Les adblockers ne sont pas une fatalité. Tout un tas de solutions existent pour les contourner. Tant mieux car ils ne sont pas forcément utiles ni toujours honnêtes. Tour de chauffe au Cristal Festival avec Philipp Schmidt (Prisma Media Solutions), Stéphane Martin (ARPP), Valerie Chavanne (IAB) et Christophe Dané (IAB/DigitallMakers). Ils nous parlent d’amour….
Les adblockers sont aujourd’hui utilisés par 36% des internautes, soit +20% par rapport à janvier 2016. Avec des taux qui varient bien sûr selon les générations : allant de 55% pour les jeunes à 25% pour les seniors, soit +30% depuis début 2016. Pourquoi un tel engouement ? Trop d’annonces pas toujours de bonne qualité ni très bien ciblées -qui est heureux de recevoir une pub sur des couches pour les fuites urinaires alors qu’il n’est pas concerné. Et « surtout une pression dans le temps et dans l’espace beaucoup trop forte », répond Christophe Dané Secrétaire général de IAB France et CEO DigitallMakers, « tout en sachant que dans cet agencement de la publicité il n’y pas que l’éditeur qui soit fautif mais aussi l’annonceur ».
Fort de ces constats, des mesures s’imposent. Avec une refonte de l’ensemble des formats qui ont tout d’abord été réduits de 33 à 12. Ils sont également tous responsive afin de bien correspondre à la taille de tous les écrans. A cela s’ajoute le programme LEAN : L pour light qui se focalise notamment sur le temps de chargement des pages; E : pour le côté sécuritaire et fraude; A pour a choice pour redonner la main aux internautes à travers un maximum d’interactions; et N pour non intrusive qui participe à la réglementation du format interstitiel, des vidéos ou encore de l’autoplay calculé en fonction de l’utilisation.
Tout est donc placé sous le signe de l’auto contrôle « L’objectif en effet de considérer davantage le côté bon élève et les bonnes pratiques initiées », confirme Christophe Dané « C’est un gros chantier qui repose sur une grande enquête mondiale, qui intègre la programmatique et qui entrera complètement en action en 2017. Ce qui implique forcément pour chaque acteur la redéfinition des business models, la reconstruction d’une base plus sereine, plus user centric ».
Reconquérir l’utilisateur
D’un point de vue juridique, il y a également des constats et des implications. « En termes d’actions judiciaires », confirme Valérie Chavanne, vice présidente IAB France et avocate « nous avons noté beaucoup d’actions judiciaires liées à des problématiques sur des données personnelles, de propriété intellectuelle… Mais peu ont abouti ». Ainsi en Allemagne, beaucoup d’actions contre Adblock Plus ont échoué. « C’est une bonne chose », poursuit-elle » car ce n’est pas la façon la plus appropriée pour lutter contre le phénomène de la pub indésirable. Pour nous, un accompagnement vers de bonnes pratiques est bien plus vertueux et plus efficace pour reconquérir les utilisateurs ».
Tel est l’objectif de Coalition for Better Ads qui réunit des grandes fédérations d’annonceurs et d’agences pour discuter des standards, des technologies, de ce qui est acceptable et des chartes à mettre spontanément en place. « Ces chartes doivent être contraignantes et exigeantes intégrant notamment des autorités de contrôle via des observateurs comme notamment avec l’ARPP », insiste Valérie Chavanne « Car sans cet auto contrôle on risque de se diriger vers des procédés ou des instances encore plus rigides ». Que faut-il pour éviter le pire ? Simplement de la pédagogie, du conseil pour des applications concrètes et une auto régulation systématique. « Les adblockers sont venus à cause d’usages forcenés de streaming et pas seulement des gros éditeurs », complète Christophe Dané, « Il faut donc aussi faire de la pédagogie auprès des consommateurs/internautes et leur expliquer que la pub fait partie de la vie ».
Ouvrir le dialogue
Pour reconquérir les audiences, réinventer la publicité digitale est donc un préalable, un impératif. A la manoeuvre : reprendre l’initiative et faire le tri dans le bouquet programmatique pour privilégier du vrai premium. « Les publishers sont rarement un élément déclencheur d’adblocker qui, soit dit en passant, est un sacré système de racket », souligne Philipp Schmidt, managing director de Prisma Media Solutions, « Il leur revient néanmoins de tester des nouvelles solutions, et de devancer les attentes des clients ». Non seulement pour réduire cet effet de pression publicitaire vécue par les utilisateurs mais aussi pour aider les annonceurs à délivrer des messages attractifs avec efficacité. Comment ? « Avec de l’amour », sourit Philipp Schmidt « grâce auquel on se parle et qui pousse sans cesse à réinventer le dialogue ».
Ainsi son groupe de presse teste sur plusieurs marques, la solution, My Ad Filter. Il s’agit d’une fenêtre de dialogue qui s’ouvre automatiquement dès qu’un utilisateur entre en action et qui lui propose une seule publicité par page (une recommandation qui avait été faite par l’IAB déjà en 2001). Si celui-ci accepte alors il est assuré de ne pas être envahi et de ne recevoir que des annonces personnalisées et de qualité. « Avec ce procédé, « Voici » a vu le taux d’adblockers tombé de 20 à 8% ». Une démarche profitable aussi pour les marques car elles sont assurées d’être diffusées en exclusivité, pour un tarif abordable. Only Content, l’intitulé de l’autre solution qui leur est proposée, dit tout : aucune annonce contre une cotisation annuelle de 5 euros. Il est vrai qu’on en est qu’au début, mais pour l’instant elle n’a pas vraiment de succès », note Philipp Schmidt.
L’auto responsabilisation pour sortir par le haut
L’autre bénéfice essentiel en ne perdant plus le lien avec l’utilisateur est bien sûr la collecte de la data pour bien le comprendre et lui faire des propositions adéquates. Ce que l’adblocker ne permet plus ! « Or faire du smartpublishing, insiste Philipp Schmidt, « C’est a dire une adaptation éditoriale personnalisée avec d’un côté une publicité plus juste voire one to one avec les lecteurs, et de l’autre des solutions intégrées avec les annonceurs est le fer de lance pour pousser les contenus ».
Une démarche qui va de paire avec un vrai pouvoir accordé aux créatifs pour raconter de belles histoires, originales qui embarquent et feront sortir l’écosystème de l’ornière. « De plus, pour que cela marche il faut signaler clairement la différence entre ce qui est brandé ou non, insiste Philipp Schmidt, « Pour établir un vrai rapport sain. Ce « new deal » d’ailleurs ne pose aucun problème aux utilisateurs qui savent très bien que sans telle marque et ses moyens, tel reportage n’aurait pas pu exister ».
En espérant que la marque ne mette à aucun moment son nez dans l’éditorial. Ainsi l’utilisateur s’informe en connaissance de cause ou peut se désinscrire. Un choix préférable à une régulation autoritaire et rigide qui déresponsabilise, comme le souligne Stéphane Martin, managing director de l’ARPP : « L’auto responsabilisation répond aux attentes contemporaines. C’est une option soutenue à la Commission Européenne qui est tout à fait d’accord avec le fait de respecter la liberté des utilisateurs tout en tenant compte de celle de la pluralité et de la diffusion des informations ». Même priorité pour Valérie Chaman : « Cet état d’esprit ne doit pas seulement être franco-français mais a minima européen et si possible global ».
Aller chercher les bonnes initiatives qui remontent le niveau et récompenser ceux qui cherchent à innover et qui redonnent ses lettres d’or à des solutions concurrentielles de qualité est une attitude qui semble vouloir dépasser le simple statut de débat. Beaucoup veulent passer à l’action. Amenant une réflexion sur des labellisations de certaines initiatives ou sur la création d’un baromètre de perception des utilisateurs qui évaluerait les mises en place des bonnes pratiques. De quoi revenir à un bon niveau des outils de communication, de gagner en efficacité et d’éviter le recours à des taux de clics bidons. Le cercle vertueux n’est pas loin.