin d'année dernière de quitter la régie des Echos pour celle de Melty. Sa vision, elle l'a placée au coeur de la nouvelle organisation du groupe médias. Puisque finalement les défis et missions de Melty sont aussi ceux d'un marché en constante évolution, INfluencia a voulu sortir du micro pour s'intéresser au macro et aux grandes lignes stratégiques.

Parce que tout part du contenu et que ce n’est pas la marque qui doit imposer sa créativité aux médias mais l’inverse, Sophie Antoine a accepté en fin d’année dernière de quitter la régie des Echos pour celle de Melty. Sa vision, elle l’a placée au coeur de la nouvelle organisation du groupe médias. Puisque finalement les défis et missions de Melty sont aussi ceux d’un marché en constante évolution, INfluencia a voulu sortir du micro pour s’intéresser au macro et aux grandes lignes stratégiques.

Putassier ? Boîte à clics ? Pour les puristes du « vrai » journalisme indépendant et d’utilité publique, Melty représente le paroxysme antéchristique du média d’audience vendu à la pub. La réussite économique du groupe média digital leader sur la youth culture suscite logiquement les critiques. Pas parce que la France n’aime pas les  » winners « , mais parce que l’attraction d’un lectorat de masse draine toujours son lot de détestation. La croissance record du jeune groupe média intrigue et laisse perplexe, alors que sa cible, les 12-30 ans, reste une tranche insondable, courtisée mais volage et surtout mal jugée par les médias qui n’en font pas leur seule audience assumée.

Pourtant pour celle ou celui qui voudra bien sortir des jugements subjectifs sur les choix éditoriaux -le nôtre est que ça manque d’audace et de hauteur- Melty apparaitra d’abord comme l’exemple quasi expérimental d’un média qui colle terriblement à son temps : celui de la frontière fragile entre brand content et contenu rédactionnel, de la pub native, de la data et des algorithmes, des opérations spéciales, du multi-canal et de la monétisation des profils. Pour répondre à ses détracteurs, le média aurait raison d’arguer qu’être aujourd’hui aux côtés de L’Equipe ou du Monde dans le Discover de Snapchat constitue une reconnaissance de sa qualité éditoriale. Dont act.

Huit ans après sa création et après une année 2016 record dans ses audiences, Melty entre dans l’ère de la maturité et restructure son offre pour offrir une meilleure visibilité à ses annonceurs et partenaires. A Paris, le groupe présentait sa nouvelle organisation et donc ses trois pôles d’expertise : Melty Media, Melty Entertainment et Melty Partner Solutions, dirigé par Sophie Antoine. Arrivée en novembre 2015 à la tête de MeltyAdvertising, l’ancienne directrice commerciale digitale et opérations spéciales web au sein de la régie Les EchosMedias a présenté la clarification et les missions de son pôle. Trois jours avant sa keynote, elle nous avait réservé du temps pour discuter entre autres des ornières creusées par la mutation d’un marché des médias et de la pub en ajustement permanent.

INfluencia : comprendre les jeunes aujourd’hui, c’est d’abord par l’analytique et la data ?

Sophie Antoine : non c’est d’abord l’éditorial; c’est-à-dire qu’on les écoute, qu’on fait des études sur le site, et également qu’on scrute notre algorithme pour apprendre beaucoup de leur comportement. C’est ce processus là qui nous permet justement aujourd’hui de mieux répondre à leurs attentes d’un point de vue tant éditorial que commercial. Cela va du sujet qui les intéresse parce qu’ils les lisent sur Melty à leur comportement par rapport aux marques, aux types de programmes qu’ils aiment découvrir, aux types de talents émergents qu’ils suivent sur le net… C’est très large dans les attitudes, les comportements et la consommation médias. Notre mission à nous est de diffuser nos messages éditoriaux partout où sont les jeunes et où sont-ils ? Sur Melty évidemment mais aussi sur le social -d’où le lancement il y a quelques mois du site Tyramisu et notre lancement sur Snapchat de Discover. Vous savez, chez Melty on collecte 29 datas par seconde et aujourd’hui elles sont au service de l’éditorial. On va aussi les mettre au service de la performance et des annonceurs car en les analysant on peut s’améliorer et continuer de travailler à la fois sur notre éditorial et nos expériences d’utilisateurs.

IN : restons sur la data. Vous dîtes ne pas avoir fait un choix DMP mais plutôt de data system. Il s’agit surtout de mutualiser par une meilleure interconnexion ?

S.A. : oui. C’est un peu tôt pour l’instant pour en parler dans les détails parce que ce sont des choses sur lesquelles nous sommes encore en train de travailler. Aujourd’hui, on travaille vraiment main dans la main avec Google, notamment sur l’aspect éditorial. On va donc essayer de faire coïncider le mieux possible les datas éditoriales avec les datas publicitaires avec l’objectif d’adresser le bon message à la bonne cible en temps réel.

IN : êtes-vous d’accord pour dire qu’avec la customisation éditoriale censée coller aux mieux aux attentes du lecteur, un média rentre dans une stratégie d’anticipation voire même de prédiction ?

S.A. : nous sommes surtout dans le temps réel puisque notre algorithme Shape n’est pas une boule de cristal dans laquelle on lit l’avenir. Il permet d’identifier le potentiel d’intérêt d’un sujet pour permettre une projection sur son potentiel et sa durée de vie en terme d’intérêt. Peut-être que cela va être un épiphénomène dont on va parler deux jours, peut être que ça va être un succès pérenne comme les One Direction, qui sont là depuis des années. On arrive à suivre et à identifier les nouveaux sujets, les nouvelles tendances émergentes qui vont intéresser nos lecteurs demain ou après demain. Nous sommes capables d’être prescripteurs.

IN : tout le monde sait et clame que le marché est en train de muter mais chacun analyse la mutation par son prisme. Pour Melty comme pour d’autres médias un défi majeur est de conserver une frontière claire entre le brand content et le pure player. Comment poser les limites, qui sont en plus nécessaires pour ne pas brouiller les messages ?

S.A. : la question est vraiment intéressante parce que cette frontière est une des choses qui m’a vraiment intéressée quand je suis arrivée chez Melty. C’est un pure player dans lequel les choses sont cloisonnées dans le bon sens du terme. On a des journalistes qui produisent de l’éditorial, on a Melty Prod pour des contenus et des events, et ensuite on a le pôle monétisation qui est là pour mettre le meilleur des journalistes et de Melty Entertainment au service des annonceurs. Nous n’avons pas de mélange des genres. C’est grâce aux équipes éditoriales qui produisent un contenu de qualité et construisent une connivence avec l’audience que nous pouvons associer cette qualité de contenus avec les marques qui nous le demandent.

IN : qu’entendez-vous exactement par votre définition de la qualité ? Parlez-vous d’une réelle qualité éditoriale et à ce moment vous êtes logiquement subjectif car un jeune qui ne vous aime pas pourra-t-il dire le contraire ? Ou bien est-ce que par qualité vous entendez un éditorial pertinent pour les attentes de la cible et qui permette de servir de lead publicitaire ?

S.A. : je pense que la question n’est pas vraiment là. La question est de dire qu’aujourd’hui Melty touche un jeune sur trois en France. Nous ne serions pas si puissants chez les jeunes si nos articles n’intéressaient pas la cible qu’on adresse. L’exemple de la zone gaming que nous avons réalisé pour Coca pour le prolonger est intéressant à ce titre. Ce n’est pas une zone dédiée à Coca mais dédiée aux jeux vidéos dans laquelle nos équipes éditoriales produisent du contenu sponsorisé sur cet univers. Si nous intéressons Coca c’est parce que nous sommes capables de produire du contenu de la plus haute qualité, du moins on l’espère, sur une thématique qui intéresse nos lecteurs. Il ne s’agit pas de faire du publi-rédactionnel déguisé ou de filouter pour passer entre les mailles de je ne sais quel filet, mais au contraire de produire des contenus de qualité sur des thématiques qui intéressent les jeunes. On a les meilleures cartes en main.

IN : est-ce que vous êtes d’accord pour dire que ce cloisonnement est pernicieux car il demande soit une volonté sincère soit un vrai savoir-faire ? N’y a-t-il par là un vrai défi pour les modèles des médias en pleine mutation ?

S.A. : ce qui est primordial est que la créativité doit venir du média. Ce n’est pas la marque qui doit imposer sa créativité aux médias. C’est un point qui est très très important pour nous chez Melty. Après il faut être vigilant et je pense que quand un journaliste fait bien son travail dans un groupe média, cela peut être bénéfique pour l’audience, pour le CRM et pour les opérations spéciales de brand content. Melty aujourd’hui ce n’est pas un groupe média au service des marques mais un groupe média qui aide les marques à décrypter la cible qu’ils souhaitent adresser.

IN : c’est pour cette raison que vous dîtes que vous ne vendez plus de l’audience mais des profils ?

S.A. : oui, tout à fait. Il y a une espèce de changement de paradigme. Avant les agences et les annonceurs allaient chercher du volume et du quanti, aujourd’hui ils cherchent un profil. Du coup, les médias sont obligés de s’adapter pour ne pas seulement fournir de la vente d’espace mais également de la vente de profils à des moments clés de l’usage que font les internautes sur les sites du groupe. En fait, c’est la nature même du partenariat avec les marques qui change. Avant on achetait du web comme de la télé avec des grandes masses, des grands volumes et des moyennes d’âge. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout cela. On va peut être chercher un peu moins de personnes mais on va les toucher à un moment où ils sont plus à même d’être réceptifs à un message de marque, qui encore une fois n’est pas forcément hyper intrusif ou un « viol » de l’intégrité du lecteur.

IN : vous êtes sur une génération qui est à priori la première consommatrice d’ad blocking, qui constitue un défi majeur pour le contenu publicitaire en ligne. Comment l’industrie et ses trois acteurs majeurs peuvent y répondre ?

S.A. : je pense que quand un média produit des contenus de qualité et qu’il est capable de gérer la juste bonne pression publicitaire comme le fait Melty, les formats native répondent bien aux problématiques de l’ad block. C’est un sujet qui nous concerne tous et j’ai envie d’insister sur le fait qu’aujourd’hui si tu travailles bien pour comprendre et décrypter les messages de ta cible, globalement tu le subis mais tu le subis moins que d’autres. On a vraiment une stratégie de pression publicitaire qui repose beaucoup sur tout ce qui est brand content, brand publishing et native advertising. C’est pour cela que globalement on subit moins fortement que l’ensemble du marché la pression de l’ad blocking.

IN : votre argumentaire confirme que c’est d’abord la qualité du contenu qui installe la stratégie publicitaire. Pourtant cette logique peut être pernicieuse car elle limite la part de risque éditoriale d’un média, qui pour vouloir s’éloigner un petit peu de son coeur de cible prend le risque que le château de cartes s’effondre. Comment un média comme le votre peut-il répondre à cette problématique ?

S.A. : je pense que notre audience est assez consciente de l’évolution de notre stratégie éditoriale. Nous sommes aujourd’hui capables de volontairement nous priver d’un certain nombre de sujets qui sont des appels à clic avec une audience rapide et immédiate, mais qui n’ont rien de pérenne. Le pari que nous avons fait de se focaliser sur notre expertise du divertissement se révèle payant. Nous nous sommes privés d’une audience court-termiste et éphémère mais en avons conquis une autre beaucoup plus fidèle, beaucoup plus intéressée par ce qu’on lui propose. Cette audience là s’y retrouve beaucoup plus dans un éditorial cohérent. La mise en avant des éditos nourrit justement la qualité de ce contenu et la prolongation éditoriale de ce qu’on faisait avant. Le fait que Melty recrute des profils comme Olivier Levard qui vient de TF1 ou moi qui vient des Echos et Conde Nast montre que le groupe est dans une stratégie à la fois de contenu premium mais aussi de modélisation premium. Le Melty d’il y a encore 24 mois n’a rien à voir avec le Melty qu’on est en train de construire aujourd’hui. Quand tu as une ligne éditoriale super clean, positive et tournée vers une audience hyper exigeante, globalement tout ce que tu peux dérouler derrière est inscrit dans cette ligne là. Notre principal message aujourd’hui c’est que tout part de l’éditorial. Tout part du contenu et les médias sont intelligents quand ils travaillent avec des annonceurs intelligents.

IN : nous sommes d’accord mais c’est d’abord au média de tirer vers le haut et pas l’inverse. C’est parce qu’il est intelligent que l’annonceur le sera.

S.A. : exactement. Si on était « putassier » je ne crois pas que nos clients resteraient, que nos annonceurs nous proposeraient des nouveaux contenus, que 95% de nos clients re-signeraient avec nous pour une deuxième campagne.

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