Vincent Bruneau est un illusionniste. Fondateur de Magency, une agence mariant événement et formation digitale, il apprend à manipuler les émotions de ses « cobayes numériques ». Attention à ne pas vous faire embrouiller par les mots qui vont suivre.
INfluencia : comment passe-t-on de la magie à la communication ?
Vincent Bruneau : j’ai été magicien pendant plus de quinze ans… et je continue à faire des tours de temps en temps. J’ai animé pendant sept ans sur France 3 une émission intitulée « La Grande Illusion ». J’ai aussi fait de la « street magie » sur France 4 et je suis passé dans de nombreux programmes télévisés, comme « Le plus grand cabaret du monde » de Patrick Sébastien. Pendant neuf ans, j’ai fait des spectacles à Las Vegas et dans une cinquantaine de pays. Vous pouvez voir sur YouTube certaines de mes vidéos sous mon nom d’artiste, Senzo. Ma spécialité a toujours été de créer des tours de magie uniques pour le lancement d’une marque ou d’un produit afin de générer des émotions positives.
Ainsi, dès les premières tablettes, j’ai imaginé des applications pour pouvoir interagir avec mes spectateurs. Je ne pensais pas que cela allait changer ma vie ! Renault m’a en effet demandé un jour si je pouvais mettre au point un outil qui accompagnerait la formation de sa force commerciale de 5 000 vendeurs. L’objectif était de faire adhérer les collaborateurs à son projet d’entreprise. J’ai relevé ce pari et l’agence Magency que j’ai créée à cette occasion, en 2010, compte aujourd’hui 60 salariés.
IN : quelles émotions ressentent les spectateurs ?
VB : un magicien est un générateur d’émotions. La magie insuffle de la joie, de l’intérêt et de la surprise. Sans émotion, il n’y a pas de réaction. L’objectif d’un magicien est de fédérer un groupe en créant des émotions positives dans une réalité que le spectateur n’a jamais rencontrée auparavant. Le plus important pour lui, ce ne sont pas les émotions en elles-mêmes, mais plutôt ce qui les déclenche.
IN : comment applique-t-on les techniques de magie et d’illusion à la com’ et au marketing ?
VB : nous avons mis au point une plateforme où l’on travaille à répondre aux problématiques de nos clients. Nos applications permettent de réaliser une vingtaine d’activités comme des quiz, des brainstormings, des nuages de mots ou du photostory. Ces fonctionnalités ont pour objectif de favoriser l’implication, le collaboratif et l’interactivité dans des groupes de tailles différentes. L’émotion que nous souhaitons créer n’est pas générée par nos outils en eux-mêmes, mais par les contenus que les personnes parviennent à développer grâce à nos outils.
IN : quels secteurs font le plus appel à vos services et pourquoi ?
VB : nous travaillons beaucoup avec des groupes du CAC 40 et des Fortune 500. Aux États-Unis, CNN et le New York Times sont des clients fidèles. En France, nous avons collaboré avec Axa, Total, EDF, BNP Paribas, Orange, Audi, Nissan et P&G. Nous commençons toutefois à nous ouvrir aux PME, et nous souhaiterions proposer des outils pour les travailleurs indépendants comme les coachs en entreprise. Au début, nous étions principalement en relation avec des directeurs de la communication de grands groupes. Nous avons ensuite noué des contacts avec des comités exécutifs et des directeurs de la formation. Plus récemment, des responsables des ressources humaines se sont rapprochés de nous.
IN : votre méthode consiste à favoriser le dialogue entre collègues grâce à l’utilisation d’applis que vous avez mises en place. se parler par l’intermédiaire d’un smartphone et d’une tablette n’est-il pas un moyen de retirer le maximum d’émotions d’un dialogue ? Pourquoi faites-vous cela ?
VB : lors des réunions, ce sont toujours les mêmes qui prennent la parole. Les plus timides ne disent pas un mot. Nos outils permettent à chacun de donner son avis. Nous parvenons ainsi à casser des barrières, car tous les collaborateurs se font entendre et communiquent leurs opinions.
IN : passer par une tablette ou un smartphone n’encourage-t-il pas les entreprises à censurer certains avis un peu trop critiques à leur goût ?
VB : lors des grandes conventions, nous mettons parfois en place de la modération pour ne rien vous cacher. Certains clients comme CNN acceptent de n’avoir aucun filtre lors de leurs réunions, d’autres compagnies sont plus prudentes. Je me rappelle cette convention d’un grand groupe de transport au Japon durant laquelle nous avions demandé aux collaborateurs s’ils recommanderaient à leurs proches de travailler dans cette entreprise : 80 % des personnes avaient répondu « non ». Le numéro deux de la société était alors monté sur scène pour leur crier dessus pendant une heure. C’est ce type de souci que nous souhaitons éviter, car notre objectif est de créer de l’émotion positive et de développer de l’adhésion autour de l’entreprise.
Il est toutefois impossible de masquer le mécontentement de 500 ou 1 000 personnes lors d’un grand raout. Lorsque 800 mots sont créés à la minute avec des « like » qui tombent sans arrêt, vous ne pouvez pas contenir une telle avalanche. Et j’ai rarement vu des patrons nous demander lors des votes en direct de faire apparaître des choses qui n’avaient pas été suggérées par leurs collaborateurs. Pour vous dire la vérité, cela m’est arrivé une fois, mais le contexte de cette convention était particulier, l’entreprise s’apprêtait à annoncer un vaste plan de licenciements.
IN : peut-on en conséquence parler de manipulation pour générer de l’émotion ?
VB : je ne peux pas vous dire qu’en tant que magicien je ne cherche pas à créer une réalité virtuelle afin de manipuler votre façon de voir les choses. L’objectif d’un magicien est de manipuler une situation pour arriver au but qu’il s’est fixé à l’avance. La magie implique forcément une manipulation de la réalité. Mais dans mon nouveau métier de communicant, je m’intéresse surtout à savoir ce qui va déclencher vos émotions. Mon objectif est de faire adhérer les gens à un projet, mais je ne les manipule pas, car ce sont eux qui créent les contenus qui vont développer leurs émotions.
* Magency compte 60 salariés et réalise un chiffre d’affaires de 5,5 millions d’euros. Elle est présente à Paris, New York et Tokyo.
Article tiré de la revue INfluencia n°20, l’émotion
