Individu ou marque, comment répondre à l’injonction sociale de mener une vie forcément intense ? Pourquoi l’intensité est-elle la valeur suprême qui régit notre société et nos modes de consommation ? La vie est devenue intense mais la vraie question est de savoir comment l’articuler…
On parle d’un des maîtres mots du langage publicitaire et de la société des loisirs : l’intensité. L’intensification de nos vies est devenue une obligation. L’accélération, l’excitation, l’augmentation des sensations sont des valeurs absolues. Toute stagnation, monotonie ou ralentissement, est vécue comme une léthargie. Dès lors, il faut s’amuser, aimer, jouir toujours et davantage. Un challenge quotidien éprouvé à travers les individus (amour, sexualité, amitié…), les expériences (parcs d’attractions, divertissements…) mais aussi les marques qui nous accompagnent avec leurs produits et services évidemment intenses, parfois jusqu’à l’extrême…
Vivre comme un adolescent électrisé par le rock et la vitesse s’impose comme un idéal et s’oppose à l’ennui d’une vie sans relief, bourgeoise ou de classe moyenne. Nous devons nous réveiller de l’engourdissement, nous extraire de la monotonie pour nous sentir vivre plus fort. À travers l’amour, la performance sportive, l’alcool, la drogue, la joie, l’orgasme, la création artistique ou l’adrénaline. Le désir de se sentir « plus ceci » ou d’avoir « plus cela » apparaît comme un rempart de nos angoisses existentielles. Il comble le vide et la peur du vide. Mais à peine le désir est-il satisfait, qu’une frustration s’empare de nous. A-t-on à peine terminé de faire la fête qu’il faut recommencer. Si la fête est la même, la frustration s’empare de nous : on en veut davantage. Obtient-on une promotion professionnelle, qu’il faut viser la prochaine. Celui qui ne va pas crescendo ou qui ne tient pas le rythme infernal, devenu la norme, finit par décrocher. On parle alors de dépression ou plutôt de « burn out »…
Satisfaire nos désirs
Au sens propre, s’il emplit nos vies, le désir d’intensité remplit aussi nos placards ! Matériels ou immatériels, les moyens de répondre à nos besoins d’excitation sont omniprésents et se marchandent par les objets et les services. Un téléphone plus performant, un détergent plus puissant, une vidéo plus drôle, un livreur plus rapide, une promotion plus avantageuse…
Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faut se rappeler que jusqu’à la fin du XIXème siècle la promesse immatérielle qui guidait le peuple était sacrée. Par la religion qui la dominait, la société promettait la grâce divine. Promesse d’un au-delà et quête « d’autre chose » qui orientait vers la spiritualité plutôt que le matérialisme. Aujourd’hui notre société moderne et laïcisée ne nous promet plus l’au-delà mais une vie intense ici bas.
Promesses de marques
Les marques, et par elles, les communicants, alimentent abondamment ce désir sans cesse renouvelé de « choses » toujours « plus » ceci ou cela. Ce qui nous amène à reconsidérer la surenchère des promesses liées aux produits de consommation. Et par extension, les agences de communication, doivent-elles promettre, pour le consommateur, dans une logique de surenchère ? Cet exercice de rhétorique publicitaire est donc l’occasion de challenger nos pratiques, nos messages et moyens de les diffuser. Se posent ici les questions d’innovation et du culte de la nouveauté intensifiée. Et surtout, n’est pas anticonformiste qui croit l’être : promettre toujours plus de plaisir, de fun, d’excitation, c’est répondre à la norme sans originalité. Paradoxalement, aujourd’hui rien n’est plus conformiste que vibrer avec Redbull, se dépasser avec Nike ou jouir avec Tinder.