Criminel, hors la loi, héros salvateur des temps modernes ou Jack Sparrow geek de nos sociétés du web et de la data, le hacker reste un personnage mystérieux, mal appréhendé par le grand public. Dans un festival digital unique en son genre, Ubisoft et Rosbeef! utilisent la co-créativité pour déplacer les clichés et ancrer le gaming dans un univers créatif élargi.
Dans notre société ultra-connectée où les données des rois du web s’amassent dans des data centers ultra sécurisés, où la NSA et la CIA sont en guerre contre un lanceur d’alerte glorifié sur grand écran par Oliver Stone, où les « Anonymous » jouent au Robin des bois des temps trop modernes, où le flicage assumé des big brother gouvernementaux contrarie légalement les libertés individuelles, le hacking fascine. Criminel ou salutaire, sa double face paradoxale fabrique des légendes et des mystères. En mars dernier, INfluencia s’intéressait à une campagne de brand content lancée par Norton pour expliquer le dark web en web-documentaires. Sept mois plus tard, Ubisoft et Rosbeef! lancent le premier festival de création de vidéos organisé par un acteur du gaming. Il est ouvert à tous et devinez quel est son thème imposé : le hacking.
« La cybercriminalité est clairement la nouvelle menace du 21ème siècle », expliquait l’an dernier dans La Tribune, la directrice générale de la Police Judiciaire et présidente du comité exécutif d’Interpol, Mireille Ballestrazzi. Mais parce que « le hacking exige une énorme quantité de compétences et de talents qui peuvent être utilisés à bon escient pour exposer les véritables activités criminelles qui passent inaperçues « , dixit le metteur en scène, Louis Leterrier, le Watch_Dogs Film Fest s’intéresse à un phénomène finalement mal appréhendé par le grand public. Pour promouvoir par la co-créativité la sortie de son nouveau jeu vidéo Watch_Dogs 2, Ubisoft prend le pari d’un festival hybride, à mi-chemin entre le cinéma et le jeu vidéo. Inédite et 100% digitale, cette première a donc été confiée à Rosbeef!.
Du 15 octobre jusqu’au 15 novembre à travers le monde, tous les fans de la franchise Watch_Dogs et de jeux vidéo, les créateurs digitaux, les étudiants et même les professionnels de l’audiovisuel ont le champ créatif complètement libre pour proposer des contenus vidéo sur la plateforme web dédiée au festival. La délibération du jury, présidé par Louis Leterrier, réalisateur français de « L’incroyable Hulk » et « Insaisissables » et grand fan de gaming, est fixée au 17 novembre et permettra aux participants sélectionnés de remporter jusqu’à 50 000 euros. Le public et 8 influenceurs de pays différents vont également récompenser les créations des participants.
Une démarche atypique qui déplace le curseur
« L’ambition du Watch_Dogs Film Fest est d’ancrer le jeu vidéo dans un univers créatif large et de dépasser les clichés sur le hacking, qui est un sujet peu exploité dans l’entertainment. Pour Ubisoft, c’est aussi l’occasion de mettre les fans au cœur de la franchise et d’installer les “fans films”, ces contenus fait par les fans pour les fans, dans un paysage créatif reconnu et légitime », explique Xavier Delelis-Fanien, Head of social web de Rosbeef!. INfluencia a voulu étendre la réflexion autour de cette première marketing originale et du hacking comme phénomène culturel et de la co-créativité dans la pub. Entretien.
INfluencia : s’agit-il avec cette opération de changer l’image du mot « hacking » et de donner une autre perception des hackers ?
Xavier Delelis-Fanien : oui. Le hacking est toujours traité par le prisme de la criminalité dans les médias, or il est plus large et permet des innovations, des avancées en termes de liberté, de transparence… Mais il permet aussi des choses beaucoup plus anodines, voire drôles. Ce qui est intéressant ici, c’est la vision que le public peut avoir du hacking. Nous espérons qu’elle s’éloignera de ce que les médias véhiculent. Le festival se positionne sur un terrain créatif encore peu voire pas du tout exploité. Les créations représentent une nouvelle forme de contenu synthèse (voire syncrétisme) de deux univers aux codes créatifs établis. Le fait de proposer au public d’exprimer leur vision est déjà une belle réussite en soi.
IN : quelle est la place historique du hacking et des hackers dans la culture du gaming ? Comment les uns, mal perçuw par leur aspect criminel peut servir l’autre, bien considéré ?
X. D-F : le hacking a toujours existé dans le jeu vidéo. Les fameux « cheat code » qui permettent, grâce à un enchaînement de commandes, de débloquer des vies supplémentaires, de devenir invincible ou d’ouvrir des passages secrets est une forme basique de hacking. Aussi, la fascination de la communauté jeux vidéo pour les « glitchs », ces bugs qui apparaissent dans les jeux et que l’on peut découvrir à travers de nombreuses vidéos sur le web, peut s’apparenter à une forme de défi contre la machine et le code informatique. Les joueurs s’amusent à déceler les erreurs et les incohérences. Comme si l’homme souhaitait se rassurer et asseoir sa supériorité sur le code. Ils entreprennent alors la même démarche que les hackers qui détournent et utilisent le code dans un objectif personnel, criminel ou militant.
IN : c’est la première fois qu’un gros studio de gaming organise un tel festival. Est-ce un pari marketing risqué de faire parler de sa franchise Watch_Dogs sans la montrer ?
X. D-F : c’est en tout cas une position très forte et généreuse de la part d’Ubisoft. Les films réalisés par des fans existent déjà dans la culture du jeu vidéo. Cependant, ils sont faits de façon spontanée et échappent au contrôle des éditeurs. À l’instar de toutes les marques (tous secteurs confondus) depuis l’avènement des réseaux sociaux et l’émergence du “consommacteur” qui se fait ambassadeur ou détracteur de la marque, les éditeurs de jeux vidéo voient leurs fans s’emparer de leurs franchises, pour exprimer leur propre créativité. Seulement, ces franchises portent des droits de propriétés intellectuelles, il est donc logiquement interdit de les utiliser en tant que fan pour créer son propre contenu. Les éditeurs sont donc acculés entre le respect de la propriété intellectuelle, le contrôle de leurs franchises et la ferveur créatrice de leurs fans. Avec la création de ce festival, dont l’objectif est aussi la promotion de la sortie du jeu Watch_Dogs 2, Ubisoft déplace le curseur plus loin. Il s’agit d’élargir le sujet, en allant sur le thème du hacking sans se cantonner uniquement au jeu. C’est une démarche atypique car les contenus attendus de la part du public ne devront pas mettre le jeu en avant.
IN : cette opération marketing participe au développement d’un phénomène dont il est encore difficile de dire s’il n’en est qu’à ses débuts. Quelle est votre vision de la co-créativité publicitaire et où en sera-t-elle selon vous dans 5 ans ?
X. D-F: chez Rosbeef!, nous pensons que “brands must speak with -not to- customers”. Et naturellement, nous sommes déjà dans une démarche de co-créativité avec nos partenaires annonceurs. La créativité émane de tous, et celle qui découle du public, des profanes, est certainement la plus pure. Elle est libérée des contraintes marketing et des objectifs. Elle ne s’impose aucune charte graphique ou règles que peuvent appliquer des marques ou des créatifs professionnels. En tant qu’agence de publicité, nous devons intégrer ce foisonnement créatif et accepter de nous en inspirer et de collaborer avec. Il est déjà effectif dans bien des domaines : la mode qui puise son inspiration dans la rue les usages du grand public sur les réseaux sociaux qui influencent nos campagnes en sont des exemples concrets. Une agence capable de repérer rapidement ces pratiques, de les comprendre et de les restituer pour répondre à des objectifs de marques est dans son rôle d’agence créative d’aujourd’hui et de demain. À l’ère des réseaux sociaux, les stratégies d’engagement placent le consommateur au cœur de la marque, il en devient son ambassadeur.
La co-créativité n’est qu’un pas de plus dans ce sens. Elle continuera inévitablement à se développer au fur et à mesure que les marques comprendront qu’il n’y a pas d’intérêt à garder le monopole créatif pour leurs campagnes. Cela deviendra contre-nature, freinera le dialogue et empêchera simplement de générer le fameux « brand love ». Enfin, la co-créativité permet un engagement fort du public envers une marque et son produit, mais elle implique d’accepter la disparition du discours unique, celle du focus produit et celle du logo omniprésent. Elle est la plus belle manifestation d’ouverture d’esprit d’une marque, et nous sommes fiers de nous inscrire dans ses débuts en travaillant pour Ubisoft qui reste profondément attachée à l’indépendance créative.