« Les chemins de l’innovation » rassembleront, le 17 mai, plusieurs centaines d’entrepreneurs et de cadres dirigeants des entreprises liées à la communication globale. Cette 3ème édition se place sous le signe de l’innovation autour du thème « l’énergie d’entreprendre autrement ».
Entretien croisé avec Jean-Christophe Chabbert, directeur stratégie et innovation chez ServicePlan Group et co-animateur de la commission Innovation à l’Observatoire COM MEDIA et Jean-Pierre Gérault, président du Comité Richelieu, partenaire du colloque.
INfluencia : le titre de votre colloque est « L’énergie d’entreprendre autrement ». Comment entreprendre autrement en France ? Quelles sont les clés de la réussite ?
Jean-Christophe Chabbert : dans un monde qui est en mutation et en réinvention totale, chaque initiative doit profiter à tous. Dans la filière communication en particulier, il nous faut retrouver de la création de valeur tandis que les mutations que connaissent nos activités provoquent une ouverture assez polymorphique qui amène des intervenants très divers à interagir les uns avec les autres. L’innovation est de nature multiple. Elle est technologique avec la « big data », elle se trouve dans la mise en œuvre avec la génération de contenus et elle devient stratégique notamment avec des intervenants issus des systèmes d’information comme les sociétés de consulting. Il est urgent pour nous de bien comprendre ce qui se passe autour de ces mutations afin d’identifier nos futurs partenaires mais aussi de savoir qui fait quoi et comment chez les annonceurs. Notre journée a pour objectif de mettre en relation des acteurs très différents et de leur permettre d’échanger autour de leur retour d’expérience. Les start-up seront également accompagnées par des experts qui prodigueront des conseils et des analyses sur l’évolution de leurs activités. Les pitchs sont très intéressants, particulièrement lorsqu’une start-up est accompagnée par un client car ils illustrent comment peu à peu s’établit la relation de confiance entre un fournisseur et un donneur d’ordres. Cette confiance repose sur des critères qui ne sont pas les mêmes que par le passé. On voit apparaître notamment des notions de flexibilité et de « test and learn ». Le monde moderne est un monde de droit à l’erreur qui permet de s’améliorer continuellement. Au cours de cette journée, il y aura beaucoup d’écoute et de partage.
Jean-Pierre Gerault : en France, le Comité Richelieu et l’Observatoire COM MEDIA prônent une meilleure relation entre l’univers des grands groupes, celui des petites entreprises mais aussi celui des universités afin que tous travaillent dans une relation de confiance qui passe notamment par l’open-innovation. Ce triptyque pourrait mieux fonctionner en France si l’on compare avec ce qui se passe chez plusieurs de nos voisins européens. Ensuite, il nous faut œuvrer pour construire une économie solidaire et tournée vers une véritable RSE en conjuguant efficacité économique et responsabilité sociale. Pour les grands groupes aussi bien que pour les petites entreprises, une vraie dynamique consiste à donner du sens aux missions vis-à-vis des clients, des collaborateurs, des fournisseurs et des partenaires. C’est par cette prise de conscience, qu’évolueront les relations entre les différents acteurs économiques vers plus de maturité.
IN : est-il possible aujourd’hui de concurrencer les GAFA ?
J-C.C. : je retourne la question, pourquoi devrait-on concurrencer les GAFA ? Si l’on regarde l’essence des choses, ceux qui collectent énormément de datas sont considérés comme les plus susceptibles de délivrer des messages et provoquent des réactions à travers notre société de consommation. Cette dernière connaît un changement de paradigme autour de la valeur d’attention et de satisfaction. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde sans compter que même les modèles des GAFA évoluent et seront complètement différents d’ici une dizaine d’années. Il ne faut pas être obsédé par les GAFA comme autrefois on pouvait l’être par les géants de l’acier ou du charbon. Il valait mieux, à l’époque, construire des locomotives plutôt que de chercher à prendre leur place. Certes, les GAFA sont des leaders et ont eu le temps de s’implanter et de grandir mais il reste bien des attentes des consommateurs qui ne demandent qu’à être satisfaites par des solutions innovantes et inédites. Comme un adepte des arts martiaux, il faut s’appuyer sur la force des GAFA pour créer de la valeur ajoutée plutôt que de chercher une confrontation directe.
« La nécessité de réguler ces entités »
J-P.G. : les GAFA sont des géants économiques nés de la nouvelle économie numérique et ont une incidence sur l’ensemble des économies. Ils sont transversaux et interagissent avec l’ensemble de l’économie. Ils sont particuliers en ce sens et ont une capacité de croissance sans limite en théorie, car ils innovent afin de générer leur futur chiffre d’affaire. Il est préférable de ne pas les concurrencer sur leur propre terrain tant leur position est dominante. Cependant, il peut se poser la question sur la nécessité de réguler ces entités que rien ne semble arrêter. On ne peut envisager que l’économie devienne l’apanage d’une dizaine d’entreprises maîtrisant l’innovation et sa diffusion.
IN : pourquoi avons-nous si peu de Licornes en France par rapport à d’autres pays européens ?
J-C.C. : je ne suis pas un spécialiste de la question mais je ressens à travers ma perception de l’économie que la France a pris du retard par rapport à nos voisins européens qui ont réagi plus rapidement aux mutations de l’économie. Les technologies évoluent bien plus vite que les mentalités.
J-P.G. : sur le seul périmètre européen, on constate une distorsion significative entre la France et nos voisins, si l’on y compare le nombre de Licornes. Elle trouve ses origines dans le fait que pour émerger, une Licorne doit bénéficier de la conjonction favorable de plusieurs univers : universitaire, culturel, fiscal et financier. Cette alchimie est plus difficile à atteindre en France. Il suffit de voir la faible relation entre nos universités et les PME contrairement à ce qui se pratique plus particulièrement dans les pays nordiques et anglo-saxons. Le financement connaît un état de faiblesse en France et ne permet pas à nos entreprises de passer une certaine taille. C’est pourquoi, ces difficultés peuvent convaincre certains de nos entrepreneurs à partir pour l’étranger. Enfin, si, les pouvoirs publics mettent en place des dispositifs en faveur des entreprises innovantes, ils manquent cruellement de vision globale.
IN : quel est l’état de l’innovation en France ? Quelles sont nos forces et nos faiblesses ?
J-C.C : mon point de vue est très tranché. L’innovation est la conséquence d’une vision. Je déplore d’ailleurs que les entreprises de la communication en France manquent globalement de vision. Il y a très peu d’innovation menée par des grands groupes en France, en revanche il existe une myriade d’intervenants extérieurs et de petite taille qui proposent des solutions innovantes. Pour transformer l’innovation en projets concrets, les grands groupes doivent adopter une nouvelle organisation. La plupart des start-up innovantes ont des solutions répondant à des besoins précis mais elles ont énormément de mal à les faire valoir auprès des grands groupes de la communication.
Cela pose un autre type de problème sur les modèles prônés par les grands groupes qui sont partagés entre l’intégration et l’open-innovation. La filière de la communication n’est pas en déficit d’innovations mais en déficit de vision pour les mettre en pratique. A cette problématique, s’ajoute la constatation que l’architecture des entreprises françaises est à géométrie variable. On en compte des très évoluées sur les questions liées à la transformation numérique et d’autres qui sont très en retard. La France est bien un pays latin qui est à la fois très novateur et très désorganisé. D’ailleurs, nombre de petites structures innovantes contactent directement des annonceurs faute de pouvoir contacter des intermédiaires capables d’intégrer leurs solutions dans des projets globaux et structurés. Sur le plan économique, je ne suis pas certain qu’il s’agisse d’une bonne chose. Ces acteurs innovants doivent se rassembler pour peser davantage auprès des grands annonceurs afin que la définition de l’échelle des valeurs des prestations soit le fruit d’une réflexion collective. Le prix d’une prestation est biaisé s’il n’est évalué que par l’acheteur.
« La solution réside dans l’achat innovant en France »
J-P.G. : la France est bien un pays innovant, les études internationales le démontrent régulièrement et il existe des raisons à cela. Tout d’abord, la qualité des ingénieurs et une main d’œuvre qualifiée facilitent l’essor de l’innovation en France. Elle est reconnue par les entreprises étrangères. L’environnement fiscal est globalement favorable à l’innovation. Concernant les start-up, la France est placée dans le top 5, il suffit de se rappeler qu’au dernier CES, notre pays rassemblait la deuxième délégation étrangère avec 180 entreprises. Mais si nous sommes innovants, nos entreprises ont du mal à exporter. Je reviens à ce sujet sur l’absence de nos universités dans les classements européens en matière d’efficacité dans les relations avec les entreprises innovantes. Nos universités ne sont pas assez dynamiques en la matière. Un autre sujet d’inquiétude réside dans le petit nombre de sociétés exportatrices françaises par rapport à nos voisins européens comme l’Italie, l’Angleterre et l’Allemagne. Nous avons à peine 4000 ETI en France contre le double en Italie et le triple en Allemagne, un écart qui s’est creusé depuis les années quatre-vingts. L’économie française est incapable de générer des entreprises de taille suffisante pour percer les marchés mondiaux.
Au Comité Richelieu, nous sommes convaincus qu’avec la relation entre les grands groupes et les PME-ETI, la solution réside dans l’achat innovant en France. Les entreprises publiques, les ministères, les administrations, les collectivités territoriales achètent énormément et il faut développer l’achat innovant qui bénéficiera aux entreprises novatrices françaises. Les PME n’ont pas besoin de subvention mais de business. Il faut par conséquent libérer les énergies et revoir nos relations avec le code des marchés publics en France et en Europe. L’achat public devrait davantage relayer la croissance en France. Il est aussi plus facile d’aller à l’international en bénéficiant de références sur son propre marché. N’est-il pas paradoxal pour nos entreprises d’avoir souvent plus de difficultés à développer leur chiffre d’affaire dans leur propre pays qu’à l’étranger ? Notre économie est par conséquent déficitaire et ne permet pas à nos PME et start-up d’atteindre des tailles critiques. Je déplore au final que les politiques ne s’emparent pas suffisamment de ces problématiques.
IN : l’apparition du digital, le développement des plateformes collaboratives et les innovations technologiques modifient profondément les méthodes de recrutement nécessitant l’intégration de nouveaux métiers et de nouvelles compétences ? Comment répondre à ces changements ?
J-C.C. : avant tout, les groupes de communication doivent passer en mode collaboratif. Ce qui n’était pas la philosophie du 360°, il y a une dizaine d’années de cela. Le pur mode collaboratif place tous les intervenants à égalité, alors qu’autrefois les collaborations étaient verticales. En mode collaboratif, nous apprenons à travailler ensemble à partir de nos données afin d’élaborer la meilleure proposition possible vérifiable d’où l’importance d’avoir nos propres KPI et des systèmes de dashboards nous permettant de mesurer en temps réel la performance de nos solutions. Comment répondre à ces changements ? Cela passe par une plus large ouverture d’esprit, par un recrutement de compétences parfois différent et l’initiation de processus alternatifs en apportant à nos clients des solutions efficaces et optimisées avec des coûts maîtrisés. C’est une grande révolution dans la façon de construire une proposition. La difficulté est qu’il faut piloter dans le quotidien nos projets. Autrefois, une campagne était lancée puis suivie quelques mois plus tard. La culture du résultat est dorénavant permise par les datas. Une autre thématique que nous comptons aborder est celle des cabinets de consulting qui prétendent intégrer des compétences en lien avec la création et la communication.
S’ils tentent de concurrencer les acteurs de la communication sur des notions propres aux ROI et à l’analyse marketing pure, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sont pas formés à maîtriser les subtilités qui engendrent l’adhésion à une marque. Si l’on remonte à la montée en puissance des annonceurs avec la publicité à la télévision, ils avaient en face d’eux des agences qui avaient comme atout d’être multiculturelles et d’avoir des profils très diversifiés capables de proposer des stratégies efficaces et inattendues. Selon moi, seules les agences de communication sont capables de créer des territoires de marque qui perdurent. Mais si autrefois, nous répondions aux demandes des annonceurs, nous devons désormais, être force de proposition en matière de solutions innovantes.
« Le retard de l’apprentissage en entreprise »
J-P.G. : ces problématiques touchent à la formation universitaire, à la formation professionnelle et aux évolutions du mode de travail. Les universités doivent proposer des formations plus en adéquation avec les besoins des entreprises. On note des progrès mais nous rencontrons encore trop de difficultés pour intégrer des profils compétents dans les métiers liés au digital. Beaucoup de nos collaborateurs se forment sur le tas après leurs études. L’apprentissage en entreprise est davantage en réaction aux demandes des chefs d’entreprises. Elle souffre d’un retard plus important que celui de la formation des universités même si on peut s’attendre qu’elle permette à un salarié d’être plus rapidement opérationnel. Ce n’est pas un problème de moyens mais de méthode. Quant au mode de travail, on note qu’avec l’uberisation des métiers et l’apparition des plateformes collaboratives, les contrats classiques sont de moins en moins représentatifs et deviennent minoritaires chez les actifs. On voit bien que tout ce qui touche au recrutement et à la formation passe de plus en plus par les réseaux sociaux et des solutions interactives. Le digital influence les entreprises en étant porteur de solutions et en s’insérant aussi dans les processus classiques des entreprises notamment en matière de recrutement. Enfin, il est nécessaire pour la France et plus largement l’Europe d’adapter son fonctionnement à ces mutations de l’économie. Avec certains de nos voisins les plus proches, il existe une telle différence entre les fiscalités que nos entreprises souffrent d’une distorsion de concurrence qui leur fait beaucoup de tort. C’est une problématique politique à laquelle nos représentants ne répondent pas ou mal en prodiguant une sortie de l’Union européenne plutôt que sa réforme.