L’oeil vif, intelligent, un peu espiègle, David Lubars a une vision rationnelle de son métier de créa, cite Babe Ruth, John Lennon… où l’on comprend que l’homme a les pieds sur terre et il vaut mieux : à la tête de 17 Lions (cannois), d’aucuns auraient perdu la leur. Il l’assure : il ne fait pas ce métier pour les honneurs.
Depuis huit ans, l’agence BBDO est considérée par le Gunn Report comme le réseau le plus créatif de la planète pub. Le Cannes Network of the Year l’a consacrée à cinq reprises et en a fait son président des Titanium Lions en 2006. Les Emmy Awards l’ont honorée trois fois du prix de la meilleure pub de l’année. Les Clio lui ont carrément ouvert le sésame de son Hall of Fame… Allez, on arrête là le catalogue, ces quatre bénédictions résument l’imposant CV de David Lubars. Le directeur de création (CCO) de BBDO Worldwide et Chairman Amérique du Nord est LA référence créative. Recruté par le CEO Andrew Robertson après un déjeuner new-yorkais en 2004, le créatif aux 17 Cannes Lions (le plus primé au monde, donc) a construit sa réputation chez Fallon avant de changer la culture de BBDO.
INfluencia : existe-t-il une « feuille de route » universelle de la créativité ?
David Lubars : non, il n’y a pas de règles, ou de guide prêt à l’emploi. Vous savez, on a un jour demandé à Babe Ruth [la première méga star de baseball aux États-Unis] comment il s’y prenait pour réaliser autant de home runs. Il a répondu : « Je ne sais pas, mais ça continue d’arriver. »
IN : quel serait votre conseil pour devenir le créa le plus primé dans le monde ?
DL : je vous dirais que si c’est la raison pour laquelle vous faites ce métier, alors vous allez vous planter. De toute ma vie professionnelle, je n’ai jamais essayé de gagner un prix, mais seulement d’apporter des créations originales qui agissent comme multiplicateur économique. Après, il se trouve que certaines ont gagné des prix… voilà tout.
IN : apprendre de ses pairs n’est-il pas la chose la plus difficile pour un créatif qui veut progresser ?
DL : c’est justement cela qui façonne les meilleurs créatifs : un talent naturel extraordinaire, mais aussi une grande insécurité. Vous avez l’impression que rien de ce que vous faites n’est assez bien, assez intelligent, que quelqu’un fait mieux. Vous avez peur que le client ne trouve pas votre travail assez bien, etc. Ce n’est pas facile à gérer, mais sans doute connaissez-vous cette expression : les meilleurs ont toujours peur d’être virés, alors que les plus médiocres sont toujours surpris quand ils le sont.
IN : l’industrie a drastiquement changé en cinq ans, comment cela a-t-il influencé vos sources d’inspiration ?
DL : le plus grand changement de ces dernières années est la façon dont les créatifs travaillent. C’est plus rapide, avec une approche plus guérilla. Ce fut libérateur pour nous et me rappelle quelque chose que j’ai lu à propos de John Lennon quand il a écrit son single Instant Karma. Il ne voulait pas passer par le processus de production et de promotion des Beatles. Alors il l’a composé, enregistré et dévoilé en une semaine. Et c’est un super disque.
IN : peut-on parler pour votre métier d’un ajustement sine qua non au nouveau paradigme publicitaire ?
DL : il n’y a plus vraiment de paradigme, les choses changent constamment. Notre business était du ciment dur et plat, maintenant tout est liquide et dérange. Soit tu es très à l’aise dans cet environnement, soit tu ne l’es pas. Pour nous, les créatifs, c’est libérateur.
IN : êtes-vous optimiste ou bien inquiet quant à l’évolution de la créativité publicitaire ?
DL : je suis toujours optimiste quand les choses évoluent, car la pire des situations est de s’ennuyer ou de tourner en rond. Je pense que ceux qui nous observent de l’extérieur pensent de même. Donc je ne suis absolument pas inquiet.
IN : l’an dernier, à cannes, le cco de ddb worldwide amir kassaei nous confiait que selon lui la pub s’était déconnectée du monde réel… partagez-vous ce regard ?
DL : oh oui, complètement. Cela ne m’intéresse pas que BBDO crée des pub qui n’aient aucun poids dans le quotidien des gens, ni de durée dans le temps, uniquement pour gagner des récompenses. Si vous regardez la plupart de nos prix, c’était souvent pour de grands clients compliqués avec des problématiques complexes.
IN : la pub surestime-t-elle aujourd’hui l’importance du cross-média dans les campagnes ?
DL : la grosse tendance actuelle, c’est la vidéo. Sur les grands et les très petits écrans. Et il faut proposer des expériences de spectacle différentes qui nécessitent un travail spécifique pour chacun. Et les agences doivent être tout aussi bonnes sur des spots de 6 secondes que des films de 12, 26 ou 90 minutes. Elles doivent savoir le faire vite, en apprenant à générer beaucoup de matériels avec peu de moyens, à qualité égale…
IN : du coup, il est plus facile ou plus difficile aujourd’hui d’opérer une campagne globale ?
DL Je ne pense pas que ce soit plus difficile. Une vision est une vision, une vérité humaine est une vérité humaine. Par exemple, la plateforme « Tu n’es pas toi-même quand tu as faim », que nous avons créée pour Snickers, est maintenant opérationnelle dans plus de 80 pays. Ce n’est pas difficile d’opérer une plateforme globale si on a la vision et la bonne idée.
IN : pour une agence comme bbdo, le processus créatif dépend-il du pays destinataire de la campagne ?
DL : il n’y a pas de science pour inventer des idées. La façon dont nous travaillons en France et en Argentine est peut-être très différente. Malgré cela, ce qui unit toutes nos agences, c’est un focus frénétique sur « le Travail, le Travail, le Travail ». C’est notre mantra. Je suis vraiment fier que nous soyons devenus ce que j’appellerais une « boutique globale », capable de servir de gros clients internationaux, et également rapide et agile pour répondre aux besoins infinis de contenus. Nous y arrivons parce que nous avons des personnes de qualité tout autour du monde, une profondeur de talents et une estime sincère les uns envers les autres. On nourrit ceci, c’est précieux.
IN : avez-vous une projection de ce que sera la créativité dans dix ans ?
DL : conserver la même attitude que durant ces dix dernières années : ne jamais autoriser le ciment à durcir, continuer de « touiller » pour garder la maîtrise de nos mouvements, l’agilité et la vision d’où le monde veut aller et où nos clients ont besoin d’aller.