Pour cette 71ème édition, le Festival International du Film de Cannes a choisi tout bonnement de recaler l’ensemble des productions Netflix de sa sélection. Pour quelles raisons et surtout qu’elles conséquences pour l’avenir du géant des VOD ?
« Qui laisse mourir les traditions meurt avec elles ». Pour sa 71ème édition, le Festival International du Film a choisi de réaffirmer son identité au nom d’une histoire vieille de plus de 70 ans. En bref, l’interdiction pour Netflix d’y présenter ses films en vertu d’une règle ancestrale qui stipule que tous les films sélectionnés doivent être distribués dans les salles françaises. Un comble quand on observe l’influence grandissante de l’entreprise américaine sur l’ensemble du paysage culturel mondial.
Nous vous en parlions déjà le 14 mai dernier à propos des selfies, le changement 100% tech à Cannes, ce n’est pas pour maintenant. La raison de cette prise de position statutaire ? Dans une société où les nouvelles pratiques médiatiques sont légions, il semble primordial de ne pas renier ses valeurs au nom d’une course à la modernité irréfléchie. Grosso modo, dis moi d’où tu viens, je te dirai qui tu es.
Netflix et le FIF : je t’aime moi non plus
Vécue comme un tremblement de terre, il était du devoir de Thierry Frémaux et Pierre Lescure, respectivement le délégué général et le président du Festival, d’expliquer leur démarche. Ce fut chose faite le 12 avril dernier, lors de la présentation de la sélection officielle à l’UGC Normandie des Champs-Elysées. L’occasion pour eux de tenter d’enterrer une hache de guerre que les médias avaient bien volontiers déterrée.
« L’année dernière, on a voulu témoigner de ces nouveaux entrants dans l’industrie cinématographique en sélectionnant deux films Netflix. Cela nous a valu beaucoup de critiques, exactement comme notre annonce de les refuser cette année. Cependant, même si certains d’entre vous auront du mal à le croire, nous avons un dialogue construit et cordial avec les représentants de Netflix. Nous avons en face de nous des personnes qui aiment le cinéma mais qui n’ont tout simplement pas le même point de vue philosophique que le nôtre », souligne Thierry Frémaux. De son côté, Pierre Lescure renchérit : « Le débat continue. De toute façon, quand on cherche à se développer dans le cinéma, on ne peut pas claquer la porte du Festival de Cannes ».
Coup de bluff ou coup de sang ?
Et c’est justement là que le bât blesse. Pouvons-nous encore affirmer, en 2018, que le Festival de Cannes représente une condition sine qua non pour faire son trou dans l’univers cinématographique ? Au premier coup d’oeil, cette déclaration de l’ancien nabab de Canal+ semble anodine, mais elle en dit long sur le choc générationnel vécu par les principaux acteurs de cette industrie. Plus que de proférer des menaces, Pierre Lescure, et c’est tout à son honneur, semble vouloir défendre haut et fort les couleurs de son institution. Montrer que oui, le Festival de Cannes a encore de beaux jours devant lui. Même face au leader incontesté des plateformes VOD.
Le Festival est mort, vive le Festival !
Dès lors, quelles sont les pistes qui s’offrent à Netflix pour accroître son hégémonie institutionnelle ? On pourrait très bien imaginer que, dans les années à venir, le distributeur 2.0 cherche à faire plier le FIF à ses conditions, ou même à s’implanter dans tous les autres grands festivals européens, somme il s’y emploie déjà progressivement à la Mostra de Venise ou le Festival de Berlin.
Mais une autre option s’offre à lui : celle de créer son propre festival, sa propre marque, qu’il pourrait developper au fil des éditions pour en faire un acteur incontournable du paysage festivalier. L’entreprise américaine s’y est déjà essayée en 2015 avec la création du Netflix Fest, un « festival des festivals » organisé dans des lieux insolites de la capitale parisienne et autour de différentes thématiques. Quand on connait son volume de production qui augmente d’année en année, nul doute que cet opérateur aurait assez de matières pour créer son propre palmarès.
Casser les codes pour mieux les reconstruire
Une nouvelle occasion pour lui de renouveler de vieux usages qui semblaient jusque là beaucoup trop rigides -projection presse, suivie de la projection avec l’équipe du film, pour finir sur la sempiternelle conférence de presse. Bref, vous l’aurez compris, Netflix n’a pas fini de se réinventer et de challenger l’establishment. Comme le dit si bien le grand Jack dans « Les Infiltrés » : « je ne veux pas être un produit de mon environnement. Je veux que mon environnement soit mon produit à moi ».