Diffusé depuis le 1er juin 2017 sur OCS, la série de science-fiction « Missions » est la réussite d’un pari un peu fou tenté par la boîte de production, Empreinte Digitale. Pour comprendre les enjeux culturels, économiques, technologiques et créatifs derrière cette fiction pionnière, INfluencia a discuté avec son producteur.
Petit quizz de culture générale pour commencer : connaissez-vous William Meyer ? Si vous dites oui, soit vous êtes un menteur égocentrique, soit vous avez regardé les premiers épisodes de la série française « Missions », diffusée sur OCS depuis le 1er juin 2017. Héros imaginaire d’une audacieuse production made in France, ce milliardaire conquérant de l’espace a réuni les meilleurs spationautes et scientifiques français, italiens et allemands. Après 10 mois de voyage, la veille d’atterrir sur Mars, tous découvrent que leurs concurrents américains se sont déjà posés mais ne donnent plus aucun signe de vie. Après un atterrissage catastrophique, ils constatent qu’il ne reste que des débris du vaisseau américain… et un rescapé. Seulement, l’homme n’a jamais fait partie de cette mission. Il s’appelle Vladimir Komarov, il est russe. C’est le premier homme à avoir perdu la vie dans l’espace… en 1967 !
Sur le papier, le pitch fleure bon le blockbuster HBO, Showtime ou Netflix. Mais le pari un peu fou de la boîte de production, Empreinte Digitale, est une création complètement bleu-blanc-rouge. « Missions » peut-elle donc enfin décomplexer la fiction française par rapport aux bijoux américains, qui disposent aujourd’hui de budgets et de talents (pour beaucoup français) d’Hollywood ? » Nous en serions fiers. Mais ce n’est pas si simple. Faire des séries de ce genre en France est un pari autant économique que culturel. La science fiction est devenu presque un monopole des Américains, au point d’être parfois considéré comme un genre « interdit » pour nous « , répond Henri Henri Debeurme, producteur à Empreinte Digitale.
Si l’accueil du public, de la presse et de la critique – prix de la critique internationale aux MipTV Drama Screenings – démontre que « le public est prêt pour le genre en France », dixit Henri Debeurme, « Missions » est le fruit d’un choc culturel, « car il y a une forme de barrière psychologique quand on est Français et qu’on s’attaque à un tel genre. Il a fallu que nous, les créateurs et producteurs de la série, nous fassions violence pour réussir à faire tomber nos propres barrières », explique le producteur de la série.
La flamme de « Missions »
OVNI français des fictions audiovisuelles françaises, « Missions » est aussi une prouesse technologique rendue possible par la post-production du studio vidéo Reepost, qui a permis d’optimiser les coûts, les temps de calcul et de fabrication « En libérant le producteur et le réalisateur des contraintes technologiques, on met la création au cœur de nos discussions », nous explique Reepost. Justement, est-ce que la place de la post-prod est plus importante qu’auparavant ? Est-elle prise en compte plus tôt dans l’écriture ? INfluencia a voulu comprendre les enjeux qui se cachent derrière la création de « Missions. » Entretien avec Henri Debeurme.
INfluencia : pourquoi ce choix ambitieux de la science-fiction et jusqu’à quel point « Missions » était un pari, notamment économique ?
Henri Debeurme : à Empreinte Digitale, nous aimons aller là où les autres ne vont pas, là où les défis de production sont grands. C’est comme ça qu’est né le projet avec OCS, le diffuseur. Nous cherchions à faire quelque chose que les autres n’avaient pas encore vraiment osé faire et qui nous faisait pourtant rêver. Et la science-fiction, c’est Spielberg, Scott, Kubrick, Lucas, c’est toute notre enfance. On a toujours rêvé de faire « notre » Star Wars, de façon totalement sincère. Alors, quand nous avons senti qu’il y avait une brèche possible chez un diffuseur, nous nous sommes précipités. Mais effectivement, faire une série de science-fiction en français et dans l’économie d’OCS était un énorme pari. Par moments, même, ça aurait pu ressembler à un suicide de production. Les autres références en matière de science-fiction sont des blockbusters à plusieurs dizaines, voire centaines de millions de dollars. Et nous avions 100 fois moins. Nous savions qu’il fallait avant tout être ingénieux, malins, et surtout trouver les professionnels capables de nous accompagner. C’est pourquoi, avant même de « créer » la série, nous avons produit un teaser de faisabilité avec quelques effets spéciaux et quelques images tournées au Maroc, afin de nous convaincre nous-mêmes et le diffuseur que c’était possible. Mais on ne va pas se mentir, il faut être un peu inconscient pour se lancer dans une telle aventure. Nous avons subi les fortes chaleurs dans le désert, la pluie le dernier jours de tournage, les 9 minutes à tourner par jour dans notre Studio TSF La Rochelle, la montée des pentes du Mont-Blanc… A de nombreux moments cela a failli avoir raison de la série, mais la passion et la motivation de l’équipe ont réussi à porter le projet.
IN : est-ce que cette production est rendue possible aujourd’hui par les progrès technologiques de la post-production ?
H.D. : en bonne partie oui. Pour faire une série spatiale convaincante, il faut des effets visuels convaincants. Et aujourd’hui, les outils à notre disposition pour la post-production sont exceptionnels. Ils ont une souplesse, une réactivité et une qualité visuelle fabuleuses. Mais les outils ne sont rien sans les bons artisans ! Donc je dirai que « Missions » est possible grâce à ces outils bien sûr, mais aussi grâce aux artistes qui nous ont accompagnés en post-production. Je pense notamment à toutes les équipes de Reepost, la société qui a supervisé toute la post-production « image » de la série : des VFX aux PAD, en passant par l’étalonnage et le générique. C’est leur implication et leur talent qui a rendu possible la post-prod de « Missions ». Et paradoxalement, nous avons décidé aussi très tôt de ne pas tout miser sur la post-prod, contrairement à certaines super productions. Nous avons voulu marier l’utilisation de dernières technologies, de la Full 3D, à des savoir-faire plus à l’ancienne. Comme les maquettes par exemple. Ou tout simplement l’impression de découvertes de la planète Mars sur des toiles au détriment du fond vert. Nous voulions que les éléments de la série existent le plus réellement possible et s’intègrent naturellement dans leur environnement. Et finalement, une maquette c’est plus que convaincant, puisqu’elle existe vraiment. Faire rouler un vrai petit véhicule sur le sol marocain, c’est moins coûteux et peut être plus payant visuellement. En tout cas dans une économie comme la nôtre, il fallait trouver ce genre de solutions. Cela nous a permis de ne pas submerger la post-prod de plans, et donc par la force des choses, d’accroître la qualité visuelle de nos VFX.
IN : quelle place prend la post-production aujourd’hui dans les productions de fictions ? A-t-elle jamais été aussi cruciale, avec une part importante du budget global qui lui est allouée ?
H.D. : c’est une place fondamentale naturellement. Et je pense qu’elle est en constante augmentation. Les budgets comportent de plus en plus d’effets spéciaux par exemple. Néanmoins, en matière de fiction, et en fiction low cost encore plus, j’ai le sentiment qu’elle demeure encore un parent pauvre. Il n’y a pas encore assez d’argent alloué aux VFX, à la musique, etc… Là où les lourdeurs sont souvent au cours du tournage. Et puis il y a également une réalité purement chronologique : la post-production arrive en fin de course, donc c’est souvent dans ces moments qu’on tente de rattraper les éventuelles lourdeurs ou dépassements du tournage.
IN : est-ce que les logiciels comme par exemple Flame, permettent à la post-production d’influencer dès l’amont le processus d’écriture ?
H.D. : les logiciels en eux-mêmes je ne trouve pas. A aucun moment nous ne pensions à ce genre de logiciels lors de l’écriture. Nous nous efforcions juste de rester cohérents, et de ne pas multiplier les choses. Tout en nous disant que l’informatique allait nous permettre de concrétiser facilement certaines idées. Nous savions par exemple que faire un matte painting en 2D était plus rapide et donc moins coûteux, que de faire une folle quantité de plans en Fulll 3D. Mais c’est aussi un vecteur de créativité. Nous savons que Flame ou d’autres offrent de nombreuses possibilités et que beaucoup d’idées nous sont permises désormais. En écriture, je dirai donc que les logiciels nous permettent à la fois de rêver et de nous rationaliser.
IN : une diffusion de « Missions » aux Etats-Unis est-elle dans les tuyaux ?
H.D. : on va plutôt dire qu’elle est dans les rêves. Nous n’y pensions à aucun moment lors de la création de la série. Nous voulions déjà faire notre série de science-fiction française, avec sincérité et humilité. Donc les USA, c’était plutôt du domaine de l’utopique ou de la blague. Maintenant que la série est sortie et qu’elle connaît un relatif succès, nous espérons qu’un jour, un Américain éclairé s’y intéressera. On sait déjà que Damon Lindelof, président du jury à « Series Mania », a beaucoup apprécié. Damon, si tu nous lis, on est là !