23 mars 2017

Temps de lecture : 4 min

Sublime, forcément sublime : pourquoi le corps publicitaire ne peut pas être le corps de tout le monde

La décision du maire travailliste de Londres, à peine élu, d’interdire depuis juillet 2016 les publicités susceptibles de constituer sur les utilisateurs des transports en commun londoniens une « pression, en particulier sur les jeunes, afin qu’ils se conforment à un physique irréaliste ou malsain ou susceptibles de créer des problèmes de confiance en soi liés au corps » illustre, de façon spectaculaire, l’injonction grandissante de « normalité » faite à la publicité, voire une intention de normalisation moralisatrice. Le Conseil de l'éthique publicitaire, présidé par Dominique Wolton (CNRS), est l'instance de "vigie" associée à l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Le CEP vient de publier un avis sur l'image du corps dans la publicité. décryptage...

La décision du maire travailliste de Londres, à peine élu, d’interdire depuis juillet 2016 les publicités susceptibles de constituer sur les utilisateurs des transports en commun londoniens une « pression, en particulier sur les jeunes, afin qu’ils se conforment à un physique irréaliste ou malsain ou susceptibles de créer des problèmes de confiance en soi liés au corps » illustre, de façon spectaculaire, l’injonction grandissante de « normalité » faite à la publicité, voire une intention de normalisation moralisatrice. Le Conseil de l’éthique publicitaire, présidé par Dominique Wolton (CNRS), est l’instance de « vigie » associée à l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Le CEP vient de publier un avis sur l’image du corps dans la publicité. décryptage…

Cette demande (potentiellement, cette contrainte) s’ajoute aux impératifs d’une publicité respectueuse des personnes – et notamment des femmes -, impératifs avec lesquels elle ne doit pas être confondue. En effet, à la suite d’un mouvement initié à la fin des années 70, un consensus existe aujourd’hui autour de la représentation gratuite d’un corps offert, d’un corps-objet, d’un corps fragmenté, jugé inacceptable au nom d’impératifs qui tiennent moins de la décence que d’une acception très contemporaine du droit à l’intégrité et à la dignité des personnes. Ce consensus est au premier chef revendiqué par les professionnels engagés dans l’organisation de l’autodiscipline publicitaire en France.

Même si en réaction émerge une tentation d’affranchissement libertaire – de la part de ceux qui considèrent cette adhésion comme un néo-puritanisme attentatoire à la liberté d’expression, ou comme un néo-rigorisme fondé sur les excès du « politiquement correct » – toutefois le consensus qui existe aujourd’hui pour prohiber une publicité « dégradante » ou « sexiste » semble solide et pérenne. Il est conforme à l’éthique publicitaire, en ce qu’il propose une réponse équilibrée à la demande d’un meilleur encadrement de la représentation du corps dans la publicité, tout en respectant les libertés fondamentales.

La demande de publicité « socialement responsable » : un risque démocratique majeur

Il en va très différemment de la démarche du maire de Londres : elle signe le glissement programmé d’une demande légitime de publicité « éthique » vers une publicité non pas seulement responsable mais « socialement responsable ». C’est-à-dire une publicité non seulement conforme à la règlementation et aux règles partagées de l’autodiscipline professionnelle, mais aussi, de façon plus exigeante et surtout, plus directive, une publicité qui se doive d’être « bénéfique » à la société, c’est-à-dire conforme à un projet collectif déterminé, en un mot militante, voire dogmatique. En tout cas conforme à ce que l’on considère comme « normal » socialement, à un moment donné.

Cette décision, curieusement peu commentée à ce jour outre-Manche, fait suite à la polémique ouverte par une campagne par affichage de la marque Protein World : « Are you beach body ready », qui associait, à l’image d’un mannequin à la plastique parfaite, la suggestion qu’il convient d’être mince pour se dénuder sans complexe à la plage.

Saisie de plusieurs centaines de plaintes, l’instance de régulation publicitaire britannique (Advertising Standards Authority) a, dans un premier temps, jugé cette campagne conforme à ses recommandations, arguant que « l’accroche suggérait aux lecteurs de s’interroger sur le fait de savoir s’ils étaient dans la forme qu’ils souhaitaient pour l’été », et « n’impliquait pas de considérer des corps différents comme moins satisfaisants ou inférieurs ». L’ampleur de la polémique (manifestation publique, pétition de 60 000 signatures notamment) l’a ensuite amenée à réviser son jugement, et à suspendre la campagne sur le fondement d’arguments de santé.

L’argument des populations fragiles : l’enfer est pavé de bonnes intentions

En France, il est à craindre que le mouvement soit aussi engagé. Au motif, légitime, de lutter contre l’anorexie, les pouvoirs publics ont fait pression sur les professionnels pour signer, en avril 2008, une « Charte sur l’image du corps », dont le premier engagement dépasse, très largement, l’enjeu de la représentation de mannequins trop maigres. Sous le titre : « sensibiliser le public à la diversité corporelle », la promesse des signataires vise aussi à « éviter toute forme de stéréotypie qui peut favoriser la constitution d’un archétype esthétique potentiellement dangereux pour les populations fragiles » .

La loi de santé publique de janvier 2016 est venue confirmer cette ambiguïté entre l’objectif de santé publique, et le projet de nature politique : « les photographies à usage commercial de mannequins, dont l’apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d’image afin d’affiner ou d’épaissir la silhouette doivent être accompagnées de la mention: “photographie retouchée“ » (article 19 de la loi n° 2016-41 codifié à l’article L.2133-2 du Code de santé publique.) Il ne s’agit donc pas seulement de refuser l’image d’un corps trop maigre, mais plus encore de rechercher/imposer la représentation d’un corps « normal » (ni trop, ni trop peu).

A cette injonction faite à la publicité de recourir à l’image d’un corps banal, d’un corps « moyen » (c’est-à-dire ordinaire ou rendu conforme à des objectifs prédéfinis) s’ajoute la pression exercée, notamment par les associations de défense des minorités, pour que le corps soit représenté dans sa diversité, qu’il s’agisse de diversité ethnique (plus de couleur), de générations (plus de « vieux »), ou de situations (la question du handicap).

Il y a là un profond malentendu, que les « bonnes intentions » des promoteurs d’une publicité « socialement responsable » ne doivent pas masquer : s’il revient aux professionnels de fixer les limites d’une publicité responsable, il n’est en revanche ni légitime, ni souhaitable de demander aux acteurs économiques de se substituer aux Pouvoirs publics (ou aux associations) dans leur mission d’éducation, de promotion du civisme ou de défense de l’intérêt général. Chacun son rôle : l’éthique publicitaire ne peut être convoquée pour promouvoir la diversité sociale.

Veiller à cette distinction constitue un enjeu démocratique majeur, qui dépasse l’exigence, pourtant essentielle, de la protection de la liberté d’expression, prévue notamment par l’article 10 de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen. La campagne « This girl can » (janvier 2015) lancée par l’agence gouvernementale Sport England pour encourager les femmes de toutes tailles et de toutes formes à faire du sport, et qui met en scène des femmes ordinaires, rondeurs et cellulite exposées, illustre cette mission d’intérêt général.

Photo de Une : Mais Pilates, Studio Wake Up Your Body

Retrouvez la suite de cet article sur le site du Conseil de l’Ethique Publicitaire, par Pascale Marie

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