28 novembre 2017

Temps de lecture : 5 min

Après l’open web, l’avènement d’une Crypto-Culture ?

Qui es-tu vraiment internet ? Eldorado, gendre idéal, œil de Moscou... La question n'a pas finis d'agiter nos neurones et on se demande encore comment dompter la bête. Eléments de réponse.

Qui es-tu vraiment internet ? Eldorado, gendre idéal, œil de Moscou… La question n’a pas finis d’agiter nos neurones et on se demande encore comment dompter la bête. Eléments de réponse.

Comment le web, vecteur d’émancipation, a-t-il pu devenir cet outil de surveillance, véritable dispositif de trackage des internautes et de leurs données ? De facto, les usagers sont devenus méfiants, plus soucieux de préserver leur intimité aux yeux de tous. Terminée, l’ère du #nofilter ? La réalité s’avère bien plus subtile et complexe. Retour sur une chronologie riche en rebondissements … et en interrogations quant aux parades envisageables.

L’ère de la méga surveillance ?

À ses débuts, internet était perçu comme un facteur de liberté, notamment en révolutionnant la communication et la circulation des informations ; c’était avant 2013 et l’affaire Snowden, qui a vu éclater au grand jour la logique de surveillance mondiale qui régit la toile mais aussi les mobiles et autres moyens de communication, principalement par la NSA. Ce scandale a déclenché une véritable prise de conscience à l’échelle internationale. Pour autant, cette dernière a-t-elle occasionné une quelconque modification en termes d’encadrement et de pratique ?

Certes les lois sur la protection des données se sont multipliées, doublées d’un renforcement des droits individuels, en Europe par exemple avec le règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) applicable en mai 2018. A cela s’ajoutent des initiatives qui promettent plus de clarté sur les usages ; de plus en plus d’entreprises américaines telles que Google, Facebook et Airbnb dévoilent via leurs « Rapports de transparence » le nombre de requêtes de données d’utilisateurs et parfois l’autorité dont elles émanent. Mais tout n’est pas renseigné, loin de là : le gouvernement américain interdit de communiquer sur ce qui relève du Patriot Act ou du Foreign Intelligence Surveillance act, ainsi tout ce qui relève de l’espionnage ou du terrorisme.

Ne soyons pas naïfs : les données personnelles constituent le socle du modèle économique des géants du web. Comme l’explique Tristant Nitot, ancien président de Mozilla Europe et membre du comité de prospective de la CNIL dans un entretien au journal Le Figaro, « utiliser Internet, c’est accepter une forme de surveillance ». Une forme de surveillance qui ne peut que s’accentuer au fil des années, spécialement en raison de nos modes de vie toujours plus connectés et de la croissance exponentielle de l’IOT (Internet of things). L’institut Gfk table d’ailleurs sur une explosion des ventes dans ce domaine précis ; d’après les estimations du cabinet d’études, il devrait s’en écouler 2 milliards rien qu’en France entre 2015 et 2020. Si à l’origine les informations récoltées l’étaient principalement à des fins marketing, pour proposer des publicités par exemple, aujourd’hui ce sont bien d’autres domaines qui sont concernés.

Le paradoxe des internautes

Et l’internaute dans tout ça ? Le 5ème baromètre de la confiance des français dans le numérique a révélé que les utilisateurs français n’ont, à une écrasante majorité, aucune confiance dans les réseaux sociaux… mais ils continuent néanmoins à les utiliser massivement. Cela ne signifie pas pour autant que la plupart des consommateurs demeurent passifs ; bien au contraire, ils adoptent ce qu’on pourrait appeler de nouveaux comportements, qui ne garantissent certes pas la sécurité de leurs données, mais témoignent d’une volonté de se faire plus discret. Vous connaissez l’adage : « pour vivre heureux, vivons cachés » … le mouvement relève de cette logique, avec une chronologie précise.

Il y a tout d’abord eu un basculement vers des réseaux dits éphémères, où nos photos n’étaient soi disant pas stockées et la publicité n’existait pas – on parle d’un temps révolu – j’ai nommé la plateforme Snapchat. Puis on a observé une deuxième vague plus conséquente vers ce qu’on appelle le « dark social », expression qui désigne les partages et autres interactions non visibles par les marques et créateurs de contenus, via des messageries privées tels que Whatsapp ou Messenger.

En parallèle est apparu le phénomène de « social cooling », au demeurant très bien expliqué dans l’article de Catherine Cervoni : l’internaute, conscient de cette surveillance et de l’utilisation de ses données, modifie son comportement afin de « donner une image positive de lui, lisse et « politiquement correcte ». Cela comporte évidemment des risques que met en exergue la spécialiste des RP, à savoir créer une « société ou l’autocensure et la peur du risque sont la nouvelle norme. »

Tous sur TOR ?

L’ironie, c’est qu’il suffirait tout simplement d’éduquer les internautes à utiliser les plateformes de manière plus éclairée. Dans un premier temps, il conviendrait d’expliquer comment contrôler davantage ce que tous partagent via browser, apps ou réseaux sociaux : les fameux paramètres de confidentialité ! De même il faudrait sensibiliser le public à ces réflexes censés améliorer la protection de la vie privée, jusqu’alors réservés aux initiés, ainsi utiliser un service d’authentification à deux facteurs ou chiffrer son disque dur.

Dans un deuxième temps et de manière plus radicale se pose la question de la généralisation de services tels que TOR, outil de navigation anonyme. Jusqu’à présent le « dark net » n’avait pas toujours bonne réputation, de par la fréquentation de hackers, pédophiles, dealers de drogue, terroristes et autres criminels ; il faudrait dépasser ce cliché réducteur. Comme le rapporte le média Wired, « nous ne pouvons pas laisser le dark net donner une mauvais réputation à l’anonymat en ligne » car « c’est une minuscule enclave où les vraies promesses de l’internet – liberté, anonymat, vie privée – sont pour la plupart encore intactes. » Et il y a sans doute là une opportunité à saisir.

C’est ce que semble avoir compris le New-York Times qui a annoncé début novembre tester désormais un site en .onion, accessible via TOR, un routeur conçu pour aller sur le dark web. Le NYT souhaite ainsi contourner la censure dans des pays qui bloquent l’accès à certains médias comme la Chine mais également s’adresser à ces internautes qui privilégient l’anonymat sur le web. Si le choix du NYT interpelle, c’est aussi en termes de démocratisation de l’usage, le média new-yorkais étant réputé pour ses choix avant-gardistes qui définissent bien souvent les tendances de demain.

Le dark web, tant qu’il est sombre …

Toujours selon Wired, et les propos de Jamie Bartlett, Directeur du Centre pour l’analyse des réseaux sociaux « le dark net ne restera pas sombre longtemps » car il offre des atouts intéressants en terme de sécurité, de liberté et de créativité. Devant la demande accrue d’accès sécurisé à Internet et de préservation de la vie privée des utilisateurs, bientôt « de grandes entreprises, des médias, les sociétés Internet – et puis nous tous – rejoindront le réseau noir. D’ici cinq ans, vous pourrez choisir d’accéder à vos marques préférées sur le dark net ou sur le réseau normal. »

L’article conclut cependant à juste titre : « Ensuite, la loi de Metcalfe entre en jeu : plus il y a de gens sur un réseau, plus il devient intéressant pour les autres, jusqu’ à ce que tout le monde ait adhéré. Et quand tout le monde est sur dark net, ce n’est plus une partie cachée, c’est juste le web. »

Photo de Une : Bilguun Bat-Urnult

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