Sincère, gratuite, vivante et sans ego, la conversation est un patrimoine culturel chargé de valeurs propres pour toutes les sociétés dignes de ce nom. N’est-il pas logique alors que cette displine, à la fois art et bien commun, s’inscrive à l’UNESCO ? Une initiative essentielle pour le fondateur du Festival des Conversations, fervent militant.
Le 16 avril 2018, lors de la 6ème édition du Festival des Conversations, Guillaume Villemot, son fondateur, et auteur de « Osez les conversations » a annoncé publiquement son intention de faire en sorte d’inscrire « l’Art des Conversations » au Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO. Dans une tribune servant d’appel à signatures pour porter ce projet, il précise : « en faisant des conversations, un art inscrit au fronton du temple de la culture mondiale, nous faisons reconnaître à la fois leurs utilités et bienfaits et l’importance capitale de les protéger ». Un bien culturel selon lui « nécessaire au fonctionnement de la démocratie ».
La conversation au coeur des préoccupations
Le Festival des Conversations, est une initiative conversationnelle qui propose depuis 2012 des rencontres/échanges/colloques/conférences, bref un lieu ou l’art de converser est célébré, questionné et revu par autant d’artistes, littéraires, activistes et grands défenseurs de ce bien commun qu’est la conversation. Lors de l’une de ces rencontres au 3 quai Malaquai, lieu polymorphe pour « developper les biens urbains, communs », ouvert et non lucratif, nous avons eu l’occasion de revisiter la conversation comme bien commun. Des intervenants de tous bords ont ainsi pu exprimer leur vision de cette « science non-exacte », et s’essayer à mieux définir le champ sémantique de la « conversation », d’en explorer les fondements et limites.
Car en effet, comment faire le distinguo entre le débat, la discussion, le bavardage ? Ces formes d’échange sont-elles toutes des conversations ? C’est quoi au juste la conversation ? Les frontières sont poreuses mais si on admet généralement que le débat penche souvent vers l’opposition et que les bavardages « souvent vides, meublent néanmmoins le silence » comme l’explique Guillaume Villemot, la conversation semble être un art bien différent. Une chose nous met tous d’accord : la conversation nécessite une vraie sincérité. Elle appartient à tous et devient ce que l’on en fait. Elle constitue aussi ce que nous sommes : des animaux épris de sociabilité. Et puisqu’elle se doit sincère, elle se doit d’être ahiérarchique. Selon Thierry Lepaon, passionnée de langue française et engagé dans la lutte contre l’illettrisme « on ne peut pas vivre en société sans communication, on a un besoin urgent de réapprendre l’envie d’échanger, de s’écouter et de changer d’opinion ». Et pourtant pas si simple…car selon Emmanuel Godo, fada de littérature et professeur à la Sorbonne, « la conversation implique un ludisme, une forme d’esthétisme, pas simplement parce qu’on est dans la réthorique mais parce qu’on laisse aussi un espace de jeu, de bonheur, propice au plaisir et on est pas que dans l’échange ».
La conversation, une histoire
L’art de converser c’est bien toute une histoire. Bien que nous conversions tous en société -peu importe la richesse du vocabulaire-, la conversation comme la littérature est un art aristocratique d’origine. « Ce qui a été théorisé au cours des siècles à toujours été élitiste pour ne pas en faire qu’une matière à échanges mais bien la magnifier », détaille Emmanuel Godo. Et ces principes sur lesquels nous avons pensé la conversation sont toujours d’actualité : échange, gratuité, patrimoine, porteur d’une civilisation, moment de vie etc. Une histoire donc, qui se nourrit et s’enrichit des peuples et de leur construction sociale, mais qui doit surtout être entretenue. Comme expliqué dans un hors série en collaboration avec Entrecom sur La Conversation, « dans notre société, il faut y mettre du sien pour que la conversation fonctionne, chacun y tenant une place bien spécifique qui le fait exister parmi les autres ». Le philosophe François Flahault poursuit alors : « dans le contexte démocratique de la conversation, cela pose la question de l’écoute. Il s’agit également d’apprendre à éprouver un intérêt pour la personne qui parle. Pour ce qu’elle dit, mais aussi pour ce qu’elle est ».
Et si la conversation règne dans le monde entier, il semblerait que la France comme beaucoup de pays latins portent la conversation en étendard comme l’une de ses valeurs premières. Nos villes sont reconnaissables à leurs lieux propices à la rencontre notamment dans leur disposition urbaine. Cafés, librairies, lieux culturels et désormais espaces de coworking fleurissent partout sur le territoire. Pourtant, la solitude est encore un sujet qui touche plus de 5 millions de Français (Etude Crédoc pour la Fondation de France), soit 1 million de plus qu’en 2010. Une situation inacceptable dans une société démocratique ou parole et échange sont piliers.
La conversation, un art vivant, modulable
« À Grigny, 66% des enfants vivent sous le seuil de pauvreté, et 40% des jeunes sont au chômage. Pour autant la conversation est la clé de tout. Ces territoires pauvres en langue sont aussi fabricants de mots et sont ainsi extrêmement vivants », nous raconte Phillipe Rio, Maire de la ville de Grigny, ville au 89 nationalités. L’art de la conversation est donc un bien vivant. Il ne cesse de s’enrichir de nouvelles formes de conversations chargées de codes et symboles propres à l’ère du 21ème siècle : le digital, le mobile, l’utile et le pratique, coupant parfois l’herbe sous le pied au temps, à la rencontre physique et à la spontanéité, mais enrichissant en même temps les mots et leur apportant de nouvelles émotions. « La conversation est aujourd’hui parfois plus lapidaire et injurieuse mais n’est ce pas peut-être aussi une déclaration d’amour 3.0. ? », interroge Pascal Dibie, Ethnologue.
Après tout, la conversation s’adapte et se transforme. Dans certaines sociétés, les langages du corps font partie de la conversation (rots, pets et autres onomatopées corporelles), tandis que dans d’autres, rôles genrés s’inversent dans les discussions comme les Kalashs en Afghanistan. Peu importe ses formes et tournures, la conversation est un bien commun essentiel et fondateur de toute société. Il constitue un trésor national culturel que les citoyens se doivent d’entretenir pour former une nation. Alors pour la beauté des mots, des échanges et du partage, nous espérons que la conversation portera bientôt un grand C et sera reconnue officiellement par les autorités.
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Illustration de couverture par Juliette Léveillé