Le Festival de la Rochelle consacré à la fiction TV vient de se dérouler du 12 au 16 septembre 2018. En ce début de saison, c’est l’occasion de comprendre ce qui va se passer dans les mois à venir : un vivre-ensemble fragilisé, un masculin en échec. Et pour y faire face, de nouvelles issues qui émergent : la singularité affranchie, le pouvoir du psychique, la vérité plurielle… Passionnant.
Qui dit festival, dit sélection. Les 47 productions présentées lors du Festival de la Rochelle de la fiction TV sont une vitrine pour les chaines TV françaises et européennes, destinée à promouvoir leur image et leur savoir-faire. Arte vient d’ailleurs de remporter 9 prix sur les 18 décernés !
10 tendances se dégagent de cette édition 2018. Elles dessinent une cartographie des imaginaires et des émotions pour les mois à venir, même si la sélection n’est pas représentative de la production mondiale.
Tout d’abord, quels sont les thèmes traités ? Ces fictions montrent un monde en déconstruction. Les acquis sociétaux sont fragilisés dans un contexte où le vivre-ensemble est fissuré :
Les institutions politiques, médicales ou sociales sont sources de dysfonctionnement. Leurs missions premières de protéger et de soigner sont devenues caduques. Elles sont au contraire sources de danger : faillite de l’Etat, crime dans une clinique psychiatrique, cohabitation difficile en prison, suicide de jeunes dans un monde immortel,… Les personnages sont fragilisés et exposés à la violence du monde (Jeux d’influence, A l’intérieur, Les impatientes, Dukla61, Hippocrate, Ad Vitam)
La famille est conflictuelle, lieu de déchirement, de non-dit, de tension, de meurtre, de vengeance. Les personnages cherchent à s’en libérer, à la fuir, à disparaitre, à renaitre ailleurs (Deux gouttes d’eau, Une vie après, Vivre sans eux, The Carlos Benedete Story, Jacqueline Sauvage c’était lui ou moi, Papa ou maman)
L’amour, l’amitié et la solidarité sont fragiles et difficiles à construire. Ils sont mis à rude épreuve : conflit, séparation, intérêt personnel, dissension (Dix pour cent, Skam, Escape, One Night, The Carlos Benedete Story, Welcome to tTexas)
Le passé est une menace. Il contient de terribles secrets enfouis, ou il apparait maléfique avec des traditions bizarres et des légendes obscures (Les rivières pourpres, Jonas)
Trois autres tendances émergent sur les personnages eux-mêmes. Ils illustrent bien les évolutions de société du moment :
Ce sont les individus singuliers et affranchis qui trouvent des solutions. Tirer son épingle du jeu implique de ne pas être dans les règles en vigueur (Balthazar, Sam, Les rivières pourpres, Les emmerdeurs, Access, Helium)
Les femmes sont plus combatives et résilientes. Elles incarnent les leçons de survie individuelle : séparation, cancer du sein, précarité économique, maman célibataire, entrée difficile dans l’âge adulte, immersion dans un milieu masculin, accession au pouvoir (Ma mère, le crabe et moi, Sous la peau, Sam, L’arène, Loulou, Home Ground, Keeping Face, Marie Theresa, Philharmonia)
A contrario, les hommes sont vus au pire comme des menaces, au mieux comme des losers : menteur, violent, autodestructeur, impulsif, inadapté, illettré, accidenté, diminué, has been, désargenté (Je sais tomber, Jonas, Mike, Camionero, De Infiltrant, Illettré)
Trois derniers points concernent le traitement et la narration. On assiste à un brouillage des pistes et des registres. La vérité devient plurielle. La frontière entre le réel et l’imaginaire s’estompe avec des clés de lecture ambivalentes :
L’altération des sens et du raisonnement est une voie d’accès au pouvoir, à la vérité, à l’invisible. Il n’y a plus de séparation entre le normal, le pathologique et le surnaturel. L’hôpital psychiatrique et les capacités psychiques sont d’ailleurs assez présents dans la sélection (HP, Les emmerdeurs)
Il n’y a plus de frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle, entre la réalité et la fiction, entre le jeu et le drame. Tout est hybridé et produit une perte des repères et des garde-fous (HP, Tank2, Escape)
Le croisement de plusieurs points de vue sur les mêmes faits, rend la réalité plurielle et complexe. Le ressenti de chacun ne raconte pas la même histoire (The Day)
La fiction a la capacité de rendre explicite ce qui est ressenti intuitivement dans le monde réel. Cette édition 2018 dessine un univers chaotique où le vivre-ensemble est fragilisé, avec un masculin en échec. Pour y faire face, de nouvelles issues émergent : la singularité affranchie, le féminin résilient, le pouvoir du psychique, la vérité plurielle, la confusion réalité / imaginaire. Tout un programme pour la saison à venir !