Entrée dans le dictionnaire français en mai 2016, l’ubérisation suscite peurs, fantasmes et espoirs derrière la transformation digitale et sociale qu’elle a engendrée dans de nombreux secteurs d’activité. Clipperton, banque d’affaires, s’y est intéressée dans une étude qui méritait de s’y attarder.
Elle est au centre des débats politico-économiques. Elle est détestée des tenants de la protection sociale. Elle est adoubée par les chantres d’une flexibilité du travail qu’ils jugent immuable dans la concurrence mondialisée. « Elle » c’est l’ubérisation. Galvaudé, récupéré, mal compris, le phénomène macro-économique possède ses parangons médiatiques, dont le géant mondial du VTC qui lui a donné son nom, Uber. Avec le succès des applications P2P d’une économie digitale pas si collaborative que ça, la moindre start-up veut ubériser son marché. C’est son produit d’appel.
Le hic, c’est que l’uber-économie est un concept surmédiatisé encore très flou dans sa définition précise, malgré son entrée dans le dictionnaire en mai 2016. Les champs de ses ramifications sont larges et ses conséquences bien plus vastes que son seul impact serviciel immédiat. Pour mieux comprendre à quoi correspond vraiment l’ubérisation, quelles sont ses caractéristiques et ses acteurs, la banque d’affaires, Clipperton, spécialisée dans les nouvelles technologies, a sorti une étude intéressante. Un mois après sa publication, INfluencia se penche avec un peu de recul sur les significations concrètes d’un terme « qui est finalement très français », confie un des trois auteurs de l’étude, Thibaut Revel, associé de Clipperton.
« On peut constater trois caractéristiques principales dans cette économie. Primo, son impact sur l’organisation du travail; secundo, une conquête agressive avec des moyens qui fonctionnent sur des gros marchés ; tertio, une transaction qui se fait toujours sur une plateforme. C’est par exemple ce qui fait la force d’Uber et génère le débat juridique autour de la gestion de la transaction », explique Thibaut Revel « Il y aussi des secteurs moins gros et moins connus qui sont aujourd’hui ubérisés, comme le in-store marketing, avec par exemple l’application Bemyeye qui dans son cas prend le budget d’une agence marketing. On peut aussi citer Click and Walk dans le même registre, mais aussi Creads, la première plateforme de création graphique en ligne, ou Hopwork, qui a ubérisé le marché des agences d’intérim ».
Réguler en laissant le marcher avancer, le défi des pouvoirs publics
Quels seront les prochains secteurs touchés par l’ubérisation ? Aujourd’hui, les transports (Uber, Didi Chuxing, Drivy), le logement (Airbnb, Tujia, Onefinestay), les services à domicile (Helpling, Taskrabbit) et le micro-jobbing et free-lancing (Upwork, Gigwalk) sont les modèles les plus explicites de la transformation collaborative et digitale de marchés complètement chamboulés. Dans une économie où la population se plaint de son pouvoir d’achat, les revenus d’appoint de l’ubérisation sont prisés. « Tous les métiers ne sont pas concernés par le phénomène, assure Thibaut Revel » Il va toucher ceux où la relation entre le client et le fournisseur est importante. Ceux où la relation de confiance est bilatérale seront épargnés. L’échec du marché du ménage à domicile le confirme ». Quid de l’éducation ? « Difficile à dire, car elle nécessite une relation de compréhension profonde entre deux personne », répond Thibaut Revel.
Pour l’associé de Clipperton, qui avec cette étude réalisée pour les investisseurs et le secteur des nouvelles technologies a voulu « donner une photo de ce qu’on voit pour amener à réfléchir », il y a une importante réflexion à mener de la part des pouvoirs publics. Ce sont eux qui doivent trouver l’équilibre entre les différents types d’acteurs et organiser une concurrence plus saine quand les abus sont patents. La clef est de le faire « en laissant le marché avancer et se réguler lui-même », estime Thibaut Revel. Pour Denis Jacquet et Grégoire Leclercq, les deux auteurs du livre « Ubérisation, un ennemi qui vous veut du bien » : « les politiques sont totalement perdus et dépassés par le phénomène, et le grand public se demande ce qui se passe vraiment « .
Les taxis et les librairies sont les plus touchés
L’autre défi des élus est évidemment d’accomplir leur devoir législatif en évitant les pièges des faciles récupérations politiques, rendues vendeuses par le fait que le terme même d’ubérisation est encore mal compris par le grand public. Il prête aux amalgames. « Il faut quand même rappeler que le terme d’économie collaborative est souvent présenté par son marketing sous un jour positif alors qu’il s’agit quand même d’un projet d’abord lucratif pour la majorité des applis », lance Thibaut Revel. Sur son site web, le passionnant Observatoire de l’ubérisation publie une cartographie utile des secteurs d’activité frappés par le phénomène.
Avec respectivement 70%, 60% et 50%, les taxis, les librairies et les hôtels sont sur le podium. Les avocats arrivent en quatrième position et les banques en sixième, alors que depuis six mois le marché de la legal tech se développe dans l’Hexagone. D’ailleurs, fin octobre, INfluencia s’intéressait à une start-up française qui utilise l’intelligence artificielle, donc des bots et des algorithmes, pour développer un moteur de recherche.
Cartographie des secteurs ubérisés