Qu’est ce qui anime les makers en 2017 ? Sont-ils toujours des ennemis de la consommation de masse ? Pendant trois jours la Maker Faire Paris apporte des réponses. En amont la start-up communautaire, Oui are Makers, a décrypté les bricoleurs 2.0. Mais derrière le portrait-robot quelle relation peut avoir le maker influenceur avec les marques ? INfuencia en a discuté avec Hortense Savard, sa fondatrice .
Si vous avez une idée assez floue d’un mouvement plus médiatisé que concrètement côtoyé au quotidien, quelques chiffres suffiront à poser le décor. Le marqueur le plus objectif pour juger la percée de l’évangélisation du Do It Yourself par les makers réside dans la croissance du nombre de lieux de fabrication : en 2017, en France, la Fab Foundation recense 147 fablabs et 330 lieux dédiés en ajoutant les makerspaces et biohacklabs. Qui sont les prêcheurs ? D’après le décryptage de Oui are Makers, plus de 60% des makers français ont moins de 34 ans, le réflexe open source chez les générations Y et Z expliquant leur sur-représentation. » Contrairement aux idées reçues, le mouvement concerne aussi bien les hommes que les femmes, presque à égalité « , précise l’étude récemment révélée par la start-up communautaire.
Entre envie de nature même à l’intérieur, de produits ménagers faits maison, de donner une deuxième vie aux objets par l’upcycling et de solutions innovantes pratiques : les quatre tendances du maker bleu-blanc-rouge observées par Oui are Makers confortent l’idée reçue du grand public. Et des marketeurs. Quand le citoyen change, le consommateur également. Et vice versa. » Après 12 ans dans le marketing et le commercial, j’ai observé une tendance de fond qui m’a semblé très intéressante et à laquelle j’ai souhaité contribuer activement en tant qu’entrepreneur depuis 2 ans. J’appelle cette tendance le « Makering » : une fusion des mots « Make » et » Marketing » « , explique Hortense Savard, fondatrice de Oui are Makers.
C’est pour accélérer et pour accompagner cette transformation qu’elle a donc co-fondé la plateforme web communautaire, qui permet à chacun de venir partager ses techniques innovantes ou créatives dans tous les domaines du » Faire « . En 18 mois, elle rassemble déjà plus de 10 000 membres, qui y ont partagé des milliers de tutoriels. Oui are Makers a même lancé un concours d’innovation ouverte avec Sourcing&Creation, la cellule d’innovation de l’enseigne Boulanger, sur le thème de l’accessoire de smartphone : l’initiative a pu faire remonter des innovations produits très intéressantes pour résoudre des problèmes de sécurité, de protection, d’énergie. Les trois lauréats du concours sont en train d’être prototypés industriellement en vue d’une éventuelle commercialisation.
Puisque le consommateur devient un conso-maker …
« Nous permettons aux individus de partager leurs savoir-faire, et aux marques de donner une dimension collaborative à l’innovation produits et contenus », résume Hortense Sauvard. C’est justement pour discuter de la relation entre marque et makers que nous l’avons interrogée.
INfluencia : vous parlez du nouveau concept de makering, mais n’est-il pas simplement l’émanation en DIY du consommacteur ?
Hortense Sauvard : j’aime beaucoup cette idée, elle est intéressante. Il est effectivement possible de faire le lien puisque le consommacteur devient de plus en plus créateur du fait de la démocratisation du DIY. Les consommateurs ont aujourd’hui les moyens de s’impliquer très tôt dans la chaîne de création de la valeur, que ce soit avec les réseaux sociaux où ils peuvent se faire entendre par les marques, ou le crowdfunding grâce auquel ils peuvent lancer un produit avant même sa mise sur le marché. Ils ont également, à présent, accès aux outils de fabrication personnelle et peuvent donc prototyper leurs idées de manière locale et hyper réactive. La France est passée d’une poignée de fablabs, il y a 5 ans, à des centaines partout en France. Entre les lieux développés par les collectivités, les lieux privés et ceux développés au sein des entreprises, la croissance est importante. Avec le digital ces mêmes consommateurs ont aussi accès au savoir et au savoir-faire (open source, mooc, etc…). Ces facteurs forcent les entreprises à inverser le fonctionnement de leurs innovations produits et contenus. A l’appui des mécaniques d’open innovation et d’intégration des foules, ils inventent une approche bottom up de l’innovation. Ce n’est plus un marketing au sens traditionnel du terme puisque le consommateur devient un conso-maker.
IN : mais comment le mouvement des makers impacte-t-il la pub et les stratégies d’engagement ?
H.S. : le mouvement maker a rendu possible pour tout individu de passer d’une idée à la fabrication d’un produit concret. Donc forcément cela change le rapport de force entre les individus et les marques, puisqu’elles ne sont plus les seules à être capables d’inventer et de fabriquer des produits. Elles ont intérêt à comprendre ce phénomène et à ouvrir leur manière de travailler pour intégrer les makers dans leur modèle de développement de produits et de contenus. Le marketing traditionnel est complètement bouleversé par ce nouveau rapport. L’enjeu n’est plus de pousser vers les marchés des produits pensés en interne, mais au contraire de faire remonter les idées ou cas d’usages illustrés par les individus. C’est la clef des stratégies d’engagement des marques qui sont déjà dans la mise en place de processus collaboratifs, d’open innovation ou de co-création de produits.
IN : quel intérêt peut alors avoir la plateforme, Oui are Makers, pour les marques ?
H.S. : Oui Are Makers permet aux marques de montrer les usages réels que font les gens avec leurs produits, autour de la réparation, de la fabrication et de la personnalisation. Par exemple, comment peut-on réparer telle machine à café ? Comment peut-on utiliser telle perceuse pour fabriquer des étagères ? Comment peut-on personnaliser telle technique informatique pour créer son propre drone ? Qui mieux que les utilisateurs des produits eux-mêmes pour montrer comment ils font concrètement les choses, et pour recommander le bon matériel pour faire tel ou tel projet ?
IN : quid de votre modèle économique ?
H.S. : nous créons des espaces dédiés à chaque filière, sponsorisés par les entreprises les plus concernées (automobile, bateau, énergie, bois, couture, jardinage, upcycling, cuisine, etc…). Nous développons des évènements créatifs en ligne (concours de projets DIY, de tutoriels, d’innovation produit) ou en réel. Nous faisons le lien entre nos talentueux makers et les entreprises qui souhaitent des tutoriels originaux ou réalistes autour de leurs produits.
IN : où en est, aujourd’hui, la relation entre les makers et les marques ?
H.S. : nous en sommes au tout début. Les entreprises commencent à s’intéresser au mouvement maker pour l’agilité et l’inventivité qu’il insuffle, et aussi pour le phénomène de micro-industrialisation. De leur coté, les makers commencent à s’intéresser aux entreprises car ils réalisent que pour avoir un réel impact sur la vie sociale ou environnementale, on ne peut pas négliger l’aspect économique. La relation entre les marques et les makers se construit avec des intermédiaires comme les fablabs ou Oui Are Makers, qui vont agir comme des garanties que la relation se construit dans le respect des intérêts et des valeurs des deux parties.
IN : le maker est-il déjà un influenceur et est ce que Oui are Makers assume cette ambition ?
H.S. : l’objectif du maker n’est pas vraiment de générer de l’influence au sens social du terme, mais plutôt de créer de l’impact aux sens économique et environnemental du terme. On parle même d’une 3ème révolution industrielle en marche. L’expression vient de l’ouvrage de Jeremy Rifkin, dont la vision a été adoptée par le Parlement Européen dès 2007. La plateforme, Oui Are Makers, a l’ambition de rassembler toutes les forces vives qui veulent générer cet impact. J’aime beaucoup ce proverbe africain qui dit » Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin « . C’est exactement ça. Plus on partagera de bonnes pratiques sur la fabrication individuelle, la réparation ou l’entretien des objets, l’upcycling ou le recyclage, plus on pourra montrer que c’est facile et donc générer de l’impact à grande échelle. Bien entendu cela n’empêche pas certains contributeurs de sortir du lot, avec des projets extraordinaires par leur originalité ou tout simplement par leur utilité évidente.