Hypothèse : les Français sont plus exposés à la publicité qu’à la littérature. Conclusion : les marques sont responsables du malaise dans la langue ? La démonstration mathématique de ce problème linguistique demande quelques nuances. Peut-on décemment mettre les publicitaires, concepteurs, nos acteurs culturels contemporains, sur le banc des accusés du » mal parler » français ?
Deux jeunes femmes discutent dans la piscine, alanguies sur leurs bouées gonflables. L’une d’elles sirote une citronnade, au cœur d’un décor où tout pousse au carpe diem.
« - Hummm ! Super bonne, ta citronnade !
– Meeerci ! C’est moi qui l’ai pas faite… », ainsi Pulco débute-t-il son ode à la paresse. Comme un cri venu des profondeurs de la flemme, la faute de syntaxe s’élève, majestueuse et indolente, avant de retomber, flasque et entêtante, s’installant durablement dans le cerveau de l’auditeur.
Un faux problème ?
Mais enfin, s’il est toujours délicat d’estimer combien de ventes additionnelles peuvent être attribuées à une campagne de communication, comment peut-on imaginer quantifier le nombre de destins de grammairiens à tout jamais perdus par la faute de Pulco ? Impossible. Absurde même. Ce serait aussi fou de croire en une quelconque influence de la publicité sur la langue que de croire que le slogan anglais d’Air France (“France is in the air”) fera progresser les Français dans leur pratique des langues étrangères ; tout au plus l’anglicisme aura-t-il le rôle d’une incitation au voyage. Qui ne le traduirait ? Qui ne saurait lire sur cette affiche de trois mètres sur quatre son pendant français inscrit en corps 10, signalé par un astérisque lui-même bien pâle ? Alors, comment quantifier la responsabilité de concepteurs-rédacteurs peu scrupuleux dans la pratique imparfaite de la langue française ?
Ainsi, les marques, plus diffuses dans la société, portent moins d’expressions. La variété de leurs messages est telle que peu de baselines sont désormais connues de tous. Pulco, et sa paresse qui aurait du bon, demeure une exception notable, digne héritière de Tropico et des délires publicitaires qui ont bercé l’enfance de tous les millennials. Cependant, l’influence actuelle des publicités sur la culture reste certaine, et comme les marques continuent toujours de préférer l’esthétique d’une formule bien sonnante et entêtante au détriment du sens, leur incalculable impact sur les évolutions de la langue française reste bien le même ! Au langage des mots a succédé celui des formes et des esthétiques. Qui ne connaît la communication d’Innocent ? Craie blanche, police adoucie, textes très gentils, et surtout beaucoup de fruits… Mais qui peut dire aujourd’hui quel est le slogan de cette marque ? La publicité a ainsi évolué, plus visuelle, plus éphémère et moins sonore. Suivant l’évolution du monde depuis la révolution digitale, elle s’y est très vite adaptée, quitte à parfois atténuer son influence sur le langage parlé.
Les variables non maîtrisées sont nombreuses, il faut bien l’avouer. Facteurs culturels, nouvelles technologies, méthodes d’éducation, jeux vidéo, publicité, chacun peut bien trouver son bouc émissaire où il le souhaite… La langue bouge, la langue vit. Et le parler avec. Chaque élément de ce parler nouvellement créé constitue une part de culture. Les Français en sont friands, décidément.
Le reflet de l’évolution du monde
L’arrivée tonitruante des marques dans la culture dans les années 1960 s’est suivie d’un juste retour des choses. Les marques ont influencé la culture, et sont à leur tour devenues objets culturels, signifiants forts d’une époque. Mais ça, c’était avant, me répondra-t-on. Les marques d’aujourd’hui communiquent autant par l’image que par le texte. Les films publicitaires peuvent devenir œuvres artistiques, comme ce fut le cas pour le court-métrage L’Amour (Intermarché), ou plus anciennement La Panthère (Cartier). Mais ces têtes d’affiche ne sont pas égoïstes. Leurs messages ne subiront que peu de répétitions lourdes, coûts médias obligent. Alors, quand la cible est mouvante et cherche de surcroît à éviter les messages, l’enjeu devient le réseau social, et par lui l’écran le plus difficile à adresser : le téléphone portable.
Article tiré de la nouvelle revue INfluencia sur les Français. Découvrez sa version digitale
Photo de Une : Brandon Morgan