Les entreprises devraient revoir de fond en comble leur modèle pour séduire les millennials et les jeunes de la génération Z, ces petites abeilles qui préfèrent butiner d’une fleur à l’autre. Certaines sociétés l’ont déjà compris, selon Laurent Allias, co-fondateur de l’agence Josiane.
IN : de nombreux groupes ont du mal à comprendre et à séduire les plus jeunes consommateurs. Comment expliquez-vous cette situation ?
Laurent Allias : la plupart des industries sont basées sur des schémas assez anciens issus de la seconde révolution industrielle. Ces entreprises ont donc du mal à parler aux nouvelles générations. Leurs modèles sont trop engageants et contraignants pour des jeunes qui grignotent lorsqu’ils consomment. Ces millennials sont imprévisibles et infidèles et ils apprécient toutes les nouveautés qui sortent sur le marché. Ce sont notamment de gros clients d’Uber, Airbnb et Netflix.
IN : pourquoi les jeunes sont si compliqués à comprendre ?
L.A. : pour toucher ces nouvelles générations, l’élément clé est de comprendre le paradoxe qui les habite. Leur logiciel de pensée est fondamentalement différent de celui de la génération précédente. Jusqu’à maintenant, il existait deux grandes approches politiques. A droite, c’était moi, ma communauté et le reste du monde alors que pour la gauche, c’était l’inverse. Aujourd’hui, ces cartes sont brouillées. La jeune génération picore des deux côtés de l’échiquier et c’est cela qui les rend si paradoxaux. Avec les réseaux sociaux, leur ego n’a jamais été aussi développé. Ils appartiennent à une société du moi, moi, moi. Mais les jeunes sont dans le même temps à la recherche de sens. Ils sont « planète-centrique », se soucient de la protection de l’environnement et remettent en cause le système capitaliste qu’ils jugent trop inégalitaire. Ce sont ces paradoxes que les marques ont du mal à comprendre.
IN : que doit faire une marque pour séduire les jeunes ?
L.A. : beaucoup de sociétés créent de nouvelles marques dans lesquelles la marque-mère n’apparaît pas ou peu. Accor vient de la faire avec Jo&Joe. Face au succès mondial d’Airbnb qui a totalement disrupté le secteur de l’hôtellerie, le groupe français n’avait pas d’autre choix que de changer de paradigme. Madame Figaro a, elle aussi cherché à réagir au succès des médias sur internet en lançant « MAD », un format 100% vidéo coloré, avec des formats courts et très présent sur les réseaux sociaux.
IN : les jeunes ont aussi tendance à vouloir « tout et tout de suite »…
L.A. : en effet. Mais les marques « traditionnelles » commencent, elles aussi, à s’adapter à cette nouvelle donne. Face à Amazon, plusieurs distributeurs ont préparé leur riposte comme Carrefour qui propose la livraison rapide en une heure après l’envoi de la commande. Leclerc va, lui, lancer la livraison à Paris avec des prix 20% à30% inférieurs à ceux de la concurrence.
IN : ces consommateurs semblent très attachés aux prix bas…
L.A. : ls ont déclenché une véritable guerre des prix et cela a contraint de nombreuses marques à s’adapter. Pour ne pas tuer la valeur de son modèle historique, Air France a notamment choisi de créer Joon qui vise les jeunes avec ses tarifs bas. Les opérateurs téléphoniques ont, eux aussi, lancé des marques pour les nouvelles générations comme RED by SFR et Sosh d’Orange. Mais les prix ne sont pas le seul argument qui peut séduire la nouvelle génération. Singer, qui a été créé il y 165 ans, enregistre des taux de croissance annuelle de 20% à 30% car elle a su profiter de la nouvelle tendance liée au succès du « do it yourself ».
IN : comment les « pros du web » réagissent à l’arrivée de ces nouveaux concurrents ?
L.A. : en allant les concurrencer sur leur propre terrain de jeu. BlablaCar a ainsi choisi de se diversifier dans l’assurance en lançant BlablaSure et ils viennent de reprendre à la SNCF Ouibus. C’est le monde à l’envers…