Il y a quelques jours, Philippe Starck le plus éminent représentant du design hexagonal expliquait que le futur est dématérialisé et donc sans design et sans objet. Cette posture sous-entend que le design n’est qu’en rapport avec l’objet et que seul le design industriel a vocation à être appelé design.
Rappelons que la France forme de nombreux designers dans différentes disciplines tel que le design, le graphisme et le packaging, donc on peut supposer que la dématérialisation reste du domaine de l’utopie. L’être humain s’il se nourrit intellectuellement de données devra vraisemblablement toujours absorber les aliments lui permettant de faire fonctionner son organisme. La relation au visuel ne disparaitra pas car le besoin de représentation est humain et date des peintures préhistoriques.
Le design d’expérience et d’interface, UX/UI dans le jargon du métier fait le lien entre les machines et l’homme. Même si l’homme se dote d’éléments bioniques ou cybernétiques, celui-ci sera toujours confronté à son environnement et notamment aux machines qui l’aident dans ses tâches quotidiennes. Ce métier de la conception ne disparaitra pas dans la décennie à venir.
Nous pouvons également aborder le design de service qui permet de concevoir de nouveaux services en relation avec les besoins fondamentaux de communauté d’utilisateurs et qui permet de faire émerger de nouveaux modèles en s’appuyant sur l’état de l’art en termes de diffusion et d’acceptation des technologies.
Le design qui concerne l’espace de vie est en croissance lorsque les architectes et urbanistes y trouvent un moyen de différenciation et de valorisation de leurs projets. Si le design est un outil, compagnon de l’architecture dans ce cas, il est vraisemblable que le métier perdurera comme l’architecture, nous aurons toujours besoin dans le futur de vivre dans un espace et sur un territoire connu et adapté à nos usages.
Je pourrais également aborder le design d’univers virtuels, combien faut-il de designers pour créer un univers aussi vaste que celui d’un Zelda, Breath of the wild ou les niveaux du dernier opus de Mario ? Au vu de la croissance de l’industrie vidéo-ludique, le game design semble avoir de beaux jours devant lui. Revoyez » Avalon » de Mamoru Oshii ou relisez » La Caste des Méta-barons » de Jodorowsky et Gimenez.
Si nous parlons maintenant du design d’objet ou design industriel, celui-ci va muter notamment grâce à l’émergence des technologies de fabrication de proximité en petite série. Néanmoins même les éléments bioniques de l’être humain devront être conçus et dessinés. La littérature de science-fiction, aujourd’hui principalement distopique, nous montre que l’homme a besoin de repères physiques, sensoriels et émotionnels. La production d’objets manufacturés ne s’arrêtera pas, et parions que nos enfants, demain, devront apprendre à concevoir des objets complexes très tôt dans leur vie.
Pensez-vous que les bibliothèques d’objets modélisés en 3D pour l’impression se conçoivent seuls, que les machines pourront identifier et comprendre les besoins fondamentaux des utilisateurs sans règles, normes et suivi de conception ? Qui dessinera les robots qui nous seconderont demain ? Comment innover sans réfléchir ?
Une compétence clé dans le futur
Bref, le design est loin d’être mort et serait même une compétence clé dans le futur. Mais attention, Philippe Starck a en partie raison, le design tel que lui le pratique est bel et bien enterré (1). La conception basée sur l’intuition et le ressenti d’un seul homme dont l’ego lui fait dire tous les 5 ans qu’après lui le design disparaitra, est un concept révolu. Aujourd’hui, la place est à une autre forme d’accompagnement à la conception utile, intelligente harmonieuse, collaborative.
Oui, le design de signature, personnifié est mort. Qui peut croire aujourd’hui que le designer est seul responsable de la conception d’un objet si peu complexe soit-il technologiquement ? Les hommes et les femmes qui conçoivent, développent, fabriquent les objets, espaces, univers virtuels de demain travaillent en équipe, le designer n’est qu’un des outils de la chaîne de conception, indispensable mais lié aux autres disciplines de manière évidente.
Non, Monsieur Starck, le design n’est pas mort, il s’intègre à la société et reste un des plus beaux métiers du monde, permettant de prendre le temps de réfléchir à notre futur de manière collective en impliquant l’ensemble des parties prenantes. Lorsque les médias auront compris que le sujet du design n’est pas le designer-artiste qui s’exprime par le dessin mais bien le design-manager qui partage le dessein de la société, nous aurons fait un grand pas vers la compréhension du futur.
(1) Le Figaro 13/10
Photo de Une : La Caste des Méta-Barons