Les installations de BETC et Fred & Farid à Los Angeles ont sûrement achevé de convaincre les derniers irréductibles de l’avènement de l’entertainment publicitaire. INfluencia a consacré une Revue au phénomène. Nous prolongeons la conversation avec Bertrand Nadeau, DG de Fuse.
Puisqu’on assiste au triomphe absolu de la société de séduction, comme le pense l’essayiste Gilles Lipovetsky, le nouveau capitalisme produit une profusion de biens culturels qui sont essentiellement des produits récréatifs de masse. Ce capitalisme culturel est centré sur les marchés de l’expérience, dont évidemment le brand content fait partie. L’ère du divertissement publicitaire n’en est qu’à ses débuts et c’est toute une industrie qui doit se mettre à la page. Le digital impose de donner envie, les réseaux sociaux encore plus. Sur Facebook, l’internaute zappe après 3 secondes, en moyenne. Autant dire qu’il faut connaitre les bons codes et les appliquer dès la première seconde.
» Le SOAP était déjà né de la même ambition : proposer un contenu qui allait divertir des audiences et donner l’occasion d’y diffuser sa publicité. La différence est qu’aujourd’hui il faut tout faire en un, sur des écrans parfois très petits et pour des publics ultra volatiles en attention « , constate Bertrand Nadeau, directeur général de Fuse, le département contenus et expériences de marque d’Omnicom Media Group. Pour prolonger la Revue INfluencia consacrée à l’entertainment, INfluencia a interrogé l’ancien directeur délégué de TF1 Publicité 361.
IN : le divertissement, toutes les marques en parlent mais finalement peu d’agences savent vraiment bien le faire. Est-ce que la demande d’entertainment n’aveugle pas le marché sur la réalité d’un savoir-faire précis qui n’est pas encore dans l’ADN des agences ?
Bertrand Nadeau : je ne sais pas si peu d’agences savent vraiment bien faire de l’entertainment, ça dépend ce que l’on met derrière ce mot, je pense. L’entertainement est une somme de compétences diverses qui vont de l’écriture à la réalisation, en passant par la production et la diffusion. Alors bien évidement toutes les agences ne sont pas équipées sur tous ces points et nous pensons qu’il est plus simple d’aller sourcer certains spécialistes en fonction de chaque projet. Mais c’est aussi pour cela que nous pensons qu’une proposition de valeur de brand entertainment au sein d’un groupe d’agences média fait sens : car si nous apprenons à maîtriser ou à nous entourer pour l’écriture et la réalisation, nous saurons plus que d’autres amplifier et faire connaitre ces contenus. En quelque sorte, c’est une économie des moyens similaires au cinéma : un producteur source une histoire et un réalisateur… et confie à un studio sa distribution. Il se trouve que sur ce métier nous sommes à la fois producteur et distributeur. Si nous partons du principe que l’entertainment est un contenu divertissant alors on peut avoir l’impression qu’il y a un manque de savoir faire. Mais je pense surtout que le contenu divertissant pour et par une marque est un exercice très complexe. Car il faut ajouter aux savoir faire » traditionnels » du divertissement ceux de la compréhension d’un ADN de marque, d’un discours produit et même parfois d’un objectif de concrétisation. Finalement à quelle fiction ou série demande-t-on autant? Intéresser, plaire, engager, passer des messages…et faire acheter ?
IN : quoi du brand content ou du divertissement a épousé l’autre dans ce mariage si naturel mais pourtant encore si compliqué ?
B.N. : encore une fois, je ne sais pas si ce mariage est compliqué. J’ai, en tout cas, l’impression que le brand content s’inspire constamment de l’entertainment, qu’il s’agisse de l’entertainement qui vient des médias ou des makers et influenceurs. Une inspiration nécessaire, qui permet d’être au plus proche de ce que les audiences consomment et attendent. Pour Renault par exemple, nous avons récemment imaginé pour le lancement d’Alaskan, le 1er pick up de la marque, une émission d’aventure avec les équipes de RMC Découverte. Elle met à l’épreuve le véhicule dans différents défis que réalisent des participants comme Bruno Solo ou Sonia Roland. On est dans ce croisement du brand content et de l’entertainment. On a besoin de parler des qualités de la voiture mais on veut le faire en divertissant notre audience pour que celle-ci ait envie de regarder. En digital, on n’impose aucun contenu, on le propose. Après, il est possible que le brand content inspire l’entertainment, mais il faut reconnaître que cela doit encore être rare.
IN : qu’est-ce qui manque à l’entertainment pour convaincre les annonceurs hésitants, qui ont peur de se perdre dans un trou noir ?
B.N. : selon moi, deux choses, de la confiance et du rationnel. Du rationnel car nos interlocuteurs ont besoin de rationaliser leurs décisions, les justifier aussi que ce soit auprès de leurs supérieurs ou leurs collègues, mais aussi leurs clients. On essaye parfois encore trop de vendre ces opérations comme des compléments à une prise de parole plus » classique « . Mais ce n’est pas cela. C’est vital tout simplement pour parler à certaines audiences comme les millennials ou tout simplement pour renouveler son discours publicitaire. C’est aussi capital pour exister dans un monde d’adblocking croissant ou seuls les contenus de marque non assimilés à de la pub peuvent survivre. Sur l’influence marketing, qui est en train de devenir un sujet majeur du brand entertainement, c’est la même chose. Il manque cruellement de rationnel afin de mieux décider avec qui on associe son image ou son produit. Il manque également la confiance car bien souvent l’autre frein pour aller vers ces opérations peut venir de la complexité que cela va engendrer pour le client. Il y a comme une espèce de loi de Murphy sur ces opérations. Il faut donc être accompagné par des interlocuteurs qui maîtrisent, rassurent et surtout guident le client. Pour moi, il existe une phrase qui peut être une bonne réponse à ces annonceurs : » If you do what you always did you will get what you always got « .
IN : l’économie de l’attention ne force t-elle pas les médias à divertir sans pour autant éveiller ?
B.N. : non et les nouvelles écritures nous le prouvent. L’exemple de Brut est intéressant. On parle souvent d’infotainment de manière péjorative mais ce mot ne me dérange pas forcément. Si l’on arrive à divertir et informer en même temps ou inversement, pourquoi pas. Car encore une fois, le secret réside dans l’écriture et la production.
IN : la société de l’entertainment telle qu’elle se dessine n’est donc pas dangereuse selon vous ? Vous ne pensez pas qu’elle est en train d’abrutir la masse ?
B.N. : je pense que cette société de l’entertainment n’abrutit pas la masse. Les contenus sont de plus en plus segmentés, de plus en plus spécialisés. Si on est passionnés, curieux, qu’on a envie d’apprendre, on n’a jamais eu en face de soi une telle quantité d’informations et de contenus utiles.
Photo de Une : Josh Marshall