Le besoin d’authenticité est le thème du quatrième opus de la collection de livres de « Françaises, Français, etc… », co-produit par 366 et Kantar Public. Quatre grandes tendances et plusieurs sous-tendances y sont analysées et seront publiées en exclusivité chaque semaine par INfluencia. Cette semaine : le local pour reprendre pied dans un monde globalisé.
Crises climatiques, crises migratoires, guerres, terrorisme… Le monde est de plus en plus anxiogène… Les attentes des Français exprimées dans notre sondage sont ainsi particulièrement révélatrices d’un hiatus grandissant entre le monde tel qu’il est et celui que l’on voudrait qu’il soit. Pour nos compatriotes, un monde meilleur serait en effet un monde “ plus solidaire et bienveillant ” (71 %), un monde “ plus authentique, écologique et harmonieux ” (55 %) et un monde “ plus sûr ” (50 %).
Dit autrement, c’est un miroir inversé du monde disharmonieux, inégalitaire et agressif que l’on semble bien trop souvent avoir sous les yeux. La solution alors, plutôt que de changer le monde par le haut (ce qui semble de moins en moins possible), est de tenter de le faire par le bas, pour soi, chez soi et autour de soi. En essayant précisément de créer et générer de l’authenticité, de l’harmonie, de l’écologie, de la solidarité dans sa vie et sur son territoire, en d’autres termes d’expérimenter des solutions locales contre un global qui nous laisse impuissants et désarmés. L’authenticité est bien alors un besoin positif pour ici, une quête qui s’ancre et s’enracine dans un territoire, dans mon territoire.
“ La nation est un plébiscite de tous les jours ”, construite dans le temps sur le fait “ d’avoir fait de grandes choses ensemble et de vouloir en faire encore ”, disait Ernest Renan à la fin du XIXe siècle. À l’évidence aujourd’hui, une part importante de la population en Catalogne n’a plus envie de dire oui. Quoi qu’on en pense sur le fond, la crise catalane fait soudainement exploser à la figure de l’Europe entière la crise de l’État-nation. Les aspirations indépendantistes et séparatistes qui la parcourent de l’Écosse à la Lombardie, des Balkans au Pays basque ne sont que les secousses d’une tectonique des territoires, profondément bouleversée par la mondialisation. On se cherche de nouvelles identités locales, régionales, plus vraies, plus authentiques, face à une mondialisation qui semble uniformisée et un État-nation qui paraît de plus en plus dépassé et inefficace, dépossédé de sa souveraineté.
De nouvelles identités locales, régionales, plus vraies, plus authentiques
Longtemps on a pu croire et redouter que la globalisation finirait à force de standardisation par ne créer que des espaces vides de sens et d’identité, où l’individu aliénerait son rapport à la vérité des lieux. Des sortes de “ non-lieux ” au sein d’un village global et globalisé. Or, comme le montre magistralement le géographe Michel Lussault dans son dernier ouvrage » Hyper-lieux « , les nouvelles géographies de la mondialisation, la réalité est bien plus complexe et la dialectique tout autre. Car il ne s’agit pas, “ d’opposer l’uniformisation à la localisation, mais de les mettre en tension ” pour comprendre qu’elles ne sont que les facettes d’un même phénomène. La mondialisation produit du générique, diffuse partout des genres de vie et d’espaces standards et en même temps recrée de la localisation et ressuscite partout des différenciations.
Ainsi, le monde est à la fois toujours plus globalisé et homogène et de plus en plus localisé et hétérogène. Le village est bien global (“ nous tenons avec notre smartphone le monde en main ”, comme le dit le philosophe Michel Serres), mais ni uniforme ni standardisé. Il se restructure au contraire en quartiers, en “ hyper-lieux ” note Michel Lussault, connectés et reliés entre eux, mais chacun territorialisé, projetant une identité distincte et s’offrant comme espace privilégié de sociabilité pour les individus. Ainsi, le territoire n’est, pour paraphraser Coluche, “ ni pour, ni contre ” la mondialisation, “ bien au contraire ” : il est dedans. Il s’offre comme espace approprié pour les individus, c’est-à-dire à la fois comme espace propre à soi et comme espace propice à profiter du monde. Car la mondialisation permet au fond aux individus de jouir de trois choses, explique encore Lussault :
• Un ancrage dans des lieux où l’on peut s’arrêter, se poser, “ reprendre pied ” au sens premier du terme (et on en a besoin), mais desquels on peut aussi repartir.
• Un mouvement, des mobilités aujourd’hui perçues autant comme un désir que comme un droit.
• Enfin, des communications, des connexions, réelles et numériques, au vaste monde.
Et l’individu moderne est à l’image de cette nouvelle spatialité, à la fois mondialisée et locale, virtuellement globalisée et authentiquement territoriale. Il peut courir les AMAP, participer à des ruches, passer ses week-ends dans les vide-greniers pour recycler et… s’envoler chaque weekend en low cost à la découverte des capitales européennes. Il peut être furieusement locavore, manger scrupuleusement cinq fruits et légumes bio par jour ou même être végan… mais aussi faire la queue des heures pour être parmi les premiers à posséder le dernier-né de la gamme d’Apple.
Évidemment, il demeure des espaces peu ou pas “ appropriés ” à la mondialisation, où un certain nombre de nos concitoyens peuvent avoir l’impression de ne pas jouir de ces trois capacités en même temps et se sentir dès lors piégés dans des trappes territoriales, des lieux contraints de “ racinement ” que leurs habitants finissent par détester tant ils ont le sentiment d’être contraints d’y rester en subissant le déclin. Ce sont alors des territoires de frustration, ceux de la France périphérique décrits par le géographe Christophe Guilluy, ceux de la Rust Belt aux États-Unis, où croissent en conséquence les radicalités politiques.
L’échelon local, le plus pertinent pour agir ?
Pour autant et si l’on en juge l’augmentation constante des flux commerciaux, financiers, ou de données, l’heure n’est pas et ne peut être à la “ démondialisation ”. Parce qu’il paraît bien difficile de revenir sur cette interdépendance croissante. En revanche, elle est peut-être bien, avec l’irruption du territoire comme acteur à la fois global et local, à la “ déstandardisation ” et différenciation. Tout en étant en prise avec la mondialisation, le territoire vient offrir une identité positive, un “ cadre intégrateur ”. Il est alors l’échelle spatiale à partir de laquelle on a encore le sentiment de pouvoir agir, dans un monde apparaissant de plus en plus incontrôlé et incontrôlable. C’est bien à ce niveau que l’on peut avoir le sentiment de pouvoir encore modifier le cours des choses. Écoquartiers, végétalisation, promotion de l’agriculture locale et des commerces de proximité, aménagement urbain privilégiant les mobilités douces, engagements associatifs : les territoires sont un laboratoire d’innovations où peut se concrétiser l’attente de plus d’authenticité, d’harmonie et de solidarité.
“ Et si le territoire, la ville étaient les échelons les plus efficaces pour régler les problèmes des gens ? Et si la démocratie locale constituait notre plus grand espoir ? ” se demande ainsi le politologue américain, professeur à l’Université de New York, Benjamin Barber dans son dernier ouvrage. Constatant lui aussi que l’État-nation apparaît paralysé et impuissant face aux grands problèmes du monde, l’auteur démontre que les maires font “ un meilleur job ”, que les villes s’appuient sur un pragmatisme, une confiance des citoyens, un goût pour le travail en réseau, une créativité et une capacité d’innovation qui les rendent désormais bien plus efficaces. Réunis tout récemment à Paris, les maires de villes du monde entier, fédérés au sein de l’association C40, se sont aussi persuadés et ont affiché leur ambition collective d’être par leurs politiques locales à l’avant-garde de la lutte contre le réchauffement climatique. Et il serait faux de penser que cette force d’innovation et d’engagement n’est que l’apanage des “ villes monde ” et des grandes métropoles. Elle nourrit et féconde aussi les campagnes et les petits villages.
“ Ungersheim était jusqu’à présent ce petit village qui montrait la voie à suivre à ses voisins haut-rhinois. Le voilà érigé en modèle pour la France entière ” écrit ainsi L’Alsace fin 2016 pour présenter la sortie du documentaire de Marie-Monique Robin (la célèbre auteure de « Le monde selon Monsanto ») “ Qu’est-ce qu’on attend ? ”, consacré à cette petite commune d’un peu plus de 2 000 habitants, innovante et exemplaire en matière de transition écologique. Exploitation maraîchère bio en chantier d’insertion, cantine 100 % bio pour les écoles, plus grande centrale solaire d’Alsace, cheval cantonnier qui emmène les enfants à l’école remplaçant le car scolaire, écohameau, démocratie participative… Ungersheim met en place et expérimente toute une série de solutions, cohérentes entre elles, pour bâtir, avec tous ses habitants, un écosystème plus sain et plus harmonieux, en un mot, plus authentique.
On le voit, dans un double mouvement d’extension des domaines de la mondialisation et d’affaiblissement de l’État-nation, le territoire local, communal, régional se construit à la fois comme cadre identitaire positif pour les individus et comme échelle pragmatique de définition et d’expérimentation de nouvelles solutions pour réparer le monde et en modifier le cours. Il est donc bien le lieu essentiel et emblématique au sein duquel, en tant qu’individu, je peux exercer au quotidien ma quête d’authenticité, ma quête du Vrai.