L’aventure commence dans le champ lexical. Qu’est-ce qui différencie exploration, périple, exploit ? Dans les faits, c’est la même chose… une manne pour l’entertainment. Quitte à user pour les promouvoir au mieux de superlatifs, au pire de ruse technologique et mettre sur le même plan traversée de la Seine et celle du Sahara. The show must really go on !
Les caméras sont partout, les angles de vue variés et les images donnent la chair de poule. Lorsqu’il s’agit de grimper une montagne, de traverser un désert ou une forêt vierge, de s’envoyer en l’air en wingsuit, de plonger sous les glaces ou de descendre à ski une paroi abrupte, les aventuriers des temps modernes n’hésitent plus à se mettre en scène pour faire partager leurs exploits au plus grand nombre. Les marins du Vendée Globe ont diffusé chaque jour sur la Toile des images de leur course autour du monde. Mike Horn, dont les exploits ne sont plus à narrer, arrondit ses fins de mois en emmenant des « vedettes » en pleine nature devant les caméras de M6. L’aventure et l’exploration flirtent ainsi dangereusement avec le divertissement. Désormais, les aventuriers sont devenus des acteurs prêts à tout pour contenter le consommateur, les médias et les annonceurs : l’aventure est devenue un show.
La marque de boissons énergisantes Red Bull, qui sponsorise plusieurs centaines de têtes brûlées, a joué un rôle important dans cette « peopolisation » de l’exploration. L’ancien Graal de l’aventure s’est, quant à lui, transformé en une usine à touristes. Au mois de mai 2017, près de 450 alpinistes ont atteint le sommet de l’Everest. « Je pense que mon père serait horrifié de la manière dont les choses ont évolué, expliquait au Guardian Norbu Tenzing, le fils du sherpa Tenzing Norgay, qui a accompagné l’alpiniste et explorateur néo-zélandais Edmund Hillary sur le “toit du monde” en 1953. La façon dont les gens se lançaient dans une aventure, en travaillant ensemble, en faisant quelque chose qui n’avait jamais été fait dans un esprit de camaraderie et d’entraide… tout cela n’existe plus aujourd’hui. » Ce constat, personne ne peut le nier. « “Aventure” et “exploration” sont devenues des termes galvaudés, regrette Grégoire Cheron, le fondateur d’Heliom, une agence de communication spécialisée dans l’exploration et l’aventure qui aide les plus téméraires d’entre nous à faire parler de leurs exploits. Des voyagistes utilisent ces mots pour vendre des périples tout à fait ordinaires. Et avec les petites caméras comme les Go Pro, tout le monde peut se filmer et se prendre pour un aventurier. »
Aventurier ou explorateur ?
Les amateurs de sensations fortes et de terres vierges ont, eux-mêmes, du mal à accorder leurs violons quand on leur demande de définir leur « métier ». « Un aventurier est une personne qui prend des risques, juge Louis-Philippe Loncke, qui est le premier à avoir traversé à pied d’ouest en est le désert de Simpson, en Australie. S’il n’y a pas de risque, il n’y a pas d’aventure… » Grégoire Cheron est un peu plus précis. « L’aventure, c’est quelque chose de personnel, alors que l’exploration apporte une connaissance à la société », juge cet expert, qui compte parmi ses clients le navigateur Fabrice Amadéo, qui a terminé le Vendée Globe 2016-17 à la 11e place. L’aventurier d’aujourd’hui n’a également plus grand-chose à voir avec ses glorieux aïeux. « L’explorateur, au sens noble du terme, était celui qui partait en terre inconnue et se coupait de la civilisation, résume Stéphane Frémond, le fondateur du Festival du film d’aventure de La Rochelle. De nos jours, partir sur une terra incognita devient de plus en plus difficile, mais l’exploration peut aussi être sociétale. Elle peut par exemple s’axer sur l’étude des modes de vie de certaines populations. »
La terre recèle toutefois encore bien des secrets. « L’idée selon laquelle l’homme connaîtrait le moindre recoin de notre planète est erronée, pense le patron d’Heliom. 90 % des océans n’ont pas encore été sondés. » Sur la terre ferme, de nombreux espaces restent vierges. « J’ai calculé que 20 % à 50 % de la surface du globe n’avait toujours pas été explorée, estime Louis-Philippe Loncke. Les Touaregs traversent le Sahara depuis la nuit des temps, mais ils empruntent les voies les plus faciles. Une grande partie de ce désert de 6 000 km de longueur sur 4 000 km de largeur n’a en conséquence jamais été visitée. »
Il existe également de nombreuses façons « d’explorer » une seule et même zone. Atteindre le sommet d’une montagne de plus de 8 000 m seul, sans oxygène et avec un petit sac à dos, n’a pas grand-chose à voir avec une ascension durant laquelle les « alpinistes » sont aidés par des sherpas, qui ont au préalable installé cordes et échelles sur les zones les plus périlleuses. Lorsque Christian Clot a choisi de se rendre seul dans les quatre milieux les plus extrêmes de la planète pour des périples de trente jours, il n’a pas cherché à découvrir des terres vierges, mais à explorer les limites du corps humain et l’impact du froid, de la chaleur et de la fatigue sur son organisme.
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Illustration de Une : Marius Guiet